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L'Europe de Versailles et de Genève

Publié le 22/02/2012

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L'Europe de Versailles et de Genève n'est pas sans rappeler ces effets de fondu enchaîné où une image nouvelle se substitue progressivement à une autre qui s'efface. L'historien, pour sa part, est sans doute tenté de clarifier le tableau et de remplacer cette double perception par une vision nette des choses. Peine perdue. La vérité de l'époque réside dans son ambiguïté radicale. L'entre-deux-guerres ne fut pas seulement une espèce de temps mort entre deux actes sanglants. Ces années intérimaires furent aussi des années transitoires entre deux mondes. Tout particulièrement pendant la décennie 1919-1929, ont coexisté, superposées, les lourdes survivances du siècle révolu et l'ébauche de notre présent. Dans cette Europe des années 20, tout est donc équivoque : les principes, les frontières, les rapports de force même. Au demeurant, quelle est alors la place de l'Europe dans le monde ? Certes, l'épouvantable confit mondial l'a déchue de sa suprématie politique et matérielle. A tel point que le thème de la décadence de l'Occident devient un lieu commun journalistique. L'Europe d'après-guerre se complaît en des visions d'Apocalypse où elle fait volontiers jouer à l'Orient le rôle d'ange exterminateur. L'Europe, minuscule cap au bout de l'Asie : telle est la formule nouvellement consacrée. Et pourtant cette Europe naine, et qui s'imagine pouvoir être écrasée entre le géant américain et la multitude asiatique, occupe encore, presque à elle seule, tout le devant de la scène internationale. Car dès 1920, le Nouveau Monde se replie sur lui-même tandis que le Japon se cantonne dans sa sphère d'influence en Extrême-Orient. Le troisième Grand ­ le Royaume-Uni ­ a lui aussi tendance à s'isoler au sein d'un empire qui commence, certes, à se fissurer, mais qui vient néanmoins d'atteindre son apogée territoriale en s'emparant de la meilleure part des dépouilles de l'Empire ottoman au Proche-Orient, et des colonies allemandes en Afrique.
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« Bainville : "Pour ressusciter la Pologne, il fallait tailler à même l'Allemagne.

Mais pour que la Pologne, et parconséquent tout l'édifice européen construit à Versailles, fût en sécurité, il n'aurait pas fallu que l'opération fûttentée sur une nation allemande ni sur un État allemand." Par une fatalité géographique, le principe des nationalitésest peu compatible, dans cette partie de l'Europe, avec l'unité allemande. L'Allemagne des années 20 se résigne d'autant moins à ses nouvelles frontières orientales qu'elle est incapabled'apprécier correctement les risques d'une politique révisionniste.

Sur l'échiquier international, les apparences sontterriblement trompeuses car les véritables rapports de forces se trouvent masqués par l'isolationnisme américain etl'éclipse que traverse une Russie en train de se régénérer.

Et loin de se convertir à l'idée qu'il a partiellement méritéson sort, ce pays s'exaspère devant le verdict unilatéral des vainqueurs qui l'ont déclaré moralement coupable de laguerre. Et pourtant, à partir de 1924, cette Europe plus instable que jamais semble s'apaiser et retrouver la santé.

C'est ladétente générale.

Les affaires marchent à nouveau bien ; la crise économique de l'après-guerre parait résorbée.Jusqu'alors, les nationalistes français se demandaient s'il fallait traire ou tuer la "vache" des réparations allemandes.Les Américains réussissent à convaincre leurs partenaires (qui sont aussi leurs débiteurs) qu'il est surtout urgent dela nourrir.

Le plan Dawes propose un moratoire de deux ans sur les réparations et ouvre dans l'intervalle un crédit dedeux cents millions de dollars à l'Allemagne.

Personne ne veut voir le joli tour de passe-passe au moyen duquell'épineux problème est escamoté.

La confiance internationale renaît.

Entreprises et municipalités allemandes placentfiévreusement d'énormes emprunts à l'étranger.

La république de Weimar s'équipe de neuf avec les capitaux de sesvainqueurs. Parallèlement, la France devient conciliante.

A la suite des élections générales de mai 1924, un changement declimat vient de s'y opérer, symbolisé par la chute de Poincaré et l'avènement d'Herriot.

