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Acte I, scène 1 - Portrait de Don Juan par Sganarelle - Molière

Publié le 10/09/2006

Extrait du document

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Sganarelle Je n’ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu’il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n’en ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m’a point entretenu ; mais, par précaution, je t’apprends, inter nos, que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d’Epicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l’oreille à toutes les remontrances chrétiennes qu’on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu’il a épousé ta maîtresse : crois qu’il aurait plus fait pour sa passion, et qu’avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert point d’autres pièges pour attraper les belles, et c’est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ; ce n’est là qu’une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d’autres coups de pinceau. Suffit qu’il faut que le courroux du Ciel l’accable quelque jour ; qu’il me vaudrait bien mieux d’être au diable que d’être à lui, et qu’il me fait voir tant d’horreurs, que je souhaiterais qu’il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j’en aie : la crainte en moi fait l’office du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d’applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais : séparons-nous. Écoute au moins : je t’ai fait cette confidence avec franchise, et cela m’est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s’il fallait qu’il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti.

Ce texte se situe à la fin de la scène d'exposition: après avoir maintenu le pauvre Gusman dans un suspense habilement ménagé, Sganarelle procède à une transition vers le vif du sujet, à savoir la personnalité de Don Juan.  Le dialogue qui se poursuit entre les deux valets ne manque pas de saveur. Ils apparaissent tous les deux comme des répliques de leurs maîtres respectifs. L'honnête Gusman est horrifié par les abîmes de noirceur que Sganarelle lui laisse entrevoir. Il se réfère avec onction aux « saints noeuds du mariage «, ce qui suscite cette objection définitive de Sganarelle: «... tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est Don Juan. « Le serviteur de Done Elvire rappelle alors comme autant d'arguments a contrario tous les signes donnés par Don Juan de la passion la plus sincère. Pour convaincre le naïf incrédule, Sganarelle se décide à dresser un portrait véridique de son maître.  Ce passage est donc l'aboutissement de toute une progression qui commence par l'éloge du tabac et passe par l'abandon d'Elvire pour mener jusqu'à la psychologie de Don Juan.

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« AXES D'EXPLICATION Suite de l'exposition On s'aperçoit ici que le véritable objet de la scène n'est pas, comme on a pu le croire, l'affaire de Done Elvire donts'entre- tiennent les deux valets.

L'abandon de celle-ci par Don Juan, tout en étant le centre principal de l'intrigue, n'est, ensoi, qu'un épisode dans la masse innombrable des aventures galantes de Don Juan. Le mouvement de toute la scène 1 repose sur une série de retards apportés par Sganarelle dans les explications qu'illivre à Gusman.

Quand il doit enfin dire ce qu'il sait, il avoue tout simplement son ignorance de la situation, puisqueDon Juan n'a pas eu le temps de l'informer.

Cette reculade lui permet d'aborder le thème qui lui tient à coeur et quiconstitue la véritable finalité de la scène : la personnalité de Don Juan.

C'est, en effet, de sa connaissance intimede la vie de son maître qu'il tire son interprétation des malheurs de Done Elvire. Celle-ci, d'après lui, n'a rien à espérer, elle a été la victime d'un séducteur qui met tout son plaisir dans la conquêtemais ne s'attarde pas à la possession.

Ce séducteur est un simulateur qui excelle à donner le change.

Dans cetteperspective, l'histoire de Done Elvire n'apparaît que comme une simple illustration de la stratégie de Don Juan.

Lecatalogue des triomphes amoureux de celui-ci remet cet épisode à sa juste place.

L'essentiel est non l'effet, mais lacause, et la cause est en Don Juan lui-même, dans sa vision du monde, dans sa philosophie de la vie, dans sonathéisme, dans son libertinage.

C'est pourquoi, dans son portrait de ce « loup-garou », de cet « hérétique », Sganarelle passe du libertinage amoureux au libertinage intellectuel, du cynisme envers les femmes à la provocationenvers le Ciel. On aborde ici, dès l'ouverture, le véritable sujet de la pièce: le personnage de Don Juan.

C'est pourquoi le portraitqu'en fait Sganarelle se révèle l'aboutissement d'une longue progression destinée à accroître la tension et à aiguiserl'intérêt de Gusman et du spectateur.

On relèvera, à cet égard, plusieurs procédés : D'abord, celui qui consiste à ménager un suspense destiné à faire monter la dynamique du texte et donc à retenir l'attention. Molière applique un autre procédé, déjà employé dans Tartuffe : il s'agit de présenter le héros de la pièce avant qu'il se présente lui-même.

Ce décalage permet de créer une attente qui sera déçue ou comblée selon ce que l'on se représente d'après les informations procurées par les autres personnages. Ici, on prend connaissance de Don Juan à travers la description donnée par son valet.

Il faut donc tenir compte dela part inévitable de déformation due à la subjectivité de celui qui parle.

Cela nous amène à relativiser ce queSganarelle nous apprend sur Don Juan.

Tout en contribuant à l'efficacité dramatique, cette marge d'indécision asurtout pour effet de rappeler une vérité générale sur les relations humaines: nous existons par le regard des autreset il y a toujours un écart entre ce que nous sommes et ce que nous paraissons. En l'occurrence, on touche au principal problème posé par Don Juan, celui du rapport entre l'être et l'apparence,entre le masque et l'âme: Don Juan est tout masque, Elvire est toute âme. Portrait de Don Juan Dès l'amorce du portrait, Sganarelle s'adresse à Gusman sur le ton d'un initié à un profane.

Gusman lui a avoué saperplexité et son incompréhension devant un comportement si contradictoire.

Sganarelle le reprend avec unetriomphale vigueur: «Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi ».

Ce «moi » exclamé condense le ton et la motivation du propos de Sganarelle. Fier d'épater Gusman tout ébahi qu'« un homme de sa qualité» puisse se conduire de la sorte, Sganarelle va lui montrer «quel homme est Don Juan ».

I1 instruit Gusman des mystères du libertinage.

Pourtant, Sganarelle ne prononce pas une seule fois le mot de libertin, que peut-être il ignore. Sa description du caractère et de la mentalité de Don Juan est désordonnée, du fait de la truculence avec laquelle iltraite son sujet.

Il débite des phrases interminables en accumulant les expressions pittoresques qui trahissent saprétention et son inculture. Relevons l'emploi d'une locution latine, « inter nos », qui a une résonance à la fois familière, grotesque et savoureuse.

Elle fait partie du « numéro » auquel se livre Sganarelle pour éblouir Gusman.

Nous avons ici, en effet,un échantillon de la cacophonie et du galimatias qui caractérisent le parler du valet de Don Juan.

Quand il met sur lemême plan le Ciel, les saints, Dieu et le loup-garou, on est en droit de s'interroger sur le niveau des croyances qu'ilprétend défendre contre ce «scélérat» de Don Juan. Cependant, on décèle, sous ce fatras, un certain ordre dans la désignation des vices de Don Juan. D'abord Sganarelle fait comprendre à sa façon et par des termes impropres que Don Juan est un impie.

Sans. »

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