Rollon

« Tout d'abord, quelle était la consistance de la donation de Charles le Simple ? Il est impossible de suivre Dudonquand il affirme que le roi de France remit à Rollon les sièges de Bayeux et d'Évreux et le Mont Saint-Michel.

Eneffet, le Bessin, le Maine, les pays de Coutances et d'Avranches firent l'objet de donations royales en 924 et 933 ;la première à Rollon lui-même, la seconde à son successeur Guillaume.

Malheureusement, ces documents ne nousaident pas à déterminer avec précision la frontière occidentale du nouvel État.

Faut-il opter pour la Risle avecLucien Musset, ou pour la Dives comme Henri Prentout ? Les limites orientale et méridionale sont mieux connues ;elles suivent trois cours d'eau, la Bresle, l'Epte et l'Avre, affluent de l'Eure. La deuxième affirmation du chanoine chroniqueur concernant la Bretagne ne repose sur rien d'autre que le désir delégitimer les prétentions de ses protecteurs, les ducs de Normandie, dans les premières décades du XIe siècle.

Elleest donc pure fiction.

Comment d'ailleurs le vaincu de Chartres aurait-il osé revendiquer pareil avantage ? C'estégalement au rang des légendes qu'il faut reléguer le mariage de Rollon avec Gisèle.

Charles le Simple avait épouséFrérone en 907 ; sa quatrième fille, Gisèle, n'était sûrement pas encore née en 911.

Dudon a simplement repris àRéginon de Prüm une anecdote concernant un autre chef viking, Gotfrid, qui avait épousé une Gisèle, fille deLothaire II.

Il voulait par là donner davantage de lustre aux descendants de Rollon. Reste le dernier point, celui du baptême.

On sait qu'aussitôt après le traité, Rollon rappela à Rouen l'archevêque etson clergé ; on sait aussi que certaines sources lui confèrent le nom chrétien de Robert.

Notre chanoine n'avait pasde raison ici de travestir les sources ! En lui imposant le baptême, Charles le Simple ne faisait que se conformer àune vieille tradition carolingienne qu'illustre, par exemple, le baptême du chef saxon Widukind.

Le serment de fidélitéqu'il dut exiger de Rollon se trouvait garanti et fortifié par son adhésion à la foi chrétienne. Historiquement, l'épopée de Ganger-Hrôlfr, devenu le duc Robert par le baptême, s'achève ici.

Rien ne peutconfirmer les dires de Dudon à propos d'un éventuel partage "au cordeau" ou "au sort" de la Normandie entre sescompagnons.

Nul ne sait quand il mourut, ni où il repose de son dernier sommeil.

Sans doute fut-il aidé par descirconstances favorables.

Son entreprise clôture l'histoire de la première vague des invasions scandinaves.

Ilbénéficia donc des actions de ses prédécesseurs, du désir de paix des populations, de l'orientation de la politique deCharles le Simple qui voyait dans le chef normand un précieux auxiliaire "pour la protection du royaume".

Le pirate,devenu prince, régnait sur une province blessée, privée de tous ses cadres intellectuels.

Mais, en homme avisé, ilavait compris les avantages qu'il pouvait tirer de la sage proposition du roi franc.

Rollon jetait ainsi les fondementsdu puissant État féodal normand, et c'est à ce titre qu'il mérite de prendre place dans la lignée des grands hommesqui ont façonné la France.. »