Lettre du vovant
Publié le 06/04/2013
Extrait du document
Rimbaud écrivit cette célèbre lettre à !'âge de dix-huit ans et elle annonce déjà, à l'état de germe, la fulgurance de sa future production littéraire, en particulier Les Illuminations.
«
« Ô flots
abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé ! »
~-------EXTRAITS
En exposant son principe de voyance,
Rimbaud dit qu'elle est la faculté de dé
couvrir l'inconnu dans le connu, autrement
dit de découvrir
l'autre dans le même
La première étude
de l'homme qui
veut être poète est
sa propre connais
sance, entière ; il
cherche son âme, il
l'inspecte,
il la tente,
l'apprend.
Dès qu'il
la sait, il doit la
cultiver ; cela sem-
ble simple : en tout
cerveau s' accom
plit un développe
ment
naturel; tant
d'égoïstes se pro
clament auteurs ; il
en est bien d'autres
quis' attribuent leur
progrès intellectuel!
- Mais
il s'agit de
faire /'âme mons
trueuse : à l'instar des comprachicos,
quoi!
Imaginez un homme s'implantant et se
cultivant des verrues sur le visage.
Je dis qu'il faut être voyant, se/aire voyant.
Le poète se fait voyant par un long, immense
et raisonné dérèglement de tous les sens .
Toutes les formes d'amour, de souffrance,
de
folie; il cherche lui-même, il épuise tous
les poisons, pour n'en garder que les quin
tessences.
Ineffable torture où il a besoin de
toute
lafoi, de toute la force surhumaine,
où il devient entre tous le grand malade,
le grand criminel, le grand maudit -et le su
prême Savant! -Car il arrive à l'inconnu!
Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus
qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu, et quand,
affolé,
il finirait par perdre l'intelligence de
ses visions, il les a
vues! Qu'il crève dans
son bondissement
par les choses inouïes et
innombrables : viendront d'autres horribles
travailleurs ; ils commenceront
par les
horizons où l'autre s'est affaissé !
Rimbaud synthétise sa conception de la
langue, en
rupture déclarée et affichée
avec toute une tradition littéraire
Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de /'humanité, des animaux
même ; il devra faire sentir, palper, écouter
ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là
bas a forme, il donne forme ; si
c'est in
forme,
il donne de l'informe.
Trouver une
langue.( ...
)
-Du reste, toute parole étant idée, le temps
d'un langage universel viendra !
Il faut être
académicien -plus mort
qu'un fossile -
pour parfaire un dictionnaire, de quelque
langue que ce soit.
Des faibles se mettraient
à penser sur
la première lettre de /'alpha
bet, qui pourraient vite ruer dans la folie !
- Cette langue
sera/' âme pour/' âme, ré
sumant tout, parfums, sons, couleurs, de la
pensée accrochant
la pensée et tirant.
« Le Poète se fait
voyant par un long, immense et raisonné
dérèglement de tous
les sens.,.
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Et dans ce mois de mai qui fut toujours
celui de son énergie la plus grande, celui
de ses décisions et de ses œuvres, il se
reprend soudain,
il fait face au danger qui
le presse, il semble pour un moment lui
échapper.
C'est l'affrontement qui est dit
dans la
Lettre du voyant et c'est un acte
exemplaire.
Car la liberté la plus pauvre, la
plus dépossédée de toute espérance,
y prouve sa richesse propre, sa force de
création, littéralement sa poésie.
»Yves
Bonnefoy, Rimbaud, Paris, Seuil, 1961.
« En anticipant la poésie du xx:e siècle, en
lui ouvrant les nouvelles, Rimbaud
l'a en
même temps accomplie.
Passant de 1869
à 1875 environ - un rien de temps - de la
forme la plus ancienne (latine)
à une forme nouvelle(
...
), Rimbaud effectue une
traversée de la poésie.
Supérieur à son
maître Baudelaire par l'invention des
formes, il récapitule
à grands traits
l'histoire de la poésie française, en même
temps
qu'il la conduit à une limite, qui est
peut-être
sa limite, et celle de toute poésie -
le silence.
» Alain Borer, introduction à
l'Œuvre-vie d'Arthur Rimbaud, Paris,
Arléa.
1 Rimbaud par Ernest Pignon Ernest.
musée Rimbaud/ Sipa-lcono 2, 3, 4, 5 dessins de Sosolic, éd.
Club du Livre, Paris/ D.R.
RIMBAUD03.
»
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