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Sganarelle conclut le portrait peu flatteur qu'il trace de son maître en précisant à Gusman qu'un « grand seigneur méchant homme est une terrible chose » (Acte I, Scène I).Pensez vous que Don Juan illustre effectivement cette réputation redoutable ou bien qu'il s'agit là d'un portrait à charge, dressé par un valet envieux et rongé par le remords de devoir servir un tel maître ?

Publié le 23/11/2010

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Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, dramaturge français (1622-1673) a mis en scène Dom Juan pour la première fois le 15 février 1665 d’après la pièce de Tirso de Molina, « El Burlador de Sevilla y Convidado de Piedra « (Le Trompeur de Séville et le Convive de pierre .Cette pièce entre dans le répertoire de la Comédie-Française le 15 Janvier 1847. Le personnage principal, Don Juan, est un jeune représentant de l’aristocratie française ; un libertin de mœurs et d’esprit. Il forme avec son valet le seul couple indissoluble de la pièce. Le valet de Don Juan, Sganarelle est le compagnon obligé de toutes les mésaventures de Don Juan. Jamais écouté, il influe peu sur Don Juan qui est un personnage à fort caractère. Il a donc plusieurs raisons qui le poussent à critiquer son maître et à désapprouver la majorité de ses actions. Il profite de l’absence de ce dernier pour le critiquer. La pièce débute avec un dialogue entre Sganarelle et Gusman, Ecuyer de Done Elvire. Sganarelle dresse un portrait effroyable de son maître. « Le plus grand scélérat que la terre n’est jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute … «. Malgré cela Sganarelle reste son serviteur par peur de Don Juan « Il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j’en aie «. En première partie, nous parlerons du libertinage de Don Juan. Dans une seconde partie nous aborderons le sujet du valet envieux.

 

Fondamentalement, Don Juan recherche et vit dans le plaisir et la jouissance de l’instant présent, en s'opposant aux contraintes et aux règles sociales, morales et religieuses, ainsi qu'en ignorant volontairement autrui. C'est donc à la fois un jouisseur et un libertin, également égoïste et destructeur.

 

Pour Don Juan, la fidélité n’a pas lieux d’être. C’est une sorte de mort avant l’heure. «  La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle […] et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux « (Acte I, Scène II). C’est pour cela qu’il renonce à la constance et se décide à séduire toutes femmes malgré leurs différences de classes sociales. « Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui «, nous précise Sganarelle dans l’acte I, scène 1. Lors de la pièce, Don Juan emploie très souvent le verbe « aimer « alors qu’il aime plus se jouer des femmes qu’à les aimer vraiment. On se rend compte que sa méthode séduction ne repose que sur le mensonge et l’hypocrisie. Il a aussi le talent de rajouter tant de belles choses et de belles paroles, qu’il arrive facilement à faire tomber ses futures conquêtes dans son piège. La scène avec Charlotte en est un exemple parfait. Don juan complimente ses mains... « Sganarelle, regardez moi ses mains « ; « Elles sont les plus belles du monde «. Elle lui répond alors « Fi ! Monsieur elle sont toutes noires « (Acte II scène II). Il lui projette un avenir attrayant « Et il ne tiendra qu’à vous que je vous arrache  de ce misérable lieu, et ne vous mette dans l’état où vous méritez d’être «.

Aux yeux de Don Juan l’amour est un synonyme de combat, assiéger une ville ne diffère guère du siège d’une femme. Il décrit sa stratégie séductrice en utilisant un vocabulaire militaire : « à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs «, « Toutes les petites résistance qu’elle nous oppose «, « enfin il n’est rien de si doux que de triompher de la résistance d’une belle personne, et j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits « ; « Et comme Alexandre (Grand conquérant) « dans l’acte I, scène I. Plus les progrès sont longs et ardus, plus il savoure sa victoire. C’est pour cela qu’il ne séduit que des femmes mariées ou engagées. Par exemple Done Elvire était déterminée à devenir une femme de religion mais Don Juan a réussi à l’arracher au Ciel, l’un de ses plus fervents rivaux. En définitive Don Juan vois l’amour comme une guerre et les femmes comme ses adversaires. Il assure son plaisir et sa puissance sans jamais penser au mal qu’il fait.

