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SAINT-ÉVREMOND, Charles de Marguetel de Saint Denis, seigneur de (vie et oeuvre)

Publié le 13/10/2018

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SAINT-ÉVREMOND, Charles de Marguetel de Saint Denis, seigneur de (1614-1703). Saint-Évremond occupe, dans l'histoire de la littérature du XVIIe siècle, une place à part. D’abord parce que la moitié de sa vie s’écoula en exil. Ensuite et surtout parce qu’à cet éloignement géographique s'ajouta, bien plus déterminante, la marginalité qui résultait de ses prises de position : gentilhomme soucieux de conserver son image d’honnête homme, il adopta, dans sa vie comme dans son œuvre d’essayiste, une attitude d'amateur averti mais distant. Cette double distanciation fut propice à un regard critique sur la vie intellectuelle, littéraire et sociale de son temps. Humaniste inavoué, épicurien et sceptique, il représente un trait d'union entre l’âge des libertins érudits Ivoir Libertins] et celui des Lumières.
 
De l'ambition au repos dans l'exil
 
Cadet d’une famille de vieille noblesse normande, Saint-Évremond était destine à la magistrature et reçut, dans cette perspective, une solide formation de base. Mais à l’âge de dix-neuf ans, il abandonna cette voie pour se tourner vers la carrière des armes, où il Fit bonne figure. Dans les années 1640, il appartint à l’état-major du prince de Condé (alors en pleine gloire) et se lia avec les membres de la plus haute noblesse, devenant notamment l’ami du maréchal-duc de Gramont. Il fut aussi en contact avec les plus éminents humanistes de l’époque : Gassendi — qui fut son maître —, mais aussi Heinsius, et, plus tard, il connut Spinoza et Vossius.
 
Ainsi se dessine sa double image de jeune noble aux mœurs libertines et d’érudit, libertin aussi en philosophie. Mais il est encore, à ce moment, un ambitieux. Brouillé avec Condé, il prend parti pour la Cour durant la Fronde, ce qui lui vaut d’être nommé maréchal de camp en 1652.
 
Cependant, la découverte d’une lettre où il critiquait la politique de Mazarin le met en péril d’emprisonne-
ment, et il doit chercher refuge en Hollande (1665-1669) et en Angleterre (1661-1665 et 1670-1703).
 
Renonçant à toute ambition, il s’installe dans l’exil pour y vivre confortablement. Se vieillissant par anticipation. il se compose le personnage d’un épicurien sans âge, amateur de bons livres et de belles femmes, vivant dans la discrétion.
 
Ce temps est aussi celui de sa plus grande activité littéraire. Avant l’exil, il avait peu composé et moins encore publié : son œuvre principale était la Comédie des académistes pour la réformation de la langue française (1650), satire de F Académie et de ses prétentions à régenter la langue française. Mais, durant le temps de l’exil, il entretient une correspondance active avec des gens du monde et des gens de lettres à travers toute l’Europe, et surtout multiplie les opuscules sur les sujets les plus divers de littérature et de morale (ainsi que des pièces de vers fugitives dans le goût galant).
 
Une écriture désinvolte
 
« Je ne veux être ni critique ni auteur », proclame Saint-Évremond dans une lettre privée. De fait, ses travaux littéraires ne semblent suivre aucune méthode précise : il écrit selon les circonstances et les réflexions du moment, et la pensée progresse surtout par libres associations d’idées. Le désir de rester un mondain avant tout et le mépris à l’égard de toute pédanterie dictent cette écriture désinvolte. Mais la désinvolture est, en réalité, une esthétique raffinée.
 
Il n’écrivait pas pour le grand public. D’ailleurs, il ne se soucia pas d'imprimer ses œuvres : il les laissa imprimer. La liste des destinataires de ses ouvrages montre qu’il s’adressait à un petit cercle de « pairs » en talent, en raffinement et en mondanité. On y trouve, à côté de quelques savants (Vossius) et écrivains de premier plan (Corneille), surtout des personnalités de la haute aristocratie (les ducs de Gramont et de Créqui, la duchesse de Mazarin). Ces correspondants émérites servaient de relais vers le petit inonde des « sages » et des esprits choisis. Il y a sans doute là une part de factice; mais il est certain que l’œuvre de Saint-Evremond s’est élaborée à destination de lecteurs hors du vulgaire.
 
Aussi pratique-t-il (comme Meré, autre écrivain « honnête homme ») de préférence les formes brèves, et proches de Fart de la conversation : lettres, « réflexions », voire « pensées et maximes », tout au plus « dissertations » et « discours ». De façon significative, lorsqu’il lui arrive de former un projet plus ample il le réduit à un opuscule : ainsi les Observations sur Salluste et Tacite, envisagées d’abord comme une critique en forme, se restreignirent à un commentaire limité. Sous les noms divers qu'il utilise pour les désigner, ses écrits correspondent, en fait, très exactement au genre de l’essai. Et si l’on considère sa production de façon globale, elle s’apparente bien aux Essais de Montaigne, dont il était un lecteur assidu.
 
