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Aimer, un acte désintéressé ?

Publié le 03/10/2022

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« Aimer, un acte désintéressé ? Aimer semble de prime abord un élan spontané du cœur dans lequel le rapport à l’autre parait libéré de tout calcul d’intérêt.

L’être aimé est recherché en lui-même ; il n’est pas un simple moyen en vue d’une fin que le sujet se donne.

Toutefois, en aimant, le moi se laisse également pousser par des désirs et des besoins instinctifs dont la satisfaction s’avère vitale pour lui. Derrière l’image d’une relation amoureuse éthérée se cacheraient ainsi les intérêts d’un moi qui ne se montre jamais plus narcissique que dans cette relation qui le porte vers autrui.

Fautil alors que l’homme fasse un effort sur lui-même pour aimer sans pour autant être foncièrement égoïste ? I- l‘amour n’est pas toujours cet élan généreux et désintéressé vers autrui.

Au moins, sous certaines de ses formes, il est mû par l’égoïsme instinctif du moi qui cherche avant tout son intérêt, son plaisir.

Dans ce sens, on peut dire que tout amour est sous-tendu par l’amour que chacun porte pour lui-même, par l’attachement narcissique à soi.

L’autre, l’être aimé, ne serait dans ce sens que le moyen dont nous nous servons pour parvenir à la pleine satisfaction de soi.

Un tel scepticisme qui entoure la relation amoureuse est exprimé non seulement par des penseurs religieux qui dénoncent l’attachement de l’homme à ce qui est censé flatter son égo, mais aussi par des moralistes et des penseurs qui entendent démystifier le sentiment amoureux en y décelant le seul attachement que chacun porte à soi. On peut ainsi rappeler comment un philosophe chrétien comme Saint Thomas d’Aquin distingue entre ce qu’il appelle « amour d’amitié et amour de convoitise » il précise dans Somme théologique qu’ « un ami, au sens propre, est celui à qui nous voulons du bien ; et l’on parle de convoitise à l’égard de ce que nous voulons pour nous » cet amour de convoitise ou concupiscence est un amour égoïste qui cherche d’abord son bien à soi.

L’amour ici n’est que l’autre nom de la pulsion qui pousse à chercher la satisfaction de l’instinct. Derrière l’amour que l’on peut avoir pour un autre se profile l’amour de soi, l’amour narcissique pour soi même.

Freud note dans ce sens que le sentiment amoureux qui se projette sur l’autre semble d’abord déposséder le moi de luimême et que cette dépossession se manifeste surtout dans l’idéalisation de l’être aimé.

Souvent en effet, l’amant confère à ce dernier toutes les qualités rêvées, il construit de lui une représentation parfaite de telle sorte qu’on pourrait dire que l’aimé constitue le tout alors que l’amant se réduit en face de lui à presque rien. Freud va jusqu’à dire que « l’objet absorbe, dévore pour ainsi dire le moi » Cependant, cet abandon du moi n’a rien d’une attitude altruiste.

En réalité, c’est toujours soi même qu’on aime dans l’amour.

Si l’idéalisation de l’objet aimé est poussée si loin, c’est pour des motifs contraires aux apparences, pense Freud.

C’est parce qu’on s’idolâtre soi même sous les traits de l’objet aimé qui représente en quelque sorte l’idéal du moi. D’un autre côté, on peut également soupçonner le fait d’aimer comme une manière d’affirmer sa propre puissance, sa propre force.

Aimer n’est qu’une façon de posséder autrui et de s’augmenter de son être.

Il serait en effet de l’essence même de l’amour de pousser l’amoureux à vouloir posséder et dominer.

Sa définition même comme manque depuis Platon fait de lui cette expérience qui tend à avoir, à posséder l’objet dont on manque.

L’amour est convoitise, il recherche l’objet aimé comme une proie ou comme un trophée de guerre.

Il est avide, jaloux, possessif. Etre amoureux, c’est aimer l’autre pour son bien à soi.

Ainsi, et comme le rappelle Platon dans Phèdre : « l’amant, loin de lui vouloir du bien, aime l’enfant comme un plat dont il veut se rassasier » c’est un objet dont il se sert pour satisfaire la faim qui est en lui.

C’est une pulsion presque incontrôlable et qui réveille en l’homme sa propre animalité ; les amants aiment en fait l’aimé « comme les loups aiment l’agneau » dit encore Platon.

Comparaison choquante mais qui peut rappeler le lexique guerrier employé par Don Juan dans la comédie de Molière.

Le héros séducteur se compare volontiers à Alexandre le Grand ; il se voit en conquérant, en être né pour ravir des cœurs de toutes les femmes de la terre. L’amour est pour lui un moyen qui lui permet d’étendre hyperboliquement sa puissance.

