Devoir de Philosophie

Le Petit Parisien Dimanche 24 mai 1885 MORT DE VICTOR HUGO La fatale nouvelle - à laquelle hélas !

Publié le 23/10/2012

Extrait du document

hugo
Le Petit Parisien Dimanche 24 mai 1885 MORT DE VICTOR HUGO La fatale nouvelle - à laquelle hélas ! il fallait s'attendre - vient de nous arriver : VICTOR HUGO EST MORT. L'illustre poète a rendu le dernier soupir hier, vendredi 22 mai, à une heure et demie. Dès avant-hier soir, il n'y avait plus aucun espoir à garder, et ceux qui sortaient de la maison du Maître sanglotaient. L'agonie avait commencé. Devant le lit de Victor Hugo, Georges et Jeanne, les deux petits-enfants, pleurent, - baisant les mains de l'auguste aïeul. Il y a, aux abords de la maison, une foule considérable, dont l'émotion est indescriptible. VICTOR HUGO La France doit prendre le deuil : le plus illustre de ses enfants a succombé. On peut dire de l'homme qui vient de s'éteindre qu'il a rempli son siècle : ce siècle portera son nom : né avec lui, Victor Hugo l'a accompagné presque jusqu'à sa fin ; il l'a fécondé, l'a fait pleurer, palpiter, soupirer, et, après en avoir illuminé l'aurore, il en a éclairé radieusement le déclin. Et quand on pense que lorsqu'il naquit, celui qui devait devenir le plus grand écrivain de la France était moribond : Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix Si débile, qu'il fut, ainsi qu'une chimère, Abandonné de tous, excepté de sa mère, Et que son cou ployé comme un faible roseau Et faire en même temps sa bière et son berceau : Le moribond ne mourut pas : il a dit lui-même « quel lait pur, que de soins, que de v?ux, que d'amour « le firent « deux fois l'enfant de sa mère obstinée «. L'enfant grandit. Mme Victor Hugo a écrit qu'elle entendit plusieurs fois la mère du poète raconter sa venue au monde : Elle disait qu'il n'était pas plus long qu'un couteau. Lorsqu'on l'eut emmallioté, on le mit dans un fauteuil, où il tenait si peu de place qu'on eût pu en mettre une demi-douzaine comme lui. On appela ses frères pour le voir : il était si mal venu, déclarait la mère, et ressemblait si peu à un être humain que le gros Eugène, son frère, qui n'avait que dix-huit mois et qui parlait à peine, s'écria en l'apercevant : « Oh ! la bébète ! « Dans une page superbe, Victor Hugo a ainsi raconté comment il fut élevé et comment il sut se dégager lui-même des choses du passé et venir à la République, dont il a été le champion glorieux : « L'auteur est fils d'une vendéenne et d'un soldat de la Révolution. Il a subi les conséquences d'une éducation solitaire et complexe où un proscrit républicain donnait la réplique à un proscrit prêtre. Mais il n'a jamais fait un pas en arrière. Jamais, dans tout ce qu'il a écrit, on ne trouvera un mot contre la Liberté. Il y a eu lutte dans son âme entre la loyauté, que lui avait imposée le prêtre catholique, et la Liberté, que lui avait recommandée le soldat républicain : la Liberté a vaincu. Là est l'unité de sa vie. Il cherche à faire prévaloir en tout la Liberté : la Liberté, c'est, dans la philosophie, la raison ; dans l'art, l'inspiration ; dans la politique, le droit. Victor Hugo laisse une ?uvre indestructible : elle est d'une telle hauteur qu'elle dominera les âges. Comme écrivain, comme poète, il a déterminé en France la rénovation la plus complète et la plus éclatante dont il soit fait mention dans l'histoire des lettres ; il a changé la face de l'Art. Et quel génie multiple que le sien ! Il a été le poète de la couleur, le poète de la grâce et de la rêverie, le poète de l'amour loyal et du bonheur intime, le poète de la pitié, le poète de la nation glorieuse ou vaincue, du guerrier qui combat ou du soldat qui meurt, et il a été aussi le poète des enfants, aimant les petits d'une tendresse sans bornes et sentant grandir dans ces fleurs de chair qui s'ouvrent l'espérance de la patrie ! On ne se trompe pas en disant que Victor Hugo a incarné en lui le génie de la France moderne, car, en effet, c'est le seul poète qui ait chanté la France de 1789, la France républicaine, la France enfin telle que l'a fait notre grande Révolution ! Ce qui paraissait surtout prodigieux, c'est la robusticité, la verdeur, la force que son esprit avait gardées jusqu'aux limites extrêmes de la vie. La calomnie, les persécutions, l'exil, les deuils