Le Grand Pardon de Arland
Publié le 30/03/2013
Extrait du document
« Il serait bon de partir tous ensemble dans une immense procession, tous, ceux que j ' ai vus, ceux que j 'ai perdus, ceux qui m'attendent ( ... ) chacun avec ses jeux et sa misère, avec ses lueurs d'espoir - en route vers le Grand Pardon. « Mis en exergue de l'ouvrage, ces mots, qui donnent son sens au titre, sont en fait tirés par l'auteur d' un livre écrit précédemment et intitulé La Nuit et les sources.
«
«Je sais bien que je ne sui s plu s seul ;
la femme qui chemine
à mon côté est ma
femme ...
»
EXTRAITS~ ~~~~~~---,
Une nuit dans la chambre
d'un oncle décédé
Oh ! encore une nuit, toute une nuit à pas
ser dans cette chambre ténébreuse, cette pri
son où l'on étouffe, où on
ne peut filtrer
le moindre
scintillement d'étoile, la
moindre coulée de lune,
cette tombe dont
la pierre
ne s 'entrebâille
qu'à
l'aube, et l'aube, chaque
nuit , est plus lente,
et à
force de nuits on tremble
de pouvoir l'atteindre.
On
est aveugle, on devient fou
dans cette chambre du
mort, dans ce lit où l'on a
vu étendu un corps fou
droyé, où reste une odeur
de soufre, où l'on a peur,
en remuant, en étendant
la main qui se crispe, de
rencontrer un cadavre.
On voudrait crier, hurler
et l'on n'ose même pas
respirer plus fort à cause
des vieux, qui derrière le
mur, dans l'alcôve
de
la cuisine, dorment ou songent.
Confidence « chantonnée »
par mi pèlerin du Grand Pardon
C'est au fond de moi constamment, dans la
détresse ou dans l'exultation.
J'en suis
travaillé, déchiré.
Cela se libère quelquefois
par explosions folles que je subis, où je ne
peux rien, d'où
je retombe.
Et de ce moi plus
profond que l'autre, mais qui me semble
étranger, il arrive que
j'aie peur, parce que
je ne sais ce qu ' il veut, d'où il vient, où il me
pousse.
Six pieds de terre suffiront-ils à l'apaise
ment
? Suffiront-ils à la justification ?
J'ai cherché partout un accord.
Tous les
hommes que
je vois me disent , chacun à sa
façon ;
par les reproches, par le silence, par
le regard, au mieux par un sourire amusé,
par la solitude où ils me laissent enfin, que
je ne puis, avec la meilleure volonté du
monde, être des leurs.
Il
n'y a que les choses, ce qu'on appelle
choses, les plantes , les cailloux de mes
chemins, les formes
et les couleurs de la
terre, qui ne me l'ont pas
dit, ou parfois un
pan de masure -
et je n'oublie point ceux
qui souffrent.
C'est mon alliance.
Une éclaircie : l'harmonie
d'une promenade dans les bois
Nous n'avons pas rencontré le loup des
bois.
Cependant, passé
la clairière, tandis
que nous cheminions sous le silence des
feuilles , il
m'a semblé plus d'une fois
que Marie-Claude se sentait
dans
un monde inconnu, et
que j'avais à la défendre.
Je
le connais ce monde; il
fut mien pendant des années ,
je le revois avec délices.
Rien
n'a changé ; cette
ombre et ce silence,
la fraî
cheur du bois,
l'odeur des
mousses , ces grands compa
gnons que me furent les
arbres,
et par-dessus tout,
sur des lieues, cette reli
gieuse attente des choses,
je les retrouve.
Je sais bien
que
je ne suis plus seul ; la
femme qui chemine à mon ·
côté est ma femme, c'est
l'autre monde que je rêvais,
enfant, de conquérir.
Que de
fois ai-je songé à ce
jour sur K.~ M!M
qui devaient déboucher tous
les chemins de mon enfance! Je ne pouvais
lui donner aucun visage, sinon celui du
bonheur.
Voici ma conquête et ce visage, qui
est gracieux jusque dans sa fine blessure.
Gallimard, 1965
«Je ne pouvai s lui
donner aucun visage,
sino n celui du
bonheur.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
Dans son Histoire de la littérature
française,
Jacques Brenner classe cet
écrivain parmi
« les poètes de la prose ».
A propos du Grand Pardon, il écrit :
« Il existe pour Marcel Arland quelques
terres privilégiées.
La Bretagne est de
celles-ci.
Il lui doit, sans doute,
l'idée de en
marche .
En tous, on peut discerner
l'espoir d'un salut...
Arland a eu la tentation
de comparer son œuvre à un grand
jeu de
lumières
et d'ombres .
Existe-t-il une
progression? Qu'est-ce que cette vie
nouvelle qui apparaît longtemps après
qu'on a franchi la porte de l'ombre ?
"Simplement, dit l'auteur, il m'a semblé
que ces notions de lumière et d'ombre
changeaient peu à peu de valeur, presque
«Il compose( ...
) une œuvre immense, où
la facilité de l'écriture contraste avec la
difficulté de dire les choses : cela donne
des récits sobres, empreints de noblesse et
de dignité , parfois aussi de drôlerie , dans
lesquels Arland domine son pessimisme
devant la mort, devant la difficulté des êtres
à communiquer.
» Claude Lesbats, dans
la composition de ce livre, qui se présente
comme une procession entrecoupée de
repos .
Des êtres, des âmes en peine sont ici de
sens et qu'elles tendaient
à se résoudre
en un accord .
".
»
1 coll.
Viollet 2, 3 , 4 , 5 illustrations d'Étien ne Coumauh , L a Guilde du Livre, Lausa nne.
1938
le Di c tionnair e des littératures de langue
française,
Bordas, 1987.
ARL AND02.
»
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