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Les écoles et l'impérialisme colonial français

Publié le 02/04/2014

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L’arrivée des scientifiques qui accompagnent Bonaparte en Égypte en 1798 et l’entreprise de réforme 

et de modernisation de l’Empire ottoman dans le cadre des Tanzimat à partir du début du XIXe siècle 

illustrent à la fois la centralité de l’enjeu scolaire dans la politique des puissances en Méditerranée et le rôle 

central de la France dans ce domaine. C’est en effet le modèle français que suit la mise en place d’un réseau 

scolaire d’État dans l’Empire ottoman à partir de 1839, rappelé par l’inauguration de l’université 

francophone de Galatasaray en 1868 et le règlement sur l’éducation publique de 1869. C’est en France aussi 

que sont envoyées plusieurs missions scolaires par Muhammad ‘Ali, le vice-roi égyptien, comme celle dont 

Rifaat al-Tahtawî fit le récit à son retour en 1831. La France n’est pas la seule à utiliser l’outil éducatif dans 

sa politique étrangère : les écoles sont au coeur des stratégies impérialistes en Méditerranée. Mais dès les 

années 1880, des voix s’élèvent pour dénoncer cette emprise sur les esprits musulmans, et à partir des années 

1920, une génération de nationalistes conteste la place des écoles étrangères ou sous influence européenne – 

par lesquelles une grande partie d’entre eux est passée.

« rappelle Simon Lévy dans son Essai d’histoire et de civilisation judéo-marocaine , et en Egypte.

On y retrouve le choix d’un public privilégié, non sans volonté de prosélytisme au début, et transformé progressivement en clientèle française : les minorités juives d’Afrique du Nord, les chrétiens orientaux, dont la bourgeoisie bénéficiait du statut de protégé français.

Cette politique scolaire est enfin plus affirmée dans le contexte colonial, où l’éducation participe directement au contrôle de la population.

Les écoles franco-arabes, mises en place en Algérie, au Maroc, et dans un nombre plus important en Tunisie, participent à la formation d’une élite francophone par des maîtres français ou « indigènes », souvent déchirés entre deux cultures et formés dans des Écoles normales normales françaises locales.

Il faut noter que les collèges ne délivrent pas de baccalauréat français qui ouvrirait l’accès à des études supérieures en France, mais un certificat de fin d’études.

Quant aux lycées français en Afrique du Nord, ils ne s’ouvrent que progressivement aux étudiants indigènes musulmans.

Le collège Sadiki, ouvert en 1875 et formant l’élite bilingue tunisienne des hauts fonctionnaires, médiateurs entre le pouvoir colonial et la société locale, reste une exception.

La France n’est pas seule consciente de l’enjeu scolaire.

Nous avons évoqué l’AUB à Beyrouth, mais il faut aussi rappeler les autres écoles étrangères, anglaises ou italiennes en Egypte par exemple.

Il faut surtout rappeler l’effort des Tanzimat, s’engageant dès la fin du XVIIIe siècle dans la création d’Ecoles supérieure (de la Marine en 1773, de l’Armée en 1793, puis de Médecine en 1827...) dont l’objectif est de créer une administration moderne et efficace, sur le modèle européen – ce qui fait le jeu de l’influence européenne et notamment française.

À partir de 1839, l’Empire met en place un réseau d’écoles hiérarchisées sur le modèle français (écoles élémentaires, intermédiaires, lycées rushdiyye dans les capitales des provinces...) parallèle au réseau des écoles religieuses (madrasas locales, grandes universités islamiques comme al-Azhar au Caire, la Zaytouna à Tunis ou la Qarawiyyin à Fès) présentes dans toute la région et très dynamiques.

Cet effort ne suffit toutefois pas à toucher l’ensemble de la population, ni freiner le prestige des écoles étrangères pour l’élite turque et arabe.

C’est ce que dénonce l’ouléma réformiste Muhammad Abduh dans une lettre au Shaykh al-islâm en 1887, incitant le sultan à renforcer les créations d’écoles, à développer des études islamiques modernisées et faisant appel à la raison pour réformer la société et contrer l’influence européenne sur les élites musulmanes.

Muhammad Abduh, outre l’idéal du réformisme musulman qui l’anime, manifeste la prise de conscience du danger que font peser ces écoles, en partie françaises, sur la souveraineté de l’Empire, sur la loyauté des populations musulmanes et sur leur foi.

Il sera lui-même impliqué dans ces questions de réforme quand il prendra la tête de l’université d’al-Azhar.

L’école, avec l’exemple de ce penseur réformiste, est aussi au coeur des stratégies de résistance à l’impérialisme européen dès le XIXe siècle. Jusqu’aux années 1930 cependant, les écoles françaises en Afrique du Nord et au Levant connaissent ce que Frédéric Abécassis a appelé un « âge d’or », lié notamment à leur public grandissant et à la présence croissante des enfants de l’élite musulmane dans les écoles des congrégations – au prix de quelques débats sur la place à accorder au catéchisme et à l’évangélisation.

En situation coloniale, ces écoles soutenues par l’ État français et ses diplomates constituent le système des élites décrit en Égypte par Frédéric Abécassis.

En Algérie aussi, des Écoles supérieures sont créées en 1879 pour former une élite au service de l’ État colonial, et sont rassemblées en 1909 dans l’université d’Alger où enseignent de grands orientalistes français.

Nous retrouvons ces Écoles supérieures en Tunisie ( École coloniale agricole, École supérieure de langue et littérature arabe...) et au Maroc ( École militaire de Dar al-Bayda, Institut des Hautes Études Marocaines en 1920...).

C’est bien l’élite qui est visée. En 1939, seuls 6,6 % des musulmans sont scolarisés dans le système public français, 1 % au Maroc.

Nous ne possédons pas les chiffres pour l’Algérie.

Leur succès vient aussi de leur caractère intercommunautaire, visible dans le public de plus en plus varié accueilli par exemple au Collège de la Sainte-Famille du Caire.

Cette variété des élèves coptes, musulmans et dans une moindre part juifs, aux côtés des enfants catholiques, ainsi que le gonflement des effectifs, ne feront que s’amplifier jusqu’à la fin des années 1950, malgré les ruptures que nous étudierons dans la partie suivante.

Ce modèle est bien celui d’un public urbain et d’une bourgeoisie économomique et politique, ce qu’illustre la carte des écoles françaises en Égypte en 1929, concentrées au Caire (avec Héliopolis) et à Alexandrie, dans une moindre mesure à Port-Saïd.

Elle est au service de l’influence française en Égypte, comme ailleurs, et maintient cette influence au sein des élites marchandes et politiques.

Mais il ne faut pas déduire de ce succès la disparition des écoles dites traditionnelles, comme les écoles musulmanes dont le réseau continue de scolariser la majorité des musulmans, et des écoles. »

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