Mais Don Juan ne se joue pas seulement des femmes, il déshonore son père : « Et ce fils que j’obtiens en fatiguant le Ciel de vœux, est le chagrin et le supplice de cette vie dont je croyais qu’il devait être la joie et la consolation «. Il va même jusqu’à souhaiter sa mort. Don Juan abuse aussi de son pouvoir avec le mendiant en voulant le forcer à jurer. En effet Don Juan profite des  avantages de son rang. Il pense que tout lui est dû. Il a malheureusement aucun respect envers les autre ni ne ressent a leur égard aucun devoir de reconnaissance. La preuve lors de la scène avec Monsieur Dimanche est faite. Il se débarrasse de son créancier sans le rembourser, il ne remplit alors pas ses obligations.  Monsieur dimanche l’avoue dans l’acte IV scène 3 : « Il est vrai ; Il me fait tant de civilités et tant de compliments, que je ne saurais jamais lui demander de l’argent «.

Au XVIIème siècle un libertin est un homme qui pense que Dieu n’existe pas et qui n’adhère pas au Christianisme. Cela vient du mot Latin « liber « qui signifie « Celui qui devient libre «. Don Juan est libertin de mœurs par son comportement vis-à-vis des gens  mais l’est aussi intellectuellement. Tout d’abord Don Juan est indépendant face à la religion, se joue du Ciel et des sacrements religieux comme les mariages en promettant sa main à toutes les belles. La confrontation entre lui, Mathurine et Charlotte illustre parfaitement cette situation. Elle montre la naïveté des femmes mais surtout le comportement de Don Juan avec elles.  «  (Bas, à Charlotte) Je suis tout à vous. (Bas, à Mathurine) Tous les visages sont laids auprès du vôtre « (Acte II, Scène 4). Don Juan se dit athée au début de l’ouvrage. Mais cela évolue : il passe ensuite au scepticisme avec la rencontre de la statue du commandeur qui lui parle puis il défie ouvertement le Ciel en invitant la statue à manger. Tout « cet amas d’action indigne « se paiera plus tard dans le livre car Don Juan fait la sourde oreille lorsque son valet lui fait des remontrances : «  Apprenez de moi, qui suis votre valet, qu’une méchante vie amène une méchante mort «. Don Juan l’interrompt alors, il ne veut pas en entendre plus.

En plus de renier la religion, il dénigre les médecins et leur science : « Ils n’ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace «. Concernant les superstitions du XVIIème, Don Juan n’y croit point et se raille de son valet lorsqu’il lui parle du moine bourru, un soit disant fantôme.

 

On observe que Don Juan est le représentant du vice à l’époque de Molière, qu’il ne croit en rien et qu’il se moque de bien du monde. Mais Molière entretient l'ambigüité sur ses intentions en décrivant un personnage qui n'est pas totalement noir.

 

On peut alors s’interroger sur les intentions du valet, qui comme on le sait n’est pas pris au sérieux par son maître. Lorsque Sganarelle dresse le portrait de Don Juan, il ne présente que les mauvais aspects du personnage.