s'étaient abattus sur lui ; il avait vu mourir sa fille, sa femme et ses fils ; sa famille nombreuse s'en était allée tout entière ; lui, le patriarche à barbe blanche, était resté seul avec ses deux petits-enfants ; et après cette vie douloureuse et laborieuse, il ajoutait des chefs-d'?uvre à ses chefs-d'?uvre ! Rien, pas même l'âge, ne pouvait vaincre la puissance de son génie, et tous les poèmes s'agitaient dans son esprit, ainsi que mille oiseaux battant de l'aile et chantant dans la vieillesse d'un chêne ! Son ?uvre contient tout : épopée, ode, idylle, chanson, drame, roman, histoire, philosophie, satire, science ! Victor Hugo était un travailleur infatigable. « Nulle journée sans une ligne «, disait-il. A six heures du matin, il était levé. C'est à une telle activité que nous devons cette colossale et sublime série d'?uvres qui semblent faites de bronze et qui défient tous les assauts du temps ! Mais ce qui a fait que cet illustre poète, que cet écrivain merveilleux, que cet incomparable assembleur de mots a eu une telle gloire qu'il n'en est point qui lui puisse être égalée, c'est qu'il ne s'est point contenté d'être un penseur : il a été aussi un lutteur. Il n'a point voulu être seulement la tête qui médite : il a été aussi le bras qui agit. Et voilà pourquoi le peuple l'a aimé et vénéré ! Avec quelle éloquence, en 1851, il défendit la République à la tribune de l'Assemblée législative ! Il faut relire ses réquisitoires passionnés contre le retour aux idées monarchiques et surtout contre l'astuce de Louis-Bonaparte, rêvant dans l'ombre la restauration de sa dynastie ! Dans l'une des séances, Victor Hugo tint, superbe d'indignation, la tribune durant cinq heures pour protester contre le rétablissement de l'Empire. Lorsque le coup d'Etat eut lieu, il fut placé en tête des listes de proscription. Il fit partie de la fraction de l'Assemblée qui, repoussée du Palais-Bourbon, organisa la résistance et en appela au peuple contre le prince qui, traître à son serment, égorgeait la République. Puis, il fallut fuir. On sait ce qu'a été l'exil de Victor Hugo : plein d'une mâle dignité ! Debout sur le rocher de Guernesey, l'illustre vieillard défiait l'Empire. C'est de là qu'il a, dans les Châtiments, marqué du fer rouge Bonaparte et ses complices. Tous, l'Empereur et ses valets, ont gardé à jamais la flétrissure du poète, qui vengeait la nation ! - « Quand la liberté rentrera, je rentrerai ! « avait dit Victor Hugo. Il rentra, en effet, après la chute de l'Empire. Nommé député de Paris à l'Assemblée nationale, il vota contre les préliminaires de paix et donna sa démission, parce que l'Assemblée refusait le titre de citoyen français à Garibaldi, qui venait de mettre son épée au service de la France. Elu sénateur de la Seine en janvier 1876, et réélu depuis, Victor Hugo n'avait jamais cessé d'élever la voix en faveur de toutes les mesures généreuses : c'est ainsi qu'il réclama le premier l'amnistie pleine et entière. Au Sénat qui voulait combattre la République et qui espérait la détruire, l'illustre orateur disait : « Les monarchies, comme les tutelles, peuvent avoir leur raison d'être quand le peuple est petit. Parvenu à une certaine taille, le peuple se sent de force à marcher seul, et il marche ! Une République, c'est une nation qui se déclare majeure ! « On se rappelle ce qui s'est passé en 1881, le jour de l'anniversaire de la naissance de Victor Hugo. Ce jour-là, on vit bien que le peuple aimait son poète, son défenseur : une ville entière - et quelle ville ! Paris ! - mais ce n'est pas assez dire : toute la nation, debout, salua le Maître. Quelle journée de gloire joyeuse et de triomphe consolant ! Victor Hugo, au seuil de sa quatre-vingtième année, entendit monter jusqu'à lui, poussés par un vent d'enthousiasme, les applaudissements de tout un peuple. Et dans un magnifique emportement d'admiration et d'amour, les Français acclamèrent l'auguste vieillard qui marchait vers l'avenir en entraînant son siècle, comme un voyageur a son ombre derrière lui ! Cette même foule qui fêtait ainsi le grand poète, qui lui apportait la récompense de sa vie de travail et de lutte pour la justice, elle va être frappée d'une douloureuse stupeur en apprenant la mort de celui qui, interprète de toutes les grandes idées de son sièc...
hugo

