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Miracle de Théophile de Rutebeuf (résumé de l'oeuvre & analyse détaillée)

Publié le 24/10/2018

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rutebeuf

Miracle de Théophile. Pièce dramatique en vers de Rutebeuf (mort vers 1285), composée dans les années 1260, et représentée à Aunal en 1384.

 

L'aventure du clerc Théophile qui, pour recouvrer fonctions et dignités, rendit hommage au diable et que la Vierge sauva de la damnation, est une vieille histoire, écrite en grec au ve ou au vie siècle par Eutychlanos d'Adana et traduite en latin au ixe siècle par Paul Diacre de Naples. Très populaire au Moyen Âge, elle fut reprise dans les sermons et les légendaires hagiographiques, peinte dans les textes qui lui sont consacrés, enchâssée dans les vitraux de l'église de Saint-Julien-du-Sault et des cathédrales d'Auxerre, de Laon, de Beauvais, du Mans, de Chartres et de Clermont-Ferrand, sculptée aux tympans de l'abbaye Sainte-Marie de Souil-lac, du portail septentrional de Notre-Dame de Paris et du portail latéral de droite de la cathédrale de Lyon.

 

Théophile, clerc déchu, se plaint de sa situation misérable et de l'hostilité de son évêque : il s'en prend à Dieu. Il se rend chez le Juif Salatin « qui parlait au diable quand il voulait ». et se déclare prêt à devenir le vassal de Satan pour recouvrer ses charges et ses biens. Bien qu’il mesure la gravité de son acte, il décide de persévérer dans son affrontement avec Dieu. Salatin évoque le diable, qui accepte d'aider Théophile si celui-ci se plie à ses volontés. Salatin informe Théophile, qui fait hommage à Satan et lui donne une lettre pour confirmer son engagement. Le diable énonce ses

commandements qui prennent le contrepied des vertus chrétiennes. L'évêque, se repentant de sa conduite, envoie Pinceguerre chercher Théophile, qui le prend de haut L'évêque s'humilie devant le clerc et lui rend sa puissance et ses biens. Théophile cherche querelle à deux de ses compagnons, Pierre et Thomas. Au bout de sept ans, il se repent d'avoir renié Dieu et rendu hommage au diable; puis, dans une chapelle de Notre-Dame, il prie la Vierge de venir à son secours. Celle-ci lui apparaît et décide de le sauver. Elle arrache la lettre à Satan et la rapporte à Théophile en lui demandant de la porter à l'évêque afin qu'il la lise au peuple chrétien. Théophile raconte son histoire à l'évêque. qui, publiquement reprend et commente l'aventure avant d'entonner le Te Deum.

 

Rutebeuf s'est inspiré d'un récit de Gautier de Coinci, long de 2 029 octosyllabes, dont il a fait une pièce de 663 vers de facture différente, à la manière du Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel au xiiie siècle (octosyllabes à rimes plates, octosyllabes suivis d'un quadri-syllabe, alexandrins, hexasyllabes). Élaguant le texte de son devancier, tendant à l'abstraction et à la généralisation, éliminant tout pittoresque, toute notation spatiale et temporelle, Rutebeuf alterne moments dynamiques, qui font progresser l'action, et moments statiques, qui permettent à Théophile de délibérer. Tout se passe dans la conscience des personnages qui deviennent autonomes, même s'ils ressentent le péché comme un investissement par Satan. L'auteur demeurant invisible, c'est au spectateur de découvrir le sens inhérent au texte, qui se fait exemplaire dans sa concision. Certains moments sont mis en valeur : l'hommage de Théophile à Satan, la réconciliation avec l'évêque, la confession publique du héros et la lecture finale de la lettre. Cette dramaturgie originale donne à voir et instruit, restituant l'épaisseur des êtres et la mobilité du réel en constant devenir. Agençant de manière personnelle une matière

