Devoir de Philosophie

Lucien Leuwen , Stendhal (Fiche de lecture)

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

stendhal
Roman commencé par Stendhal en 1834 et resté inachevé, Lucien Leuwen s'ouvre sur l'arrivée à Nancy du héros éponyme, un jeune sous-lieutenant parisien. Tout roman comporte traditionnellement des topoi (clichés), épisodes riches en émotion, quasiment obligatoires, et attendus par le public, au nombre desquels figurent en bonne place les premières rencontres amoureuses. Lucien Leuwen n'échappe pas à la règle et nous offre, une à deux pages après l'incipit, une scène de première vue qui pourrait être bien banale puisque Stendhal y raconte la première rencontre de son héros, Lucien, avec « une jeune femme blonde ». Cependant la manière dont le narrateur aborde le topos est originale. La rencontre a en effet lieu dans un cadre qui, bien que réel, est loin d'être anodin et qui confère à la scène un rythme relativement enlevé, sans que le jeu des regards en soit pour autant négligé.
stendhal

« nous ramène presque à la situation initiale : Lucien est renvoyé à la réalité triviale de la province.

Le récit est doncconstruit en boucle, démentant de façon grotesque l'ouverture entrevue avec l'apparition de la jeune femme.D'autre part, les passés simples du texte lui confèrent aussi un rythme enlevé.

Ils signalent toujours une rupture,qu'il s'agisse des premiers – « leva » et « vit » – ou de ceux que l'on trouve dans le secondparagraphe – « s'envolèrent », « fut ranimée » et « disparut ».

Les passages descriptifs freinent d'ailleurs àpeine l'enchaînement des actions : ouverture de la fenêtre, fermeture de cette même fenêtre, remise en marche durégiment et chute finale.

On note même une accélération du rythme dans le dernier paragraphe grâce àl'énumération des verbes d'action en un rythme ternaire qui, paradoxalement, permet de voir la fin de la scène auralenti, théâtralisant ainsi la chute. Ce qui donne à la scène son rythme enlevé, c'est aussi le fait que le coup de foudre efface curieusement laperception première de la ville.

D'emblée, on note une opposition entre le passé simple et le plus-que-parfait,renforcée par l'indicateur temporel « jusque là ».

Cette opposition se retrouve dans le second paragraphe, entre leverbe « donner » et le verbe « disparaître ».

Il semble bien que tout ce qui est antérieur à l'apparition soitdéfinitivement effacé.

Les passés simples soulignent d'ailleurs la rapidité de la métamorphose de Lucien.

L'oppositionentre la longue énumération accumulative de ses griefs et l'extrême concision du pronom indéfini « tout » qui luisuccède contribue également à mettre en évidence la rupture entre le passé, ennuyeux, et le présent qui le balaiede façon radicale, comme en témoigne l'emploi des indéfinis de la totalité sous leurs deux formes, adjectivale etpronominale : « toutes les idées tristes de Lucien s'envolèrent », « tout disparut ».

La couleur « vert perroquet »subit elle-même une rapide réévaluation : alors qu'elle était jugée « voyante » au début du texte, elle devientcurieusement en peu de lignes un objet de fascination. Enfin, la scène trouve aussi son rythme dans l'opposition entre Lucien et le régiment.

Ce dernier porte Lucien, sansqu'il participe de plein gré à ce mouvement mécanique.

L'expression « avait forcé le régiment à s'arrêter » soulignel'aspect mécanique de la marche.

Le régiment est d'ailleurs conçu comme un ensemble où tous se fondent dansl'anonymat, excepté Lucien.

La reprise de la marche est tout aussi mécanique : le régiment repart à l'improviste,sans qu'on sache pourquoi, comme le souligne l'emploi du passé simple et celui de l'adverbe « tout à coup ».

OrLucien n'est pas en accord avec ce rythme mécanique.

Sur ce point, il s'accorde avec la jeune femme.

Ils semblentêtre tous deux les seuls à présenter des signes d'humanité.

La répétition du verbe « voir » ou du nom « yeux » ainsique l'importance du champ lexical du regard dans lequel entrent ces mots et les termes « voyantes » ou « regarda »soulignent la marginalité de ces deux personnages.

