Le personnage de CHERI de Colette

femme qui a atteint la cinquante, Léa, ancienne courtisane. Et nous apprenons que le mariage de Chéri avec la fille d’une riche amie de sa mère va sans doute interrompre cette liaison qui, pour disproportionnée qu’elle soit par l'âge, n’en a pas moins été sans nuages depuis sept ans. Apparemment rien de plus banal et de plus sordide. Mais une beauté comme celle dont Colette a doué son héros, c’est déjà une dignité qui confère une dimension secrète au caractère de Chéri. «Le cheveu bleuté comme un plumage de merle, la poitrine mate et dure, bombée en bouclier», tel il s’offre à nous, cet être dont la colère emplit de lumière insolente le regard, «armé de cils», et «entrouvre l’arc dédaigneux et chaste de la bouche ». D’emblée aussi nous sommes avertis qu’il doit y avoir une énigme Chéri, et que, sous tant d’amoralité, absolument dépourvue de cynisme, il nous tient en réserve une complexité de la dernière heure. Lorsque nous l’entendons jeter à cette amante, encore belle, le nom qui nous révolte d’abord, presque incestueux, de « Nounoune » qu’il lui donnait lorsqu’il était enfant, et qu’il «retrouve au fond de son plaisir comme un appel au secours», nous devinons en lui les graines à

CHERI. Personnage des deux romans de Colette, Chéri (1920) et la Fin de Chéri ( 1926), Fred Peloux, dit «Chéri», fils d’une demi-mondaine, autrefois fort cotée, a grandi, «tour à tour oublié et adoré entre les femmes de chambre décolorées et les longs valets sar-doniques». Hors les bas propos de l'office, les seules conversations qu’il surprit dans son enfance furent celles de ces «fées maquillées» {le milieu des grandes hétaïres des environs de 191 0), dont l’unique raison de vivre se bornait à se disputer entre elles les fortunes d’hommes considérables, «à combattre pour une ride ou à s’entre-dévorer pour un gigolo». Avoir figuré, nourrisson, à des batailles de fleurs où l’on s’enrhume, nu, parmi les roses, et s’être entendu décerner, dès ses premiers pas, de casino en casino, le titre de : « Petite chef-d’œuvre», par de riches Américaines, cela ne suffit pas à vous assurer les bienfaits d’une instruction complète. Aussi, en dépit d’un bref passage dans un collège qui n'a pas réussi à redresser le cours d'une oisiveté savoureuse, Chéri, parvenu à l’âge adulte, est-il doté maintenant d’une solide « majesté d'illettré ».