Son attitude comporte cependant une part de paradoxe. S'adressant d'abord à des mondains, il ne prône pas la fréquentation des livres comme source de savoir. « Je n’ai jamais eu d’attachement à la lecture », prétend-il; et d’ajouter : « Je cherche plus dans les livres ce qui me plaît que ce qui m’instruit ». Il précise même : « La connaissance des belles-lettres l„.J regarde la conversation, polit l’esprit, inspire la délicatesse et l’agrément ».
 
Mais, malgré cet anti-intellectualisme affiché, la littérature est pour lui exercice de l'esprit plus que mouvement de l’émotion. L’agrément qu’il propose à ses lecteurs est donc avant tout celui de l'intelligence. Offrant des « réflexions » agréables, tout à l’opposé des lourds traités pontifiants, il recourt aux effets d’ironie, de prété-rition, et son style est riche de formules lapidaires tout

« ensemble exemple et théorie : « Où 1' esprit a si peu à faire, c'es t une nécessité que les sen s v i ennent à languir ».

Toujour s fo ndée sur l'exerc ice de la raison, sur la recherch e de l 'expression juste, son écriture s'inscrit bien dans le fil de 1 'esthétiq ue c lassiq ue; dés in volture et fantaisie n 'y so nt jamais négligence ou licence.

Un hé riti er d es li bertin s Élève de G assend i et lecteur de Montaigne , Saint­ Évremond a pour thème de réflexion favori l'homme et la société.

D'où , dans le domaine littéraire, sa prédilec ­ tion pour les historien s, qui donnent Je récit des actio ns des hommes, ct po ur les auteurs tragique s, qu i en don­ nent la repr ésentatio n.

D'où aussi, comme chez M ontai ­ gne, une extrême atte ntion à soi-même.

Mais il affirme que la conscience de soi passe surtout par l'image que l'o n se con struit : «L'i dée qu'on a de so i par la simple atte ntion à se considérer du dedans est toujours un peu co nfu se : l'image qui s'e n exp rim e au-dehors est beau­ coup plus nette, et fait juger de nous beaucoup plus sai nement quand e lle repasse à J'examen de l'espri t après s'êt re présentée à nos yeux».

Le « connais-toi toi-même» se trouve de la sorte déplacé ve rs !'«être- là » et le «f aire », ct Saint ­ Évremond récuse l'idée d'un «être», d'une «nature humaine » éternels ou intemporels.

Pour lui , ils varient au fil de l'his toire: «Ce n'est pas tant la natur e hum aine qu'il faut expliquer que la conditio n hu mai ne qu 'il faut représ enter ».

Cette option, très moderne pou r l'époqu e, Je conduit à un scepticisme so uri ant mais impitoyablement ironi ­ que .

Il se m anif este en particulier dans ses commentaire s s ur les ouvrage s historiques : Sa int-Évremond est un démolisseur de héros, s'ingéniant à discerner sous les images brillante s et les lége nde s créées par les historio­ graphe s bien -p ensants les travers et les mes quin eries des personnages les plus illust res; un bon exem ple en est la façon dont il démythifie Mécène , que tous les écrivains de son temps prése ntaient sous un jour ava ntag eu x e n sa qu alité de protecteur des lettres.

Ou bien il conserve so n admiratio n envers un grand homme, mais en la gauchis ­ sant : en Cés ar il r emarque les mérites du cyn i sme, que les histor ien s et commen tateu1·s é vitaien t de souligner.

Sceptique à l'égard de l' homm e, il se forge un e morale où l es illus ions génére uses n'ont pas de plac e .

En disci ple de l' ép icurisme que Gasse ndi lui a enseigné, il fo nd e son éthique personnelle sur la recherche d'une volupté qu'il assimil e à la sagesse, à l'art du divertisse­ ment mo déré (il condamnait les éclats des libe rtins débauchés).

So n scepticisme est tout aussi pr ofond en matière de re l igion (même s'il évita it de choquer ouverteme nt) .

Comme les libertins érudits, il dé teste les jésuites (Conve rs ation du maréchal d'Hocquinco urt et du P.

Canaye, 1665?) et leur prosélytisme ( qu'il connaissait de première main, ayant été leur élève), dénonce les croyances en la sorcelleri e et tous les fanatismes.

H ostile à la métaphysique, il rejett e l 'espri t de sys tèm e dans tous l es domai ne s de la connai ssa nce et opte pour l'humilité deva nt ce qui est inacces si ble à l'entendement humain, pour l'accep tation d 'un savoir limité.

Cet te attitude de d o ut e c ritique apprise des li ber tins le rapproc he de cer ­ tains dissi dents huguenots (Bayl e) ct prépare la voie aux Philosophes du siècle sui va nt.