Ils sont en effet spectateurs, et de ce fait en retrait de l'action.Cette passivité coûte d'ailleurs à Lucien une chute grotesque qui le réintègre au sein de la communauté à laquelle iltente d'échapper. La scène de la rencontre est racontée selon le point de vue de Lucien, ce qui permet au lecteur non seulement devoir ce que voit le personnage principal, mais aussi de connaître ce qu'il pense.

Cependant le narrateur, ironique,n'est jamais complètement absent. Le regard est donc au centre de la scène, comme dans tout récit de première rencontre amoureuse.

Afin deprivilégier ce regard, le narrateur choisit la focalisation interne.

Il adopte en effet le point de vue de son personnagejuché sur un cheval et défilant avec son régiment.

À cet égard, le début du passage précise nettement la règle dujeu : « Lucien leva les yeux et vit...

».

Nous sommes donc placés dans une position privilégiée puisque nous pouvonsvoir avec lui jusqu'aux broderies du rideau, mais nous ne percevons la scène que selon son point de vue.

C'estpourquoi la description de Nancy est très négative.

Les adjectifs qualificatifs sont tous marqués par une connotationdépréciative : les maisons sont « mesquine[s] », les couleurs « voyantes », les murs « écorchés et sales ».

Pourqualifier la boue, le narrateur utilise un adjectif presque hyperbolique : « noire ».

Le pavé lui-même est « méchant »,à l'image des camarades qui provoquent Lucien en duel ou ne lui laissent qu'une « rosse » comme monture.

Cettepersonnification met en évidence la paranoïa à laquelle l'a conduit son ennui.

L'incise « peut-être exprès » est à cetégard très significative.

Ce jugement largement dépréciatif englobe ses camarades, à « l'esprit envieux et jaloux »,comme les Nancéens, qui sont des « marauds de provinciaux ».

Ce point de vue négatif est en totale oppositionavec l'appréciation qu'il porte sur la jeune femme.

Celle-ci est certes à peine décrite, mais les quelques détails qui lacaractérisent sont significatifs.

Elle est blonde, contrastant comme on l'a vu précédemment avec la laideur de sonenvironnement.

Ses cheveux sont « magnifiques » – le superlatif est ici éloquent –, et sa figure est «jolie ».

Bien qu'elle soit lacunaire en dépit de la position privilégiée de Lucien, la description de la jeune femme trahitun intérêt soutenu.

Ainsi Lucien cherche-t-il en cette femme des points qui la relieraient plus sûrement à lui-même :un âge proche du sien – « vingt-quatre ou vingt-cinq ans » – et une attitude devant la sociétéidentique à la sienne puisqu'elle a « l'air dédaigneux » et qu'elle pourrait éprouver sinon « de la haine, au moins « del'ironie ».

Cette jeune femme se démarque totalement de son environnement qui lui sert de faire-valoir. Non seulement nous ne voyons que ce que voit le personnage, mais nous suivons au plus près les fluctuations de sapensée.

En témoignent nettement le fragment de monologue intérieur qui clôt le premier paragraphe – « Quelchoix de couleurs voyantes ont ces marauds de provinciaux ! » – et le passage au discours indirect libre, à lafin du second paragraphe.

Le discours indirect libre se fait sur le mode du questionnement.

Ainsi le verbemodalisateur « pouvoir » trahit-il le doute.

Il en est de même de la question qui clôt le paragraphe : elle énumère lesdifférentes hypothèses élaborées par Lucien pour expliquer l' « expression singulière » qu'il croit lire dans les yeux dela jeune femme.

En effet comme elle ne livre qu'un mouvement de curiosité retenue et un regard porté sur lerégiment, Lucien en est réduit à interpréter son « air » et à déchiffrer son « expression singulière ».

Cet emploi dudiscours indirect libre contraste avec l'emploi du discours direct sur lequel se termine le premier paragraphe et quitrahit au contraire une pensée brutale.

Le jugement est rendu encore plus abrupt par la forme exclamative de la. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles