Le Joueur de Dostoïevski
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
Écrasé de dettes, Dostoïevski signe en 1865 avec l'éditeur Stellovski un contrat draconien par lequel, contre trois mille roubles, il lui cède le droit de publier ses oeuvres complètes si un roman inédit ne lui est pas remis le 1er novembre 1866. Dostoïevski a vingt-sept jours pour écrire Le Joueur. Il se résout à engager une jeune sténographe, Anna Grigorievna. Quinze jours après la fin du roman, elle devient sa femme.
«
« Mon salut et mon
chapeau à la main
retinrent d'abord
à peine leur attention.
»
EXTRAITS -------~
Par amour pour Pauline
J'avais d'emblée misé vingt frédérics sur
pair,
je gagnai ; je les remis et gagnai en
core; il en fut ainsi deux ou trois fois.
Je
crois
qu'en cinq minutes j'eus environ
quatre cents frédé
rics.
J'aurais dû
m'en tenir là.
Mais
indubitablement à ce qu'on criât : zéro !
La bille sauta dans une case.
-« Zéro ! » cria le croupier.
-
Hein!!! s'exclama la grand-mère avec
la frénésie du triomphe.
A ce moment précis,
je compris que j'étais
un joueur.
une
sensation bi- L'éternel recommencement
zarre m'envahit, je
jetai un défi au sort,
j'eus envie de lui
donner une chique
naude, de lui tirer la
langue.
Je
misai le
maximum autorisé,
quatre mille florins ;
et je perdis.
Dans
mon exaltation, je
sortis tout ce qui me
restait
et misai sur la
même combinaison :
je perdis de nouveau.
Je
m'éloignai de la
table, abasourdi.
Je
ne comprenais même
pas ce qui s'était
passé en moi.
Je n'avouai ma perte à
Pauline que juste avant
ze déjeuner, après
avoir erré dans le parc.
La révélation d 'Alexei
-« Le jeu est fait ! » cria le croupier.
La
roue tourna, le treize sortit.
Nous avions
perdu.
-
« Encore ! encore ! encore !
Continue! »criait la grand-mère.
Je n'objectai
plus et plaçai encore douze
frédérics en haussant les épaules.
La rou
lette tourna longtemps.
La grand-mère en
tremblait, fascinée.
« S' imagine-t-elle
vraiment pouvoir gagner sur le zéro en
core une
fois ? » me demandai-je en /' ob
servant avec étonnement.
Son visage
rayonnait de conviction, elle s'attendait
Avoir la force de caractère, voilà/' essen
tiel.
Je n'ai qu'à me remémorer ce
qui m'est arrivé, dans ce genre, à
Roulettenbourg, il y a huit mois, lorsque
j'eus tout perdu.
Oh, ce fut un cas de dé
cision remarquable !
J'avais tout perdu,
absolument tout ...
Je sors du Kursaal,
et je sens : un florin
remue encore dans
mon gousset.
Je me
dis : « Bon, j'ai encore
de
quoi dîner.
» Mais,
après une centaine de
pas,
je me ravise et je
rebrousse chemin.
Je
place ce florin sur
manque (cette fois,
c'était le tour de
manque).
En vérité,
c'est vraiment quelque
chose d'unique que de
se sentir seul,
à/' étran
ger, loin de sa
patrie,
de ses amis, de ne pas
savoir si /'on va man
ger aujourd'hui et de •·
miser son dernier, son
tout dernier florin ! Je
gagnai.
Je sortis du Kursaal vingt minutes
plus tard, avec cent soixante-dix florins
dans
ma poche.
Etc' est un fait! Voilà ce
que
peut signifier parfois le dernier flo
rin !
Et quoi ? Si j'avais alors perdu cou
rage, si
je n'avais pas osé me décider ?
Demain, demain, tout sera fini !
« Elle [Blanche] rit
parfois aux éclats en
montranttoutes ses
dents, mais
le plus
souvent elle reste
silencieuse avec un
air insolent.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Le lecteur qui ne verrait que l'aspect
amusant de la description des salles de jeu
sans comprendre ce que symbolise cette
attente
passionnée des joueurs, cette
impossibilité de ne pas recommencer à
jouer malgré la certitude de finir par perdre,
cette attirance lucide de l'abîme, cette
euphorie horrifiée de la chute,
n'a qu'à se
reporter à la nouvelle bien postérieure de Stefan
Zweig,
Vingt-Quatre Heures de la
vie d'une femme, où le thème est traité
d'une manière plus consciente, plus
calculée que par Dostoïevski.
C'est cette
nouvelle, en tout cas, qui a permis à Freud
de diagnostiquer la signification de la
passion du jeu.
» Dominique Femandez,
préface de l'édition
Folio.
homme versé en beaucoup de matières,
mais incomplet en toutes choses.
Il est à la
fois révolté contre l'autorité et peureux
devant elle ...
Toutefois, le besoin du risque
le relève à ses propres yeux.
»
Dostoïevski, lettre à son ami Strakhov,
« En ce moment, je n'ai rien de prêt, mais je
tiens un plan de roman et, à ce qu'il me
semble, un plan très heureux ...
Je peins un
1 Sipa-lcono 2, 3, 4, il!.
de Cardin-Bogratchew, éd.
André Vial, 1965, B.N.
/ Sipa-Icono
30 septembre 1863.
«Dostoïevski," le seul qui m'ait appris
quelque chose en
psychologie", disait
Nietzsche.
» André Gide, Dostoïevski.
DOSTOÏEVSKI 04.
»
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