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VIGNY : Cinq Mars

Publié le 30/06/2011

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vigny

« Mes études historiques furent poussées fort avant dès l'enfance «, révèle Alfred de Vigny en 1837 dans le Journal d'un Poète ; et il ajoute qu'au retour de la pension Hix il interrogeait passionnément son père sur les personnages dont il avait appris les noms. Aussi ne doit- on pas s'étonner qu'il ait emprunté à l'histoire les éléments de son premier récit en prose. Cinq-Mars, publié en 1826, évoque les luttes que menèrent les nobles, sous Richelieu, pour la sauvegarde de leurs privilèges et de leur dignité.

vigny

« successivement de porte-parole au jeune aristocrate déçu pour exprimer sa nostalgie de la France féodale.

Le vieuxmaréchal de Bassompierre rappelle que tout gentilhomme de haut lignage frayait jadis d'égal à égal avec le souverain: « La Cour autrefois n'était autre chose que le salon du Roi, où il recevait ses amis naturels, les nobles des grandesmaisons, ses pairs...

» M.

de Thou insiste sur le loyalisme des vieilles familles et sur leur mission dans l'État :Parlez hautement au Roi du mérite et des malheurs de ses plus illustres amis que l'on écrase ; dites-lui sans crainteque sa vieille noblesse n'a jamais conspiré contre lui; [...] dites-lui que les vieilles races de France sont nées avecsa race, qu'en les frappant il remue toute la nation et que, s'il les éteint, la sienne en souffrira...Quant au chef des conjurés, il se prétend guidé par l'amour de la patrie et souligne l'intérêt national de la lutte quiva s'engager entre le Premier Ministre et lui :Si Richelieu triomphe, les antiques monuments de la monarchie crouleront avec moi ; la Cour régnera seule à la placedes Parlements, antiques barrières et en même temps puissants appuis de l'autorité royale ; mais soyons vainqueurs,et la France nous devra la conservation de ses anciennes mœurs et de ses sûretés !Vigny prête ainsi à ce gentilhomme les idées qui seront, un siècle plus tard, celles de Montesquieu : comme l'auteurde L'Esprit des Lois, son héros voit dans la ruine des prérogatives nobiliaires et parlementaires la cause originelled'un irrémédiable divorce entre le monarque et le pays.

Tel est aussi l'avis que professe, à la fin du roman, le grandCorneille lui-même, commentant avec Milton l'exécution des deux jeunes gens : « Leur dernier soupir a été celui del'ancienne monarchie.

»Il ne nous appartient pas de discuter les théories du jeune romancier.

Nous ne pouvons douter, en tout cas, de sasincérité.

A ses yeux, les nobles, au xixe siècle, sont devenus des « parias » ; et la responsabilité de leur déchéancesociale n'incombe pas à la Révolution, qui fut un effet autant qu'une cause, mais à ceux d'entre les hommes del'Ancien Régime dont la politique criminelle a sapé les fondements du vieux système féodal. II La faveur du public n'empêcha pas la critique de formuler des réserves sérieuses à l'égard de Cinq-Mars.

Sainte-Beuve, notamment, dans un article non signé du Globe, jugea que Vigny prenait avec l'histoire des libertés biensingulières ; et sa sévérité appela une réplique, d'ailleurs nuancée, de Victor Hugo.

Peut-être faut-il voir dans cettecontroverse l'origine de l'essai apologétique Réflexions sur la Vérité dans l'Art, que l'auteur de Cinq-Mars rédigea en1827 et qu'il devait publier six ans plus tard, en tête de la cinquième édition du roman.Vigny constate la vogue du roman historique, mais souligne en même temps son originalité personnelle, qui consisteà placer « sur le devant de la scène » les personnalités dominantes de leur siècle.

Il a voulu d'ailleurs avant toutécrire une œuvre philosophique et s'est servi de l'art comme d'un instrument destiné à l'illustration de sa pensée, quicommandait tout :Un traité sur la chute de la féodalité, sur la position extérieure et intérieure de la France au dix-septième siècle, surla question des alliances avec les armes étrangères, sur la justice aux mains des parlements ou des commissionssecrètes et sur les accusations de sorcellerie, n'eût pas été lu peut-être ; le roman le fut.Aussi s'est-il permis, au besoin, « de faire céder parfois la réalité des faits à l'idée que chacun d'eux doit représenteraux yeux de la postérité.

»Tout au long de l'essai, il s'efforce de justifier, sous diverses formes, cette commodité qu'il s'est accordée.L'écrivain, affirme-t-il, peut et doit librement modeler le visage du passé afin de le rendre signifiant, car « lesexemples que présente la succession lente des événements sont épars et incomplets ».

D'ailleurs, « à quoi bon lesarts, s'ils n'étaient que le redoublement et la contre-épreuve de l'existence ? » La vie réelle est trop grise pour quenous nous en contentions ; sachons nous donner le spectacle, même imaginaire, d'hommes « plus forts et plusgrands », dont l'énergie aurait façonné notre destin.

Pourvu qu'on soit fidèle à la logique des caractères et au géniedes époques, pourvu qu'on respecte « la vérité d'observation sur la nature humaine », on peut négliger «l'authenticité du fait ».Vigny a-t-il tiré de son propre fonds cette édifiante doctrine ? ou s'est-il inspiré des idées professées par Vico dansla Scienzia nuova, que Jules Michelet venait de traduire et de préfacer ? Vico affirme que certaines fables sont des« mensonges de fait », mais des « vérités d'idées » et que le « vrai poétique » est préférable, pour un philosophe,au « vrai physique ».

Personnelle ou non, la thèse énoncée par l'auteur de Cinq-Mars est incohérente.

Pourquoi seréclamer de l'histoire, quand on s'écarte volontairement de ses données ? Comment construire une vérité généraleavec des détails mensongers ? Ces Réflexions du romancier sur son œuvre sont décidément bien confuses.Vigny, cependant, persiste à défendre sa formule.

Dans le Journal de 1828, il s'efforce encore de montrer qu'à côtéde l'historien le romancier a un beau rôle à jouer dans la résurrection des époques disparues : « Le premier dominerale vieux siècle qu'il veut peindre de toute la hauteur du sien ; le second se transportera au cœur de ce siècle etl'habitera.

» Il attribuera même au roman historique la supériorité de « l'émotion dramatique » sur l'histoireproprement dite et se laissera entraîner à soutenir que « la poésie des caractères élevée jusqu'à l'unité et à lastature des figures antiques peut s'envelopper dans la réalité historique la plus exacte ».Aussi songea-t-il à élargir le dessein de Cinq-Mars et à publier une Histoire de la Noblesse en trois romans.

Unpremier récit devait décrire les atteintes portées au régime féodal lors de l'établissement des Bourbons.

Cinq-Marsaurait occupé la place centrale.

Un dernier roman, La Duchesse de Portsmouth, se serait déroulé sous Louis XIV etaurait montré l'avilissement de la noblesse à la cour.

Ainsi eût-on assisté à la dégradation, par étapes successives,de cette classe autrefois toute-puissante, dont la Révolution de 1789 a consommé la ruine.Vigny, cependant, n'écrivit pas La Duchesse de Portsmouth.

D'autres « parias » que le Noble devaient retenir defaçon plus urgente son attention et sa pitié : le Poète, je Soldat, le Théosophe.

En outre, il allait découvrir peu àpeu les inconvénients du roman historique.

« Le Roman, quel qu'il soit, est dans le domaine de l'Art ; l'Histoire, quelleque soit sa forme, est dans le domaine de la Philosophie et ne tient point à l'Art », s'avouait-il dès 1830.. »

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