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Lettre de M.

Publié le 23/10/2012

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Lettre de M. DE VOL... A.M. D'AM... Premier mars 1765, au Château de Ferney. J'ai dévoré, mon cher Ami, le nouveau Mémoire de M. de Beaumont sur l'innocence des Calas ; je l'ai admiré, j'ai répandu des larmes, mais il ne m'a rien appris ; il y a lon-tems que j'étais convaincu, & j'avais eu le bonheur de fournir les premières preuves. Vous voulez sçavoir comment cette réclamation de toute l'Europe contre le meurtre juridique du malheureux Calas, roué à Toulouse, a pu venir d'un petit coin de terre ignoré, entre les Alpes & le Mont Jura, à cent lieues du théâtre où se passa cette scène épouvantable. Rien ne fera peut-être mieux voir la chaîne insensible qui lie tous les événemens de ce malheureux monde. Sur la fin de Mars 1762, un Voyageur, qui avait passé par le Languedoc, & qui vint dans ma retraite à deux lieues de Genève, m'apprit le supplice de Calas, & m'assura qu'il était innocent. Je lui répondis que son crime n'était pas vraisemblable encore que des Juges eussent sans aucun intérêt fait périr un innocent par le supplice de la roue. J'appris le lendemain qu'un des enfans de ce malheureux pere s'était réfugié en Suisse assez près de ma chaumière. Sa fuite me fit présumer que la famille était coupable. Cependant, je fis réflexion que le pere avait été condamné au supplice comme ayant seul assassiné son fils pour la Religion, & que ce pere était mort âgé de soixante-neuf ans. Je ne me souvins pas d'avoir jamais lû qu'aucun vieillard eût été possédé d'un si horrible fanatisme. J'avais toujours remarqué que cette rage n'attaquait d'ordinaire que la jeunesse, dont l'imagination ardente, tumultueuse & faible, s'enflamme par la superstition. Les fanatiques des Cévennes étaient des fous de vingt à trente ans, stilés à prophétiser dès l'enfance. Presque tous les Convulsionnaires que j'avais vû à Paris en très-grand nombre, étaient des petites filles & des jeunes garçons. Les vieillards, chez les Moines, sont moins emportés & moins susceptibles des fureurs du zèle, que ceux qui sortent du Noviciat. Les fameux assassins, armés par le Fanatisme, ont tous été de jeunes gens, de même que tous ceux qui ont prétendu être possédés ; jamais on n'a vu exorciser un vieillard. Cette idée me fit douter d'un crime, qui d'ailleurs n'est guères dans la nature. J'en ignorais les circonstances. Je fis venir le jeune Calas chez moi. Je m'attendais à voir un Energumène tel que son pays en a produit quelquefois. Je vis un enfant simple, ingénu, de la phisionomie la plus douce & la plus intéressante, & qui en me parlant faisait des efforts inutiles pour retenir ses larme...

« assassins, armés par le Fanatisme, ont tous été de jeunes gens, de même que tous ceux qui ont prétendu être possédés ; jamais on n'a vu exorciser un vieillard.

Cette idée me fit douter d'un crime, qui d'ailleurs n'est guères dans la nature.

J'en ignorais les circonstances. Je fis venir le jeune Calas chez moi.

Je m'attendais à voir un Energumène tel que son pays en a produit quelquefois.

Je vis un enfant simple, ingénu, de la phisionomie la plus douce & la plus intéressante, & qui en me parlant faisait des efforts inutiles pour retenir ses larmes.

Il me dit qu'il était à Nîmes en apprentissage chez un Fabriquant, lorsque la voix publique lui avait appris qu'on allait condamner dans Toulouse toute la famille au supplice ; que presque tout le Languedoc la croyait coupable, & que pour se dérober à des opprobes si affreux, il était venu se cacher en Suisse. Je lui demandai si son pere & sa mere était d'un caractère violent ; il me dit qu'ils n'avaient jamais battu un seul de leurs enfants, & qu'il n'y avait point de parens plus indulgens & plus tendres. J'avoue qu'il ne m'en fallut pas davantage pour présumer fortement l'innocence de la famille.

Je pris de nouvelles informations de deux Négocians de Genève, d'une probité reconnue, qui avaient logé à Toulouse chez Calas.

Ils me confirmerent dans mon opinion.

Loin de croire la famille Calas fanatique et parricide, je crus voir que c'étaient des fanatiques qui l'avaient accusée & perdue.

Je sçavais depuis long-tems de quoi l'esprit de parti & la calomnie sont capables. Mais quel fut mon étonnement, lorsqu'ayant écrit en Languedoc, sur cet étrange aventure, Catholiques & Protestans me répondirent qu'il ne fallait pas douter du crime des Calas.

Je ne me rebutai point.

Je pris la liberté d'écrire à ceux même qui avaient gouverné la Province, à ces Commandans de Provinces voisines, à des Ministres d'Etat ; tous me conseillèrent unanimement de ne me point mêler d'une si mauvaise affaire ; tout le monde me condamna, & je persistai : voici le parti que je pris. La veuve de Calas, à qui pour comble de malheur & d'outrage on avait enlevé ses filles, était retirée dans une solitude où elle se nourrissait de ses larmes, & où elle attendait la mort.

Je ne m'informai point si elle était attachée ou non à la Religion. »

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