Raboliot
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
Longtemps insalubre, la Sologne change de physionomie avec Napoléon III. La plantation de pinèdes permit l' assainissement relatif du pays; le retour en vogue de la chasse dans les milieux aisés entraînera l'arrivée de nombreux hobereaux et la construction de demeures occupées de manière saisonnière. L'éradication des fièvres a permis à la population locale de prospérer. Cependant la Sologne de Raboliot comme celle du Grand Meaulnes a conservé sa poésie.
«
A l 'époque de
Raboliot , les forces
que
le braconnier
individuel avait
à
affronter n'avaient fait
que
s'amp lifier: à la
vigilance sourci
lleuse
des autres braconnier s
et aux forces de l
'ordre
(gendarmerie et gardes
chasses assermentés
-
dits « homme
s de
Saint-Hubert »)
s'ajoutaient les gardes
privés au service des
grands propriét aires.
Ce n'étaient pas les
moins acharnés .
EXTRAITS
Les joies du braconnage nocturne
Ce fut une bonne marche que celle -là, dans
la
nuit large et fraîche où brillait le soleil
des loups.
Les bois, très vite, avaient rejoint
la route.
Raboliot,
Aïcha ' marchaient dans
la ligne d'ombre qui ourlait le taillis ; à leur
gauche, des éclats de silex luisaient parfois
sur la chaussée ; à leur droite , à travers les
branches dépouillées , des taches de lune
tombaient, qui par endroits s'élargissaient
en flaques entre de petits chênes encore
noirs de leurs feuilles , tenaces au-delà de la
mort.
(.
..
)De grandes clartés étales s' élar
gissaient à la
surface des champs bleuâtres .
Elles dormaient, inertes, d'un étrange
sommeil éveillé, pareilles à d'immenses
yeux par où la terre, vaguement, aurait
contemplé le ciel .
La route montait , redes
cendait , sans heurts, suivant les mouve
ments des glèbes.
(.
.
.) Cette nuit-ci était d 'or
parce
qu'il faisait clair de lune.(.
..
) Aufil
de cette marche légère, les souvenirs de
nuits d'or s'ég renaient en la mémoire de
Raboliot .
L 'heure savoureuses' enrichissait
de toutes les
jouissances passées : chaque
pas, chaque sensation
l'exaltaient avec chaque
souvenir ; la présence
d' Aicha se mêlait à ce tte
joie, l'attendrissait
d'une
tiédeur d'amitié.
-
On en a fait , tous les
deux, ma jolie!
1 Aicha est la fidèle chienne
de Raboliot.
« Dans sa musette de
toile , les petits cadavres
chauds s'amoncelaient.
»
Raboliot, après avoir vécu trois mois en
homme traqué, est revenu à proximité
de son village pour l'affrontement final
avec Bourrel.
Monologue intérieur
A chaque étape de son exil, c'était Bourre!
qu'il retrouvait.
Depuis l'alert e de l'au
berge, il reconstruisait toute
sa vie, l'e xpliquait à sa propre
pensée, avec une logique de
plus en plus simpliste et roide :
il avait continué d'être ce
qu'il
était, sans se charger d'un acte
malhonnête, sans se risquer à
un e c
rapulerie, par exemp le
voler des
faisans en parquet ...
Puisque toute cette misère
s'éta it abattue sur ses reins , il
fallait bien
que quelqu'un l'eût
jetée.
Une voix lui av ait dit :
« Va-t-en ! »Dure et musclée
sous le dolman, l'épaule de
Bourre! le poussait, le chassait :
« Va-t-en innocent! ...
De cette
maison aussi, va-t-en ! Je te
rejette
au bois, vers Bouche
brand, la Sauvagère, avec un coup de botte
à ta chienne .
Tu
l'aimais , la petite noire ?
C'est bien pour ça que je l'ai tuée.
Même de
ce tte co mpagnie fidèle, de cette tiédeur à ton
cô té, va -t-en !
Etje te chasse des bois enfin,
au-delà de Beuvron ,
plus loin, toujours plus
loin de ton pays, jusqu 'au seuil de cette
grande vallée inconnue ...
»
Arriéze ! Raboliot s'était arrêté là.
Il était
r eve
nu et revenu encore,jusqu' au Beuvron,
jusqu'à la plaine, à toucher la route de
l' Aubette.
Il sautait d e bout sur la route,
torturé du désir
d'avancer .
Il songeait avec ·
véhémen ce : «Ah! qu'il me voie, et que je
le voie ! Ça ne peut plus durer comme ça !
Pisque [sic] c'est entre lui et moi , qu'on se
re trouve , et qu 'on en finisse un bon coup! »
Éditions Bernard Grasset, 1925
« Huit hommes étaient
partis dans la nuit , avec
leurs revolvers et leurs
fusils.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
Maurice Genevoix (1890-1980).
Né dans
le Nivernais, Maurice Genevoix
passa l'essentiel de son enfance dans
l'Or léanais, non loin de la Sologne qu'il
apprit
à aimer.
Il fit des études brillantes qui
le menèrent à !'École normale supérieure.
Enrôlé dans
linfanterie pendant la Première
Guerre mondiale, il fut grièvement blessé.
De cette expérience naîtra
Je cycle
romanesque, injustement oublié,
Ceux de
spécialisa dans les récit « naturistes »,
« sur
fond de régionalisme solognot».
Henri Lemaitre.
En 1925,
il reçut le Prix Goncourt pour
Raboliot.
Son œuvre, abondante, est le fruit
de soixante années de création littéraire.
Maurice Genevoix fut
élu à l'Académie
française en 1946 .
«Partant d'un régionalisme scrupuleux
dans la peinture de
la nature et de
l 'humanité solognot es, Genevoix
le dépasse
doublement: tout d'abord, quelle que soit l
'intrigue, généralement anecdotique,
il fait
de l a nature une source de perpétuel
émerve illement, sentiment dont
il est clair
que
Je romancier Je partage avec ses
personnages ;
d'autre part, il accorde cet
émerveillement avec une vision des
hommes et de l a nature qui ne concède
aucune part au moindre idéalisme qui, au
contraire, cultive une sorte de sauvagerie
é lémentaire.
» Henri Lemaitre, L'A venture
litt éraire du
xxe siècle ( 1920-1960) ,
Pierre Bordas et Fils, 1984.
14 (1916-1923).
Dès 1920, cependant, il se
1 Roger-Vio l let 2.
3.
4 g r avures de Joseph H émard.
Les Édition s pinor esques.
Paris.
1930 / B .N.
GENEVO IX 02.
»
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