Sganarelle cache une certaine fascination pour le train de vie que mène Don Juan. La fascination ne vient pas des actions que Don Juan entreprend car, comme nous le savons Sganarelle est un être naïf et qui suit de très près les coutumes et croyances de son époques, mais vient se focaliser plutôt sur le courage avec lequel il les entreprend. En effet Don Juan est un être courageux car, à l’acte III scène 3, il vient en aide à Don Carlos, attaqué par plusieurs voleurs. Pour Don Juan, l’aider n’est pas une question de charité mais simplement le respect d’un code de valeurs aristocratiques que tout membre de sa caste se doit de respecter, Don Juan manie alors très bien l’épée. Le fait de ne pas agir eût été similaire à soutenir la lâcheté. Malgré l’interdiction du duel à cette époque, tout noble doit défendre son honneur. Et pour conserver cet honneur et se faire remarquer Don Juan se trouve toujours habiller des plus beaux habits. Dans l’acte II scène 1, Piarrot caricature les accoutrements du seigneur mais cela montre pourtant qu’il est élégant.  « Parmi tout ça tant de rubans «, « grand mouchoir de cou à reziau « (Reziau = Dentelle). Don juan se permet même de critiquer la tenue vestimentaire de Done Elvire lorsqu’elle vient lui rendre visite en ville : « Est-elle folle de n’avoir pas changé d’habits et de venir en ce lieu-ci avec son équipage de campagne «

De plus, dans ses duels verbaux contre Sganarelle, contre son créancier et contre son père, il l’emporte haut la main. Sganarelle étant effrayé par cet homme cela reste évidant que la victoire verbale de Don Juan n’est dû qu’au le manque de cran de son valet. « La crainte en moi fait office de zèle, bride mes sentiments, et me réduit d’applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste «. En effet Don Juan est un homme influent. Sganarelle s’écrase bien vite devant les remarques de Don Juan : « Assurément que vous avez raison, si vous le voulez ; on ne peut pas aller là contre. Mais, si vous ne vouliez pas, ce serait une autre affaire. «

Ce grand maître est très aventureux, dès le début de la pièce, il planifie un kidnapping pour emmener une jeune femme partie se promener sur l’eau avec son mari. Malheureusement, son plan n’a guère fonctionné.

On peut aussi dire que Don Juan est quelqu’un de cultivé. Il connaît l’arithmétique et affirme : «  Je crois que deux et deux sont quatre (…] et que quatre et quatre sont huit «. De plus il a une élocution fluide, c’est d’ailleurs de là que lui vient ce coté rusé. Il use des bons mots, au bon moment pour se dépêtrer d’affaires sensible. Il n’est jamais atteint par quoique ce soit.

Sganarelle a alors de quoi être jaloux voire envieux car il n’est que celui qui doit suivre ce grand maître. Sganarelle peut être qualifié d'asexuel dans la mesure où il ne "récupère" pas les conquêtes de Don Juan. Lui, en aucun cas dans la pièce, devient le chouchou des dames.

On peut relever certaines marques de lâcheté de la part de Sganarelle envers son maître lorsqu’il s’en va : « Mon maître est un fourbe ; il n’a dessein que de vous abuser, et en a bien abusé d’autres ; c’est l’épouseur du genre humain, et … (Il aperçoit son maître) Cela est faux ; et quiconque vous dira cela, vous lui devez dire qu’il a menti. «

 

En fait, la pièce est une réflexion sur le libertinage et ses excès. Molière est adepte de la libre-pensée, mais respecte les convictions religieuses. Il s'attaque principalement à toute forme d'hypocrisie que ce soit celle du dévot ou celle du libertin. A la première lecture, Don Juan nous parait ignoble et sans cœur. Mais, malgré qu’il aime jouer de son pouvoir de séduction, Don Juan est un homme plein de qualités cependant moins mises en avant. Sganarelle dresse un portrait d’un homme totalement noir. Certaines choses y sont vraies mais je pense que cela vient de la jalousie. Il n'en est pas moins fasciné par cet homme d'exception, qui, par sa personnalité, par sa transgression, prend une dimension monstrueuse. Sans doute se demande-t-il jusqu'où Dom Juan peut aller... C’est un personnage démesuré, autant dans l’exercice de ses qualités que de ses vices. Mais es-ce que Don Juan est alors un homme heureux ?

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