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Les mutineries

Publié le 17/01/2022

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Le premier conflit mondial est une guerre d'un genre totalement nouveau. C'est notamment la première fois que tous les hommes en âge de combattre sont envoyés sur le front. Auparavant, les guerres étaient avant tout l'affaire des militaires. En 1914, tous les gouvernements des pays belligérants font assaut de discours patriotiques enflammés, largement relayé par une presse, qui, même dans les démocraties occidentales, est belliciste. Plusieurs millions d'hommes, a qui l'on a expliqué la justesse de ces combats partent ainsi faire une guerre qu'on leur a, de plus, promis courte. Or, il faut bientôt se rendre à l'évidence : le conflit s'enlise dans des tranchées boueuses, infestées de rats et de vermine. La plupart des sorties vers les lignes ennemies provoque une hécatombe. Les cris des blessés empêchent de trouver le sommeil, les morts et les estropiés sont légion. Pourtant, sur bien des fronts, le commandement militaire persiste à échafauder des attaques meurtrières, qui ne permettent au mieux que d'avancer de quelques centaines de mètres. L'offensive du général Nivelle au Chemin des Dames, en avril 1916, en est l'une des plus tragiques illustrations. Cette attaque fait, en un mois, 271 000 victimes françaises, et 163 000 côté allemand. Les soldats ont désormais le sentiment de n'être que de la simple chaire à canon. Ils se sentent dirigés par des incapables, et sont supposés défendre leur pays contre un ennemi qui leur ressemble pourtant beaucoup. On voit alors des soldats qui fraternisent sur les tranchées, tandis que des combattants, partis en permission, refusent de regagner le front. Ces mutineries restent certes marginales. Elles touchent avant tout l'armée russe et les troupes françaises, moins les soldats italiens ou allemands. Mais elles témoignent d'un refus de l'ordre établi d'un genre nouveau : les gouvernements des démocraties bourgeoises ou des régimes impériaux, jugés responsables de cette guerre devenue boucherie, sont contestés. Et ces hommes, qui ont tout quitté pour combattre vont bientôt leur demander des comptes. Lettre d'un poilu « De tout cela, quand je réfléchis, je constate que le patriotisme du début, emballé, national, a fait place dans le monde militaire à un patriotisme d'intérêt... Pauvre officier de troupe, fais-toi crever la paillasse... Sois tranquille, ces Messieurs de l'état-major auront des citations! Cela, je m'en foutrais si avec cette façon d'agir, les événements de la guerre ne se prolongeaient pas... Maintenant on envisage la campagne d'hiver, l'usure allemande ne pouvant survenir qu'après cette époque... Qu'importe au monde militaire que la guerre dure un peu plus ou un peu moins... Ces Messieurs ont des abris solides, sont à l'arrière dans des pays... et le pauvre poilu, le pauvre « officier de troupe «, comme ils disent, eux ils sont là pour se faire casser la g..., vivre dans des trous infects... avoir toutes les responsabilités. Ah! Jamais je ne le répéterai assez, nos poilus sont des braves, ils peuvent tous être des héros s'ils sont conduits par des officiers qui font leur devoir, des officiers qui connaissent leur vie, qui ne se cachent pas quand les obus tombent et qui osent au contraire montrer qu'ils peuvent en imposer à l'ennemi. Et pour cela, il faudrait qu'à quelque service qu'ils appartiennent, les officiers délaissent les criminelles questions d'avancement de l'heure actuelle, ne voient que leur devoir à remplir et que consciencieusement ils le remplissent. Hélas!! « Cité d'après Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume (sous la direction), Paroles de Poilus. Lettres et carnets du front 1914-1918, Paris, Radio France, 1998, p. 95.

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