« Mme Victor Hugo a écrit qu'elle entendit plusieurs fois la mère du poète raconter sa venue au monde : Elle disait qu'il n'était pas plus long qu'un couteau.

Lorsqu'on l'eut emmallioté, on le mit dans un fauteuil, où il tenait si peu de place qu'on eût pu en mettre une demi-douzaine comme lui.

On appela ses frères pour le voir : il était si mal venu, déclarait la mère, et ressemblait si peu à un être humain que le gros Eugène, son frère, qui n'avait que dix-huit mois et qui parlait à peine, s'écria en l'apercevant : « Oh ! la bébète ! » Dans une page superbe, Victor Hugo a ainsi raconté comment il fut élevé et comment il sut se dégager lui-même des choses du passé et venir à la République, dont il a été le champion glorieux : « L'auteur est fils d'une vendéenne et d'un soldat de la Révolution.

Il a subi les conséquences d'une éducation solitaire et complexe où un proscrit républicain donnait la réplique à un proscrit prêtre.

Mais il n'a jamais fait un pas en arrière.

Jamais, dans tout ce qu'il a écrit, on ne trouvera un mot contre la Liberté.

Il y a eu lutte dans son âme entre la loyauté, que lui avait imposée le prêtre catholique, et la Liberté, que lui avait recommandée le soldat républicain : la Liberté a vaincu.

Là est l'unité de sa vie.

Il cherche à faire prévaloir en tout la Liberté : la Liberté, c'est, dans la philosophie, la raison ; dans l'art, l'inspiration ; dans la politique, le droit. Victor Hugo laisse une œ uvre indestructible : elle est d'une telle hauteur qu'elle dominera les âges.

Comme écrivain, comme poète, il a déterminé en France la rénovation la plus complète et la plus éclatante dont il soit fait mention dans l'histoire des lettres ; il a changé la face de l'Art.

Et quel génie multiple que le sien ! Il a été le poète de la couleur, le poète de la grâce et de la rêverie, le poète de l'amour loyal et du bonheur intime, le poète de la pitié, le poète de la nation glorieuse ou vaincue, du guerrier qui combat ou du soldat qui meurt, et il a été aussi le poète des enfants, aimant les petits d'une tendresse sans bornes et sentant grandir dans ces fleurs de chair qui s'ouvrent l'espérance de la patrie ! On ne se trompe pas en disant que Victor Hugo a incarné en lui le génie de la France moderne, car, en effet, c'est le seul poète qui ait. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles