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L'AFFAIRE VILLEMIN

Publié le 30/11/2018

Extrait du document

L'AFFAIRE

 

VILLEMIN

 

L'affaire Villemin commence en octobre 1984. Pendant des années elle sera couverte par les médias, qui donnent un large écho à une histoire criminelle à la fois pathétique et sordide. Pathétique, parce que la victime est un enfant de quatre ans, et que c'est sa propre mère qui est accusée de l’avoir tué. Sordide, parce que toute l’affaire est vécue dans un climat de délation, de haine, et émaillée d'incroyables rebondissements. Enfin, les erreurs et les lacunes de l'enquête vont rendre malaisée la recherche d'une vérité difficile.

 

«J’ai pris le fils du chef.

 

JE L’AI MIS DANS LA VOLOGNE.»

 

La vallée de la Vologne, dans les Vosges, est belle mais sévère. C’est un pays fermé, au climat rude, et dont la population, mi-paysanne mi-ouvrière, n'est guère expansive. Ce qui ne s'exprime pas se fait secrètement et l'on apprendra, à l’occasion du drame, que depuis des années certaines familles sont victimes des insultes et des menaces d’un «corbeau».

 

L’affaire commence le 16 octobre 1984, à Lépanges. Michel Villemin, un ouvrier, homme fruste, presque analphabète, regarde la télévision chez lui, lorsqu’il reçoit un appel téléphonique anonyme: «J’ai pris le fils du chef, je l’ai étranglé et jeté dans la Vologne. Sa mère le cherche, mais ne le retrouvera pas. C’est ma vengeance!» Le «chef», c’est le frère de Michel, Jean-Marie Villemin, ainsi surnommé parce qu’il a «réussi» dans la vie: ouvrier, il est devenu contremaître; il est passé de la blouse bleue à la blouse blanche, de l'HLM au pavillon. Son épouse, Christine, travaille à la manufacture de Lépanges, et ils ont un petit garçon de quatre ans et demi, Grégory.

 

Les gendarmes sont prévenus et tentent d’alerter la maman de Grégory mais ils ne peuvent la joindre. En principe, elle a dû quitter l’usine à 16 h 50 et monter dans sa R5 pour aller reprendre Grégory chez sa nourrice et rentrer chez elle. A-t-elle été effectivement d’abord chez la nourrice, puis chez un voisin, M. Méline, pour signaler la disparition de son fils? Différentes versions coexisteront, mais ces quarante minutes, entre 16 h 50 et 17 h 30, seront capitales pour savoir si Christine a eu oui ou non éventuellement le temps d’aller chercher son fils et de le noyer. En tout cas, et d’après la séquence qu'il affirme avoir suivie à la télévision, c'est à 17 h 32 que Michel Villemin a reçu l’appel téléphonique.

 

Vers 18 h, le père de Grégory, Jean-Marie Villemin, au travail dans son usine de Granges-les-Bruyères, est prévenu : Grégory a été enlevé... À 21 h 30, le corps de l’enfant est repêché dans la Vologne, au barrage de Docelles. Le petit garçon a les yeux fermés, les traits calmes mais, curieusement, son corps est encore souple, entouré de liens assez lâches.

 

Le lendemain, 17 octobre, une nouvelle lettre du «corbeau» arrive chez les parents: «J’espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n'est pas le fric qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con.» Détail capital: cette lettre a été postée à Lépanges avant la levée du soir.

 

Pour les enquêteurs, pas de doute: il faut chercher le criminel dans l’entourage immédiat des Villemin et, quand on aura trouvé le «corbeau», on aura trouvé l’assassin. Sont chargés de l’affaire le procureur de la République, M. Lecomte, le capitaine Sesmat, chef de la brigade de recherches de la gendarmerie, et un jeune juge d’instruction dont on parlera beaucoup, M. Lambert. Ceux-ci sont confrontés à une vaste parenté, avec quantité de cousinages, avec des gens qui ne s’aiment guère, s’épient, se jalousent. Le ménage Jean-Marie Villemin est particulièrement envié: deux salaires, deux voitures, une villa neuve, de quoi déclencher la haine d’une volée de corbeaux... Pourtant, la rumeur dit vite que la mère de Grégory, Christine, n’est pas très heureuse, quelle trouve son milieu médiocre et même assez méprisable, quelle rêve d’un autre destin que celui d’ouvrière dans une humide vallée des Vosges, et qu’elle se verrait bien à la tête d’un magasin dans le Midi.

