Sonnets de Luis de Gongora
Publié le 12/04/2013
Extrait du document
Deux grands peintres espagnols se sont intéressés à Gongora : Velazquez qui a fait, du vivant du poète, un portrait devenu célèbre, et, 320 ans après sa mort, Picasso. En 1947, ce dernier a recopié à la plume certains de ses sonnets qu'il a illustrés en marge. Ainsi, Picasso orne en particulier de deux figures féminines, l'une libertine, l'autre quasi religieuse, le sonnet III qui commence par ce vers : « L'urne du pauvre et le royal tombeau ... « .
«
EXTRAITS
Dans ce sonnet écrit à l'âge de vingt et un ans (en 1582),
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le poète traite d'un thème cher aux épicuriens, celui du temps
qui passe et de ces roses de la vie qu'il faut cueillir sans
attendre
«Puisqu'à celle pour qui je gèle ardent/ ( ...
)Amour engrave/ le vermeil et la neige
du visage/
en ton tranquille et
brillant mouvement ...
»
•.
•
~
Tant que pour lutter avec tes cheveux
l'or bruni brille en vain sous le soleil ;
tant qu'au milieu de la plaine ton front
candide nargue le superbe
lis;
Tant que plus de regards pour les cueillir
cherchent tes lèvres que l 'œillet précoce,
tant que triomphe en un joyeux dédain
de l'ivoire brillant ton noble
col:
Jouissez, col, cheveux, lèvres et front,
avant que ce qui
fut en ton bel âge
or, œillet, lis et cristal lumineux,
Pis qu'en argent ou violette coupée
se change, mais toi-même avec cela,
en terre, ombre, fumée, poudre, néant.
Dans cet autre sonnet, l'ecclésiastique qu'était Gongora
aborde la
mort de façon quelque peu blasphématoire :
L'urne du pauvre et le royal tombeau,
visite-les, mémoire, sans terreur
en cet espace où
le bourreau des heures
d'un égal pied fit des pas inégaux.
Retourne des mortels ces oripeaux :
ces os blanchis, ces cendres sans chaleur
en dépit du plus vain que pieux leurre
des précieux baumes orientaux.
Puis descends dans l'abîme au sein duquel
blasphème l'âme et dont les murs résonnent
d 'un bruit de plainte
et de fer éternel
si du moins,
ô mémoire, tu espères
nous délivrer de la mort
par la mort
et par l'enfer triompher de l'enfer.
,
Treize sonnets et un fragment
traduction de Philippe J accottet
NOTES DE L'EDITEUR « Gongora -1' absolu -écrit aujourd'hui
le romancier Philippe
Sollers -dans
Considéré comme le chantre du baroque, et
très prisé par Cervantes, Luis de Gongora
est tombé dans l'oubli lorsque,
à la fin du
xvne siècle, l~art baroque, précisément, est
passé de mode.
Il
n'en est sorti que près de
deux siècles plus tard, lorsque certains
artistes et poètes contemporains, comme
Pica~so, Federico Garcia Lorca et Francis
Ponge, ont insisté sur la perfection de sa
langue.
son
pari sur la langue devient le poète
universel de
" l'or intuitif" consacré par
les
" annales diaphanes du vent ".
Le jeune
vieux satyre
Picasso avait donc raison avec
ses minotaures et ses mousquetaires :
c'est Gongora l'anticipateur, depuis sa
vision plus large que tous les massacres
sourds du
xxe siècle, qui montre la voie
de la dépense, gratuite et fulgurante,
à l'Europe et au monde entier.
»
1 pe inture de Vela sq uez I Exp lorer archives 2, 3, 4 grav ures de Pablo Picasso , éd.
Les Livres merveilleux ,, M onaco, 1948 / B.N.
Sonnet « à la mort violente que donna
François Ravaillac
au roi Henri IV de France»
Le Monde des livres, 17 avril 1992.
Et, pour
Philippe J acottet, traducteur des
Treize sonnets et des Solitudes, l'une des
vertus les plus frappantes de Gongora, qui
a de quoi séduire
Ponge« c'est l'attention
aux choses visibles, saisies comme par
l'œil avide et prompt d'un rapace».
Treize
sonnets et un fragment,
introduction,
La Dogana, Genève,1985.
GONGORA Y ARGOTE 02.
»
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