Ragionamenti de L'Aretin
Publié le 21/02/2013
Extrait du document
Les Ragionamenti (1536-1556) valurent à L'Arétin, auteur célèbre du Cinquecento, sa réputation d'auteur licencieux. Après avoir été pendant des siècles l'un des ouvrages les plus recherchés par les amateurs de pornographie, en même temps qu'un ues plus honnis par la critique bien-pensante, les Ragionamenti passent aujourd'hui pour l' oeuvre maîtresse de L'Arétin et pour un document capital du xvie siècle. Ils seront suivis en 1538 du Dialogue des cours et en 1543 des Cartes parlantes. Né à Arezzo (d'où son surnom) en 1492, Pietro Bàcci est mort en 1556.
«
~-- -- -~- EXTRAITS ---- -- -~
Quelques conseils de la Nanna à sa fille
[Je] t'avertis que si tu veux faire souffrir qui
t'aime, tu devras
t'y prendre de façon qu'il
ne souffre pas continuellement, qu 'il ne
s'habitue pas à son martyre comme celui
qui loge
à bail la fièvre quarte depuis cinq
ou six ans.
Use d'un moyen terme et tiens
t'en au livre de Serafino, qui
dit:
Ni trop de cruauté, ni trop d'indulgence;
L'une désespère, l'autre rassasie.
Ne.te montre jamais si éprise
d'un homme,
quelque bien que tu en penses, que tu
ne
puisses lui donner deux coups du petit
marteau sur l'enclume du cœur; par-dessus
tout, ouvre
à deux battants la porte à qui
vient les mains pleines
et ferme-la au nez de
qui les a vides.
Prends-y-toi de façon que
celui qui donne t'écoute, quoique tu feignes
de
ne pas être entendue de lui, quand tu
diras
à celui qui ne donne rien : « Pourvu
qu'un tel me veuille du bien, je ne me soucie
de nul autre.
» Sois toujours la première à
te fâcher contre ceux que tu auras offensés :
domptés
par l'amour, ils te feront leur
MAXIMA CULPA de tes propres péchés ;
mais, suppose que tu
t'irrites fort contre
quelqu'un, ne lui tiens pas rigueur trop
longtemps, tu
courrais le risque d'être
quittée par lui.
Son amour ressemble à
quelque petite faim qui vous reste quand
votre appétit ne s'est pas rassasié complè
tement; une fois levé de table, cette faim-là
se passe tout de suite et l'on n'avalerait
pas
une bouchée de plus, pour n'importe quoi..
La Ü)mmère trace un parallèle
entre
un médecin et une maquerelle
LA COMMÈRE.
- Regarde une maquerelle qui
a de la réputation grâce
à ses talents, et tu
croiras
voir quelqu'un des plus fameux
médecins du monde.
Écoute-moi bien, si tu
veux que
je t'inculque mon savoir.
Voici un
médecin, grave dans sa manière de marcher,
doctoral dans sa manière d'être
debout; il parle
par sentences,
écrit par ordonnances
et fait toutes choses en les mesurant à la
pointe du compas.
La foule s'adresse à lui,
comme elle s'adresse à moi,
me connaissant
pour une femme entendue , habile, une doc
toresse.
Un médecin entre avec assurance
dans toutes les maisons,
et une maquerelle,
qui sait ce qu'elle vaut,
fait de même .
Un
médecin connaît les complexions, le pouls,
les défauts, les biles, les maladies de l'un et
de l'autre : la
maqverelle connaît les lubies,
les humeurs,
le caractère, les vices den 'im
porte qui.
Le médecin trouve remède aux
maladies du foie, du poumon, de la poitrine,
du
flanc; la maquerelle, au mal de jalousie,
de martel en tête, au
mal de rage et au mal
de cœur, tant
pour les femmes que pour les
hommes.
Le médecin apporte réconfort, et
la maquerelle consolation ; le médecin vous
guérit ,
et la maquerelle , en vous amenant
dans votre lit la femme aimée,
fait ex acte
ment la même chose.
La mine joyeuse du
médecin ragaillardit le malade, et la mine
effrontée de la maquerelle rend la vie
à
l'amoureux; mais la maquerelle l'emporte
d'autant sur le médecin que le mal d'amour
est plus tenace et plus endiablé que
le mal
de l'utérus.
Éditions Famot, Genève, 1977
,
NOTES DE L'EDITEUR
« L' Arétin fut à lui seul...
l'opposition tout
entière du
xv1e siècle.
Il est singulier qu'il
n'ait pas été assassiné vingt fois.
Un siècle
plus tard, lorsque l'influence de Charles
Quint eut tout avili en Italie,
I' Arétin n'eût
pas vécu six mois après avoir écrit...
Les sots le calomnient,
c'est le sort de
l'opposition.
Il a écrit des ouvrages fort ·
indécents, mais moins dangereux, selon
moi, que La
Nouvelle Héloïse ou les sonnets
de Pétrarque.
» Stendhal, cité dans
le
Dictionnaire des auteurs, Laffont et
Bompiani, 1952.
« Littérairement les Ragionamenti
constituent un monument d'autant plus
prodigieux
qu'il a été construit en quarante
huit jours .
Cette hâte dans la rédaction a
causé les deux défauts de
I' œuvre :
l'absence de plan
au cours
d'une journée
et les redites.
Cela est peu sensible
à la
lecture, tellement on est entraîné par un bouillonnement
de verve
et d'invention,
mais le devient davantage dès qu'on relit.
Ces deux critiques sont bien légères
et ce
sont les seules qu'il
y ait à faire .
L 'obscénité de certaines peintures n'est pas
à condamner parce qu'au seizième siècle
elle avait peu d'importance, il suffit pour
s
'en rendre compte de parcourir les œuvres
d'autres poètes, lecture fastidieuse
il est
vrai .
» P.
G.
Dublin, La Vie de /'Arétin,
Paris, 1937.
1 Roger- Yiollet 2, 3 gravures de Natoi re , 1733 / B .N.
L'ARÉTIN 02.
»
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