 

En tout cas, les enquêteurs n’envisagent d’abord absolument pas la culpabilité de Christine. Par principe et suivant en cela l’opinion publique, ils estiment qu’«une mère ne tue pas son enfant».

Deux hypothèses sont finalement formulables. Soit Christine Villemin n’est pas rentrée chez elle à 17 h comme elle le prétend, mais elle a filé vers la rivière après avoir pris Grégory chez la nourrice ; elle a pu aussi confier l'enfant à un complice et aurait donc ensuite joué la comédie de la recherche. Soit l'enfant jouait effectivement devant la maison et il a été enlevé, sans doute par quelqu'un qu'il connaissait et qu’il a suivi sans crainte. Et Bernard Laroche — ou quelque autre membre de la famille — ferait — aurait fait — un ravisseur idéal.

 

Mais le climat empoisonné de l’affaire, les divers mobiles possibles du crime constitueront autant de freins à l'enquête, qui grossira au fil des ans, jusqu’à constituer un dossier de plusieurs milliers de pages: l’«affaire Villemin»...

 

Quelques faits notoires interviendront cependant. Pendant l’été 1986, Jean-Marie Villemin est renvoyé devant la cour d’assises des Vosges pour l’assassinat de Bernard Laroche (il sera remis en liberté sous contrôle judiciaire fin 1987). Le même été, le juge Lambert obtient une mise en disponibilité pour raisons personnelles. Il publiera ensuite un ouvrage, on le verra à la télévision, puis il se retrouvera juge assesseur au tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse.

 

Le 9 décembre 1986, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nancy renvoie Christine Villemin devant la cour d’assises, mais trois mois plus tard la Cour de cassation casse l’arrêt de Nancy et renvoie la procédure devant la chambre d’accusation de la cour de Dijon, dont le président Maurice Simon reçoit la charge du dossier. Tout repart de zéro, le magistrat revoit la procédure, va sur le terrain et entend de nouveau aussi bien les époux Villemin (assignés à résidence dans l’Essonne) que certains proches comme Marie-Christine Villemin ou Michel Villemin, en septembre 1989.

 

Les acteurs

 

Mais l’«affaire Villemin», c’est aussi une étonnante galerie de personnages, devenus peu à peu familiers des Français qui prirent l’habitude de les voir dans les journaux et à la télévision. Et d’abord, Christine Villemin. Femme étonnante, sans grande envergure peut-être, mais volontaire, ambitieuse, et jouant bien son rôle de «vedette malgré elle». Elle fera la couverture de cinquante magazines à grand tirage. Son époux, Jean-Marie, fut sans doute, lui, le protagoniste d’un drame qui le dépassait.

« J.. :AFFAIRE VILLEMIN.

Le juge Lambert (ci-dessous, dans les rues d'Épinal en juin 1985) demandera une mise en disponibilité pour • raisons personnelles • et abandonnera l'enquête.

© Orban · Sygma I:AFFAIRE VILLEMIN.

Christine Vil/emin, la mère du petit garçcn assassiné, est elle aussi soupçonnée du meurtre.

© Orban · Sygma I:AFFAIRE VILLEMIN.

En octobre 1985, à Docelles, a lieu la première reconstitution du drame sur le barrage de la Vologne où a été retrouvé le corps de Grégory.

© Herzog -Sygma Et puis, il faudrait pour cela un motif hors du commun; on ne se «venge» pas d'une situation médiocre, en tout cas on ne la fait pas évoluer en assassinant son propre enfant.

Voilà pourquoi Christine n'est pas conviée à participer aux premières dictées destinées à confondre le «corbeau>> et pourquoi les enquêteurs ne font aucune perquisition chez elle.

L' AFFAIRE BERNARD LAROCHE Interrogée, Christine Villemin réfléchit avec les enquêteurs.

Qui soupçonner? Il pourrait bien y avoir un cousin avec lequel on est fâché et dont on s'est déjà demandé ...

mais le cousin a un alibi.

On pense alors à un autre cousin, un certain Bernard Laroche, qui fut autrefois un proche de Jean-Marie.

Mais la vie a séparé les deux hommes qui ont pris des chemins différents: Jean-Marie avait de l'ambition, une certaine agressivité, alors que Bernard s'est satisfait d'un sort médiocre tout en militant à la CGT.

Mais Laroche a une petite belle-sœur, mineure, Muriel Bolle.

Est-ce pour jouer un rôle, ou bien a-t-elle été impressionnée voire «Cuisinée» par les gendarmes? Toujours est-il que, malgré des incohérences, elle finit par déclarer que Laroche a enlevé en voiture le petit Grégory, qui jouait devant chez lui avec ses petites voitures, et qu'il l'a emmené vers la Vologne ..