rutebeuf

« préexistante, accélérant le dénoue­ ment, préférant les actes aux paroles, Rutebeuf a ajouté certaines scènes : le monologue de Théophile, entre ses deux visites à Salatin, intériorise les déterminations extérieures du person­ nage de Gautier, révèle un souci d'ap­ profondissement psychologique et l'intervention de la liberté humaine ; le langage fantaisiste de Salatin dans son évocation du diable remédie aux insuf­ fisances du décor ; les scènes entre Théophile et ses compagnons consti­ tuent autant de portraits en action ; quand Marie arrache la lettre à Satan, la leçon religieuse, devenant spectacle, illustre la victoire des cieux sur les for­ ces infernales, au moment où le Bien, dans le cœur du pécheur, muselle le Mal.

Ce travail recréateur de Rutebeuf fait du Miracle de Théophile une somme, voire un miroir de tous les grands thè­ mes de sa poésie.

Dans un monde en ruine, le Mal livre une guerre constante au Bien, violente ou sournoise, sou­ vent mortelle : le diable n'a cesse de harceler Théophile, que son évêque poursuit de sa haine.

Le pauvre, coupa­ ble ou non, est abandonné de tous ; on ne se borne pas à s'écarter de lui, on le dépouille du peu qui lui reste, en sorte qu'il vit dans l'entière dépendance d'autrui.

Monde à l'envers où le Bien est asservi au Mal, monde instable et déréglé que symbolisent le jeu de dés et la roue de Fortune, et qui se ferme : on ne peut sortir de l'enfer, , on ne peut entrer dans la maison des puissants.

L'obscurité triomphe de la lumière qui s'est éteinte, le noir l'em­ porte sur la clarté.

Mais faut-il désespérer? Non : si Dieu est lointain, dur, strict justicier, l'amour de la Vierge est inépuisable, et la pièce témoigne du culte marial qui touche à son apogée.

Le Miracle est surtout l'histoire d'une conversion.

Prenant en charge l'huma- nité dans sa faiblesse et dans sa voca­ tion au salut; il met en scène une situa­ tion privilégiée où la présence invisible du divin s'incarne et se révèle.

Le Théophile de Rutebeuf rompt le dialo­ gue avec Dieu, il refuse de se soumettre à ses voies secrètes, sombrant dans une sorte de folie furieuse qui le pousse à une démesure prométhéenne, se sou­ mettant de lui-même à l'esclavage démoniaque.

Il contrevient à l'amour du prochain.

Sans doute l'exemple de ses compagnons, qui pratiquent les vertus d'équité, de patience et d'amour, amène-t-il chez lui un retour à la conscience de sa faute et de son état de pécheur.

Il renaît à lui-même par la souffrance, il retrouve sa recti­ tude.

d'esprit et son libre arbitre.

La notion de responsabilité personnelle n'est encore assumée qu'à de rares moments.

Il éprouve une violente dou­ leur, car il imagine les châtiments infernaux.

Cette épouvante, qui relève de l'attrition, n'est qu'une première étape.

Il se fait horreur à lui-même, il se compare à judas.

Le remords va lais­ ser la place au repentir.

Le pécheur se tourne vers la Vierge, à qui il se rallie délibérément, faisant preuve d'une volonté reconquise qui s'affirme dans un choix réfléchi.

Il joue un rôle actif dans son pardon : il accueille en son cœur l'amour de celle qui se veut la mère des pécheurs repentis, il met un terme à sa sécession, il renouvelle l'alliance primitive.

La révolution intime de Théophile, pour se réaliser, demande l'intervention de la Vierge qui établit des rapports exceptionnels avec Dieu.

Sa maternité la constitue coopératrice de la rédemption du monde, l'associe au Christ dans l'œuvre de rachat de l'humanité.

Compte tenu des rencontres entre le Miracle de Théophile et le reste de l'œuvre de Rutebeuf, on peut penser que la pièce, malgré sa concision, intè­ gre les thèmes, les images, les symboles. »

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