Notre-Dame des Fleurs
Publié le 12/04/2013
Extrait du document
L'écrivain autodidacte qu 'est Genet, dont l'enfance se passa dans les maisons de correction, utilise cependant dans son premier roman des références culturelles telles que celle-ci : « Elle lutte en elle comme le Laocoon saisit le monstre et le tordit. « Une attention et un plaisir tout particuliers sont accordés dans Notre-Dame des Fleurs à la restitution du parler argotique des maquereaux, laconique et souvent obscène, présenté comme une image de la virilité, ainsi qu 'au langage féminisé des« tantes «, dont le caractère répétitif et hyperbolique évoque souvent les litanies mariales (« la Toute-Seule «, « la Toute-Persécutée «, « la Consumée d' Affliction « ).
«
EXTRAITS -------~
Solitude et beauté du monde de
l
'enfance recréées par la grâce d'un style
Des capitales surgissaient au milieu de son
enfance sab lonneuse.
Des capitales comme
des cactus sous le ciel.
Des cactus comme
des soleils verts, rayonnant de rayons aigus,
trempés de curare.
Son enfance, comme un
sahara, tout minuscule
ou immense - on ne
sait -abrité par la lumière, le parfum et le
flux de charme personnel d'un gigantesque
magnolia fleuri qui montait dans un ciel
~---- - ---'----~~~ profond comme une grotte,
« Notre-Dame
des Fleurs, quand il fut
remis entre les mains
des gardiens, leur parut revêtu d'un caractère
sacré ...
»
par-dessus le soleil invi
sible et pourtant présent.
Cette enfance séchait sur
son sable brûlé, avec , en
des instants rapides comme
des traits, minces comme
eux, minces comme ce pa
radis qu'on voit entre les
paupières d'un Mongol , un
aperçu
sur le magnolia in
visible
et présent ; ces ins
tants
étaient en tout point
pareils à ceux que dit l e
poète:
J'ai vu dan s le désert /
Ton ciel ouvert ...
Sacrilège du vol (viol) de l'hostie
et constat de l'absence de Dieu
Les doubles rideaux du tabernacle étant mal
joints, ménageant une fente aussi obscène
qu'une braguette déboutonnée, laissaient
dépasser la petite clé qui ti ent la porte close.
La main de Culafroy était sur la clé, quand
il reprit ses sens pour aussitôt les reperdre.
le miracle! le sang doit cou ler des hosties
si
j'en prends une ! [.
..
] Il attendit la dam
nation
avec la résignation du condamné à
mort: la sachant imminente, il l'attendit en
paix.
[ ...
] Lou-Culafroy saisit les trois hos- ties
et les
laissa tomber sur le tapis.
Elles
descendirent en hésitant, planant comme
des feuilles qui tombent par temps calme.
Le
s ilence
se ruait sur l'enfant, le bousculait
comme l'eûtfait un troupeau de boxeurs, lui
faisait toucher terre des épaules .
Il laissa
échapper le ciboire, qui, tombant sur la
laine, donna un son creux.
Et le miracle eut lieu.
Il n'y eut pas de mi
racle.
Dieu s'était dégonflé.
Dieu était
creux.
Seulement un trou avec n'importe
quoi autour.
Une forme jolie, comme la tête
en plâtre de Marie-Antoinette, comme les
petits soldats,
qui étaient des trous avec un
peu de plomb mince autour.
Condamné à mort, Notre-Dame
des Fleurs rejoint
le Christ
e t
le monde de la légende
Il prononça pour la première fois, suivant le
nom de Baillon : « Dit Notre-Dame des
Fleurs ».
Notre-Dame était condamné à la
peine capitale.
Le jury était debout.
C'était
l'apothéose.
C'est fini.
Notre-Dame des
Fleurs, quand il fut remis entre les mains
des ga rdiens, leur parut revêtu d'un carac
tère sacré, voisin de celui
qu'avaient autre
fois les victimes expiatoires, qu'elles fussent
bouc, bœuf, enfant , et qu'ont encore au
jourd'hui les rois et les Juif s.
Les gardiens
lui parlèrent
et le servirent, comme si, le sa
c hant chargé du
poids des péchés du monde,
ils eussent voulu attirer
sur eux la bénédic
tion du Rédempteur.
Quarante
jours après,
une
nuit de printemps , on dressa la machine
dans la
cour de la prison.
A l'aube, ell e était
prête à couper.
Notre-Dame des Fleurs eut
la tête coupée par un vrai couteau .
Et rien
ne
se passa.
A quoi bon ? Il ne faut pas que
le voile du temple
se déchire de bas en haut
parce qu 'un dieu rend l'âme.
Gallimard, 1976
NOTES DE L'ÉDITEUR
«S i Genet aime le mal , c'est donc pour sa
beauté vénéneuse.
Vénéneuse dans notre
langage , non dans le sien, car il y voit des
transparences , un éclat de diamant.
Mieux,
s'il ne voit pas ces transparences, cet éclat,
il les nomme pour que les mots les fassent
s urgir du néant et leur confèrent d'
être.( ...
)
Sans doute Genet est-il ravi de nous
choquer.
Mais, comme toujours chez lui,
l'horrible, le grossier, le scato logique ou le
macabre se convertissent en autre chose ,
lumière fût-elle violente , beaut é, fût-elle
in sol ite et trouble, morale, po ème .
Il s deviennent
l'expression
d'un rituel.
»
Claude Bonnefoy, Jean Genet, «Classiques
du xxe Siècle »,Pari s, Éditions
Universitaires , 1965 .
C'est sous nos yeux qu' il se costume en ses
per sonna ges et il troue sans cesse le décor.
»
Jean-Mari e Magnan , Essai sur Jean Genet,
Paris,
Pierre Seghers éditeur , 1966 .
1 Cotte/ Sipa-lc ono 2.
3 illu slrati ons de Barbara E rni.
1992 / O.R .
« Ce à quoi Genet va choisir de donner un
chant -après avoir conféré une signification
s ublime
à la mendicité stagnante -ce son t
le s vertus qu'il va érige r en théolo gale
s:
le vol , l'homo sexualité et la trahi son
- sujets essentiel s de ses livres.
(
...
) Donc ,
Genet nous montre les cor des qui tiennent
le s portants et
qu'on est supposé ne pas
voir ; donc il multiplie les pancartes
explicatives destinées
à contester l'illusion.
« Le styl e de Genet est unique .
La struct ure
de sa phrase est archaïque ; elle a le ton de
la pro se du XVIIIe siècle.
Parfoi s aussi , so n
écriture est précieu se.
Les phra ses de Genet
so nt longues, pleines de rép étitio
ns.
C'est
de la poésie ...
Ce que Genet méprise et
contre quoi il ne cesse de lutter ,
c'est un
style superficiel et vide.
Il a horreur de la
rhétorique.
» Ro ger Blin , « Entretiens avec
Je an
Genet », Obliques, n° 2, 1972 .
GENE T 04.
»
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