L'Epreuve de Richard Feverel
Publié le 28/03/2013
Extrait du document
George Meredith (1828-1909) quitta son Angleterre natale très tôt et resta jusqu'à l'âge de quinze ans chez les frères Moraves près de Coblenz, en Allemagne. Il commença par publier des poèmes (L'Amour dans la vallée). L'Épreuve de Richard Fevere/, publiée en 1859, s'appuie en partie sur des éléments autobiographiques. Au moment où il écrivit ce roman, Meredith était tiraillé par des difficultés matérielles et sentimentales. A court d'argent, il s'adonna à contrecoeur à des travaux de journalisme. Il fut notamment collaborateur du Morning Post et correspondant de guerre en Italie en 1868.
«
« Vous êtes le premier
homme qui, dans le
tête-à-tête, ne me parle
pas
d'amour, de ces
fadaises dont j'ai horreur.»
EXTRAITS --------.
Sir Austin, trompé par son fils,
met celui-ci à l'épreuve
Parce qu'il souffrait, et qu'il était résolu à
souffrir en silence, et
qu'il voulait être le
seul à souffrir,
il croyait faire preuve de
grandeur
d'âme en son malheur.
Il avait
tenu tête au monde.
Le monde l'avait ter
rassé.
Que faire alors ? Il lui fal
lait mettre le verrou à son cœur
et le masque à son visage, voilà
tout.
( ...
) Ce
fut ainsi qu'avec son es
prit délicat, son cœur également
délicat, bornés par les limites de
sa nature sans grandeur, sir
Austin voulut dissimuler sa
recu
lade et justifier son échec ; ce fut
ainsi qu'il se fit le démolisseur de
son propre ouvrage.
Il aurait très
bien
pu dire, ainsi qu'il le fit un
jour, que parfois
l'âme la plus
pure s'abaisse à des ruses de
renard.
Pour une déconvenue
absol:umen~personnelle, il n'hésita pas à
rejeter le blâme sur l'humanité entière; tout
comme il l'avait accusée au cours de cette
période
qu'il appelait« son épreuve».
Et
comment avait-il supporté cela
? En impo
sant un masque à son visage.
A présent, il
préparait l'épreuve pour son fils en faisant
la même chose.
Non
pas que ce fût là le
moins du monde sa conception du devoir de
l'homme aux prises avec le malheur, sujet
sur lequel il savait très éloquemment
discourir.
Mais parce que c'était l'instinct
qui le faisait agir ainsi, alors qu'en période
d'épreuve, seules les natures supérieures ne
se trouvent pas à la merci de leurs
instincts,
Il lui en coûterait même beaucoup de
se masquer le visage, il lui en coûterait
davantage qu'à l'époque où il avait encore
une raison suffisante pour ouvrir tout grand son
cœur, et il
s'en rapportait toujours au
précepte lacédémonien qui veut que
l'on
endure la souffrance sans rien faire et sans
rien dire.
Richard, seul à Londres,
t ente de renouer avec son père
Le jeune homme écrivit à son père des
lettres pleines de soumission.
« Voici cinq
semaines que
j'attends ici votre retour,
disait-il,je vous ai écrit trois lettres, et vous
ne me répondez
pas ...
Sachez que j'ai un
immense chagrin,
sir.
Soyez persuadé qu'il
n'est rien au monde que
je n'accepterais de
faire
pour recouvrer votre estime et votre
affection que
je me sens si malheureux
d'avoir perdues.
Je
res"terai une semaine de
plus ici dans l'espoir de recevoir de vos
nouvelles ou de vous revoir.
Je vous en sup-
·
plie, sir, la folie me guette.
Quoi que vous
exigiez de moi,
je l'accepte d'avance.
»
« Ainsi, il serait prêt à faire n'importe quoi ?
se dit le baronnet en relisant la lettre.
N' im
porte quoi ! Il veut rester
encore une semaine pour me
laisser une dernière chance
?
C'est moi qui vais le rendre
fou ? Et le voici qui com
mence à vouloir se déchar
ger de son châtiment sur
mes épaules.
» (.
..
)Il avait
dans l'esprit un plan mal
dé
fini de conduite à tenir vis
à-vis de son fils : s'il l'avait
traduit
en langage clair, on ne l'aurait certes
pas trouvé bien joli, il ne demeura que ce
vague principe que le jeune homme devait
subir l'épreuve en attendant le jugement.
« Il faut qu'il apprenne l'art de se refuser à
soi-même quelque chose.
Il lui faut pour un
temps vivre parmi ses pairs.
Et si vraiment
il m'aime, il comprendra ce que je désire.
»
« -Est-ce que vous
pariez ? demanda
Mrs.
Mount.
-
Sur moi-même
seulement, répondit
Richard.»
NOTES DE L'ÉDITEUR
L' Épreuve de Richard F everel fut d'abord
taxée
d' œuvre immorale et subversive.
Meredith, en s'attaquant
à l'idéal du
« gentleman » de la société victorienne,
essuya de ce fait de virulentes critiques.
Cependant, beaucoup de ses contemporains
(Dickens, Carlyle, Stevenson) ont salué en
lui un écrivain de talent.
En 1891,
Oscar
Wilde proclamait : « Nous avons en
Angleterre un romancier incomparable : Il
y a en Russie des écrivains mieux
informés de la douleur.
Mais
c'est à lui
seul que
revient( ...
) la philosophie dans la
fiction.
Ses personnages ne se bornent pas
à vivre : ils vivent par la pensée.
On peut
les considérer sous un
millier de points de
vue.
Ils sont suggestifs.
Il y a en eux et
autour d'eux une âme.
Ils sont interprètes
et symboles ...
» L' Art de George Meredith,
Constantin Photiadès, Armand Colin, 1910.
Spencer.
Comme lui, il s'interroge à travers
le roman sur le poids des conventions, qui
entravent le développement des individus.
Moraliste autant que romancier, il fustige
la société victorienne, sa léthargie et son
hypocrisie.
M.
George Meredith.
Il y a en France des
artistes plus adroits, mais pas un seul qui
embrasse la vie
d'un regard aussi vaste ...
Meredith
a subi l'influence du philosophe
Herbert Spencer.
Son attitude
à 1' égard de
la fonction romanesque entre en résonance
avec l'idéologie du progrès prônée par
« Romans, poèmes, correspondance,
partout Meredith affirme sa foi dans le
pouvoir de
l'intellect( ...
).
La littérature,
et singulièrement le roman, a pour mission
de stimuler
1' esprit du public.
» Serge
Cottereau,
George Meredith, Les Derniers
romans I880-I895,
Éd.
du CNRS, 1986.
1 con.
Vionet 2 tableau de W.
Tomoe (1893), con.
part./ Edimédia 3 il!.
de Boys (1842), Guildhall Art Gallery, Londres I Bridgeman-Giraudon 4 tableau de Géricault, musée du Louvre/ Explorer Archives MEREDITH 02.
»
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