.

La révélation surprend d'autant moins que Laroche avait déjà été placé en garde à vue après l'exper­ tise graphologique.

Bien sûr, il sait à peine écrire, mais les lettres du «corbeau» sont en «bâtons», et si certains graphologues y voient la main d'une femme («c'est un crime de femme», dira un expert), on peut imaginer que la femme de Bernard, Marie-Ange, n'est pas non plus innocente ...

Le 5 novembre, Bernard Laroche est inculpé d'as­ sassinat et écroué.

De plus, les expertises en cours lui sont défavo­ rables.

Deux jours plus tard, le 7, Muriel revient sur son témoi­ gnage et innocente son beau-frère.

Laroche est libéré le 4 février 1985, mais il demeure inculpé.

Le 25 mars, coup de théâtre: après une nouvelle expertise, Christine, qui reste le témoin capital puisqu'elle est la dernière à avoir vu Grégory vivant, est soupçonnée d'être le «corbeau»: on a par exemple relevé qu'à chaque vague de messages anonymes sa facture téléphonique augmentait sensiblement.

Cette hypothèse la met d'emblée en posture d'assassin ou de oomplice de l'assassin.

À ce moment, Christine est enceinte d'un 100is et l'événe­ ment émeut l'opinion publique.

Une opinion qui ne se doute pas que Jean-Marie est à bout, obsédé par son désir de savoir la vérité et de protéger Christine.

Celle-ci a acheté récemment un fusil de chasse, et tous deux guettent Laroche à trois reprises pour le tuer.

Le 29 mars, persuadé que son cousin est coupable, que la justice est défaillante, que Grégory doit être vengé, Jean-Marie se rend, fusil à la main, chez Laroche et l'abat.

Puis il se rue vers la clinique où Christine se repose, et il crie: «J'ai fait ça pour toi.

N'oublie pas.

J'espère que tu m'atten­ dras», avant de tendre ses poignets aux menottes.

Laroche mort, la justice semble désemparée.

On s'interroge beaucoup sur l'enquête mal menée des gendarmes, et surtout sur la personnalité du «petit juge» Lambert (il a trente-deux ans) qui ne semble pas de taille à affronter une affaire aussi compliquée, dans cette atmosphère digne des romans de Simenon.

I.:enquête continue cependant et l'attention se porte notam­ ment sur les cordelettes qui ont servi à ligoter Grégory.

On en trouve de semblables dans l'usine où travaille Jean-Marie, et la PJ en saisit au domicile de celui-ci.

Mais qu'en conclure? Il en .existe partout dans le p ays ...

En tout cas, Laroche mort, le juge Lambert en revient na­ turellement à l'hypothèse Christine et, le 5 juillet 1985, il inculpe celle-ci pour l'assassinat de Grégory et la met en prison.

Voilà donc le couple incarcéré: coupable ou victime? Après une grève de la faim de cinq jours, Christine est libérée le 16 juillet et ptaœe sous contrôle judiciaire.

I.:opinion publique va continuer à s'interroger.

Cest l'é­ poque où il n'est pas une conversation sans qu'intervienne la phrase classique: «Vous la croyez coupable?» Il faut en fait revenir aux éléments du dossier pour tenter de se faire une opinion.

LEs POINTS FORTS DE t:ENQUÊTE Il existe plusieurs éléments indiscutables, qui seront étudiés pendant des années, minutés, contrôlés a posteriori; ils tournent presque tous autour de Christine Villemin et contrib ueront à mainte­ nir celle-ci au premier rang des suspects.

Et d'abord la lettre anonyme annonçant la mort de Grégory.

Elle est arrivée le lendemain de l'assass inat.

Or trois oompagnes d'u­ sine de Christine affirment qu'elles ont vu cdle-ci, la veil� (date de l'envoi, cachet de la poste), descendre rapidement de sa voiture, jeter une lettre à la boite et redémarrer.

le mardi, disent-dies.

«Pas du tout, répond Christine, c'était le lundi.

Cétait une oommande par correspondance de vêtements pour Grégory,._ Bien entendu, on véri­ fie.

C'est exact.

Mais les compagnes de Christine s'entêtent et l'une affi rme que c'est bien le mardi puisqu'cl� a éwqué cet épisode en apprenant dans la soirée la dispari tioo de G�ry, c'est·à�ire avant l'arrivée de la lettre.

Autres éléments du dossie r: les didées de l'enquête de gen­ darmerie.

Le capitaine Sesmat en a fuit faire 147! Otristine Villemin. »

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