Sa critique de la société n'est pas moins r adic ale.

Gentilhomme de vieille souche, il n'hésite pas à dénon ­ cer ce qui faisait la base même de l'idéologie nob i liaire, l'honneur érigé en valeu r sup rême et symbo le de la dé fense du lignage.

Il n'y voit qu'un art de fein dre, qui dissimule mal la toute-puissance des pencha nts person- nel s : «C 'est l'honneur qui s'effo rce quelquefoi s de cacher les d éfa ut s du cœur, qui joue le personnage de la tendresse, qui sauve le s apparences pour quelque temps, j usq u'à ce que l'inclina t ion se réveille et qu'elle reprenne sa premi ère vigueu r».

Pas plus que les valeurs de l'héroïsme nob iliaire, les valeurs natio nales ne trouvent grâce à ses yeux.

Ses Observations sur le goût et le discernement des Français (1684 ) remette nt en q uestion le chauvinisme cultur el alors en vogue et e ntretenu par les dirigeants politiques.

Avec luii nru"t une co nception du cosmopo litisme qui , empruntant au sièc le p r écéde nt l'image d'une « r ép ubli ­ que des lettres » ra ssemblan t sans souci des frontière s tous les bons espr its, envi sage une Europe des es prit s l ibres où 1' exi l n'aur ait plus de sens.

A l'égard d e l'absol utisme, ses critiques ne sont pas moindres.

Elles lui valur ent le bannissement, et il les tint par la suite aussi secrètes que possible.

Mais son attitude est typique de la dupli ci té prati qu ée pa~ les libertins.

Il se déclare attaché au roi, qui incarne J'Etat.

Il joint à ce respect celui de la reli gio n d'État, qu'il tient pour un cadre nécessaire au peuple.

Mais en secret , il inclin e au républicanisme.

Ses commentaires critique s s ur l'his ­ toire récente (dont, bien sO r, la Lettre de 1659) ou ses Réflexions sur l a répu bliqu e r oma ine (1663) laissen t per­ cer ses options, qu'il évita cepe ndant de formuler en termes sys téma tisés , so uc ie ux de ne pas jouer, dan s son exi l, le personnage d'un opposa nt mi litant.

Au contrair e, il affirmai t que la politiqu e suivie par Lou is XIV confir­ mait se s propre s critiques co ntre Maz arin (Lettre à Lionne, 1668) .

Un critiqu e de goût Les OIPtions éthiques et socia l es de Saint-Évremond n'appara iss ent, au fil de ses ouvrages, que de façon frag­ mentée; ses options d 'ordre esthétique s'y affirme nt de façon plus s uivie.

C'est d'ailleurs en sa qualité de cri tiq ue qu 'il jouis sait auprès de ses contemporains de l'autorité la p lus grande .

Celle-ci éta it avant tout fon dée sur sa qualité de «co n naisse ur».

Car s'il feignait de mépriser J'érudition, so n savoir était reconnu et lui co nfé rait les compétences d'un «do cte».

Mais les critè res s ur l esque ls il appuie ses jugements s e veulent avant tout «mon dains», et il se pose en critique de goût, n on en théoricien.

Chez lui , Je goût est indépendant de la mode : il est, au contra ire , émanation de la raison.

Ain si, dans une le ttre à Corne ille, qui se plaignait d 'être attaqué par les partisans de R acine (avril 1668), il met en avant, contre le s opinio ns à la mode, l'avi s dtl sava nt Vossius (favo ra­ ble à Corne ille) et enchaîne : « Se ra it-il arrivé du bon goût co mme des modes, qui comme ncent à s'établir chez les étrangers qu an d elles se passent à Paris? [ ...

) J e crois que l'influence du mauvai s goût s'e n va passer, et la première pièce que vous donnere z au public fera v oir par l e reto ur de ses appla udissem e nts le recouvreme nt de son b o n sens ct le rétablissement de sa raison ».

Comme l'a montré Q.M.

Hope, le bon goût selo n Saint-Évremond s'ordonne autour de troi s notions clefs : l a délicatesse, le bon sens, le naturel.

La délicatesse permet de discerne r les qualités de l'expression, qui doit être aussi mesur ée et exacte que possib le.

L e boo sens prés erve les prérogati ves de la raison.

Le naturel défend les droits de l'émotion et du plaisir.

Car la donnée premiè re, chez cet homme de raison, re s te le mouvement de la sensib ilité : un ouvrage n'es t digne d'intérêt que s'~l «to uch e» e t «a nime».

De ce fait, le g.oû t de Sain t- Evremond accorde une place pré­ pondérante , parmi les genre s littérai re s, à la tra gédie, plus que toute autre forme capable d'« enleve r l'âme».

Mais ce Lte réaction première ne fait pas disparaître les. »

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