Finie, la recherche de lasécurité par des mesures purement militaires.

On est maintenant prêt à miser sur la partie du Traité de Versailles quiparaissait, au moment de sa signature, la plus fragile et la plus nébuleuse.

Dans l'érosion de la victoire, ons'accroche à la Société des Nations comme à une planche de salut.

Le Pacte de la S.D.N.

avait posé le principed'une assistance mutuelle entre tous les États membres contre un agresseur éventuel.

Le refus du Congrèsaméricain de participer au mécanisme genevois l'avait fortement compromis.

En 1924, la diplomatie française tented'y remédier grâce au Protocole de Genève.

Celui-ci repose sur la triade : arbitrage, sécurité, désarmement.

Dans leclimat détendu qui règne alors, le gouvernement français serait disposé à se satisfaire de cette fragile garantieinternationale.

L'Assemblée de la Société des Nations recommande chaleureusement l'adoption universelle duProtocole.

Briand, le premier, appose sa signature au bas du document et son exemple est suivi par la majorité desjeunes États européens.

Mais en mars 1925, la Grande-Bretagne torpille le projet auquel ses délégués à Genèveavaient apporté une adhésion emphatique.

La politique extérieure britannique se caractérise alors par un manqueinquiétant de direction... Après cet échec, les diplomates se mettent à la recherche d'une autre formule de paix.

A cet égard, les accords deLocarno, signés en 1925, éveillent d'énormes espoirs.

En réalité, ils ne font que jeter de la poudre aux yeux.

Certes,la garantie collective du statu quo territorial sur le Rhin par la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Unicontribue à pacifier les esprits.

Mais les conséquences lointaines en seront funestes.

Non seulement parce que lecabinet britannique n'entend pas assumer pleinement les conséquences d'un geste qui, en ce qui le concerne, asurtout une portée symbolique, mais encore et surtout parce qu'une discrimination sournoise est introduite entre lesfrontières occidentales et les frontières orientales de l'Europe.

En acceptant de garantir les premières sans lessecondes, les puissances détruisent de fond en comble, sans qu'il y paraisse, le système de sécurité collective quireste le fondement officiel de leur politique.

Les accords de Locarno renforcent donc les illusions de paix au momentmême où ils en sapent les fondements réels. Dans cette confusion plus ou moins sciemment entretenue, le vieux rêve de l'unité européenne semble vouloir sematérialiser.

A certains égards, ses promoteurs ne manquent pas de clairvoyance ni de sens historique.

Ils nes'aveuglent pas sur les germes de conflits qui foisonnent en Europe depuis 1919.

Bien au contraire, ils prédisentinlassablement que celle-ci est constituée de telle façon qu'une nouvelle guerre y est à peu près fatale.

Et ilspressentent, au vu des leçons de 1914-1918 et des progrès réalisés dans le domaine des armements, que lasuivante ne manquera pas d'être plus atroce encore que la précédente.

Peut-être ont-ils quelque peu tendance àforcer le trait pour mieux en appeler à la sagesse des nations ? La constitution d'une fédération européenne serait,selon eux, la seule voie de salut, le seul recours contre un cataclysme qui anéantirait la civilisation. Ce mouvement fédéraliste répond sans doute à des aspirations généreuses.

Il correspond aussi aux intérêts de lagrande industrie.

Dans la phase de haute conjoncture des années 1924-1929, les grands cartels européenssouffrent de l'étroitesse des marchés nationaux.

Pour de nombreux secteurs de l'économie européenne, ledésarmement douanier est devenu une nécessité impérieuse.

Pour résister à la concurrence américaine, les grandesentreprises, allemandes en particulier, éprouvent le besoin d'avoir un espace douanier à la mesure des États-Unis.

Oril se trouve que malgré cette pointe défensive tournée contre leur pays, les grands financiers américains ont l'aird'accueillir favorablement ces projets de fédération.

Les hommes d'affaires d'outre-Atlantique entrevoient qu'unevaste union douanière européenne deviendrait un fructueux terrain où investir leurs abondants capitaux, assortid'une garantie contre les risques d'un conflit.

Interrogé par un journal allemand, le grand financier Morgan nedéclare-t-il pas ouvertement que si son pays avait les moyens de dicter sa volonté aux États européens, il lescontraindrait à s'unir ?. »

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