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L'opération rendre l'espoir en Somalie

Publié le 09/04/2012

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somalie

8 décembre 1992 - Vestes de safari de bonne coupe, le visage buriné par quelques jours de plein air, les présentateurs des grands journaux télévisés étaient tous au rendez-vous de Mogadiscio pour annoncer : " Les marines sont arrivés ". C'était du " direct ", mardi 8 décembre, précisément à l'heure des journaux télévisés du soir, et les Américains pouvaient assister au débarquement le plus " médiatisé " de l'histoire militaire. Plus que de la guerre, les images tenaient de l'exercice, de la parade ou, pour reprendre l'expression d'un des présentateurs, du spectacle hollywoodien. Il était à peine 18 heures, heure de Washington. L'opération " Rendre l'espoir " venait de commencer, et les soldats américains ne rencontraient pas d'autre opposition qu'une centaine de journalistes qui les attendaient de pied ferme sur les plages de la capitale somalienne. D'une certaine façon, cette omniprésence de la télévision n'était que justice puisque, comme l'écrit l'austère chroniqueur de télévision du New York Times, " ce furent les insoutenables images de la télévision sur la Somalie qui ont conduit un gouvernement (américain) longtemps réticent à passer à l'action ". " La réaction des téléspectateurs, mélange de compassion pour les victimes et de rage devant les flingueurs drogués (au qat) qui volent l'aide alimentaire, était devenue trop forte pour que Washington y résiste ", écrit-il encore, avant de conclure : " alors, nos compliments à la télévision, à sa capacité de transmettre à des millions de foyers des horreurs que la classe politique aurait préféré pouvoir ignorer ". Dans un commentaire plus terre à terre sur les mérites de la " civilisation vidéo ", depuis Washington, un peu plus tôt, le porte-parole du Pentagone, M. Pete Williams, avait exhorté le bataillon de journalistes présents à Mogadiscio à ne pas gêner le débarquement en cours. Peine perdue, donc. Et quelques heures après le début du débarquement, M. Williams devait émettre une vive protestation : " Les hommes sont entraînés pour opérer de nuit et sont équipés d'appareils de vision nocturne, a lancé le porte-parole ils ont été surpris, pour ne pas dire plus, par la lumière des flashes et des éclairages ". Outre la presse, les marines auront à faire face à une gamme de maladies tropicales allant de l'hépatite à la fièvre jaune (tous les vaccins ont été prévus) et au choc psychologique de scènes de famine particulièrement éprouvantes (des psychiatres militaires feront partie du corps expéditionnaire). Les autres obstacles sont connus. Les responsables du Pentagone insistaient sur le temps qu'il faudra - plusieurs semaines - avant que ne soit installée, par des unités du génie, toute la logistique nécessaire à l'accueil de plusieurs dizaines de milliers d'hommes. " Ce sera une opération lente ", disent-ils. Pas de " date limite artificielle ". Il faut transporter des générateurs, des éléments radar de tour de contrôle et autre matériel lourd pour transformer un aéroport en ruine qui devra bientôt recevoir une noria d'avions gros porteurs il faut sonder les eaux du port de Mogadiscio pour être sûr que les bâtiments de la Navy peuvent y mouiller, etc. Selon certaines informations diffusées par la presse, le seul déploiement du corps expéditionnaire américain prendra jusqu'à la mi-janvier. Il faudra encore compter avec le débarquement des contingents des quelque douze pays qui ont l'intention de participer sur le terrain à " Rendre l'espoir ". C'est dire que les milieux du Pentagone ne prennent guère au sérieux les souhaits de la Maison Blanche de voir la " phase une " de l'opération - celle de l'intervention de la force internationale - s'achever d'ici au 20 janvier, date de la prise de fonction du président élu Bill Clinton. En début de soirée, un communiqué de la Maison Blanche annonçait que le président Bush se félicitait du " succès de la phase initiale " du débarquement le communiqué assurait encore que les conversations de l'ambassadeur Robert Oakley, l'envoyé spécial de M. Bush à Mogadiscio, " étaient encourageantes ". A New-York, le secrétaire général de l'ONU, M. Boutros Boutros-Ghali, adressait " un message d'espoir et de bonne volonté " au peuple de Somalie, dans lequel il déclarait notamment : " La force multinationale, mandatée par les Nations unies, a des objectifs simples et clairs : nourrir les affamés, protéger les faibles, créer des zones de sécurité, ouvrir la voie au relèvement politique, économique, social du pays (...). J'invite solennellement le peuple de Somalie à collaborer à cette vaste entreprise ". De passage à Washington, le président élu, M. Bill Clinton, avait, un peu plus tôt, renouvelé son soutien à l'initiative prise par M. Bush pour sauver des centaines de milliers de Somaliens de la famine. Allant dans le même sens que les responsables du Pentagone, M. Clinton s'est refusé, devant la presse, à se fixer le moindre délai quant au rapatriement des marines, en déclarant qu'il n'entendait pas se lier par une quelconque " date limite artificielle ". Elu sur un mandat de politique intérieure, M. Clinton a assuré que son administration " n'allait pas se couper du reste du monde " et " consacrerait beaucoup de temps à la politique étrangère ". ALAIN FRACHON Le Monde du 10 décembre 1992

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