On peut donner à cet égard un autre exemple, celui de Ferral, ce personnage de Malraux dans son roman La Condition humaine.

Il s’agit d’un riche homme d’affaires qui vit en Chine au début du vingtième siècle.

Il conçoit ses réalisations économiques, ses entreprises, les routes qu’il a tracées, les barrages qu’il a participé à construire comme l’expression de sa force et de sa volonté de puissance.

Cette vision conquérante du monde s’étend également pour lui à ses relations amoureuses.

Il ne conçoit pas le rapport qui le lie à Valérie dans le sens de la réciprocité et de l’échange équilibré, mais uniquement dans la perspective de l’asymétrie entre hommes et femmes.

Pour lui, il y a dans l’amour deux fonctions différentes : la femme se donne, l’homme possède.

Valérie doit de ce fait se soumettre, consentir à sa domination, accepter sa réduction à un objet offert à l’autre afin qu’il puisse en jouir à sa guise.

Ferral fait même de sa relation charnelle avec son amante le moyen d’affirmer sa supériorité et de nier cette dernière comme être doué de subjectivité et de liberté, capable d’avoir une existence autonome et indépendante.

L’acte amoureux, l’érotisme n’est d’ailleurs pour lui que le moyen d’avoir prise sur sa partenaire et de lui signifier son infériorité. Ferral est sans doute victime de l’illusion de sa propre supériorité et de l’idée qu’aimer une femme est synonyme de la posséder.

Sur ce point, Valérie tient à lui faire comprendre qu’on ne possède jamais un être humain et qu’une femme n’est pas uniquement un corps dont on jouit.

Dans une lettre qu’elle lui envoie pour venger son humiliation, elle écrit « je ne suis pas une femme qu’on a, un corps imbécile auprès duquel vous trouvez votre plaisir » Ainsi et parce qu’il se veut possession, l’amour ne pourrait fonder une relation entre deux êtres ; entre Ferral et Valérie, c’est l’incompréhension, la mésentente, le conflit des égos. Il ya également une autre dimension qui illustre cette impasse inhérente à l’expérience amoureuse, c’est celle de la jalousie.

On n’est jaloux en amour que parce qu’on veut posséder, que parce qu’on ne peut accepter la liberté de l’autre et qu’on cherche à se l’aliéner.

Dans A La Recherche du temps perdu de Marcel Proust, le narrateur, Marcel, tombe amoureux d’Albertine, une jeune fille énigmatique qui ne cessera de lui donner des motifs pour la soupçonner et pour souffrir d’une cruelle jalousie.

L’amour d’Albertine qui était pour lui la promesse d’une vie heureuse, se transformera vite en passion dévorante et tyrannique. Marcel soupçonne Albertine d’entretenir d’autres relations avec d’autres hommes, et surtout avec d’autres femmes, notamment sa meilleure amie Andrée.

Il cherchera alors à épier ses faits et ses gestes, à deviner derrière le moindre mot un aveu involontaire de son infidélité.

Il devient lui-même la proie de ce désir de tout savoir de son amante, de soupçonner derrière chaque mot un mensonge, derrière chaque intention avouée une autre cachée.

Albertine deviendra pour Marcel un être fuyant, énigmatique et insaisissable.

Car, plus il voulait tout connaitre d’elle, plus il se trouvait en butte à son impénétrabilité.

Albertine deviendra aux yeux de Marcel un être kaléidoscopique, un être constitué de mille morceaux comme un puzzle dont il ne parvient jamais à assembler toutes les pièces.

Il en arrivera même à la séquestrer chez lui, à faire d’elle une « prisonnière ».

Son amour pour elle se transforme en une vraie tyrannie. II- Cependant, cette spirale de possession et de jalousie dans laquelle l’amour se laisse enfermer n’est sans doute pas sa vérité ultime.

S’il peut être animé par la convoitise, il ne s’y réduit pas.

Il ya même dans l’acte d’aimer une expérience qui permet au moi de faire la découverte de l’altérité et de se délier de son amour propre. « Lorsqu’on aime sincèrement une personne, on n’y cherche pas son propre profit ni un plaisir détaché de celui de la personne aimée, mais on cherche son plaisir dans le contentement et dans la félicité de cette personne » affirme le philosophe allemand Leibniz.

Eprouver du plaisir à aimer n’est donc pas répréhensible si ce plaisir est suscité par le plaisir et la félicité de l’être aimé.

On peut en effet rechercher ce qui est à même de nous procurer du plaisir, ce qui est toujours le cas, dit Leibniz, parce que nous sommes humains : « nous faisons tout pour notre bien, et il est impossible que nous ayons d’autres sentiments » remarque t-il.

Toutefois, et lorsqu’on aime réellement, « nous cherchons en même temps notre bien à nous et le bien de l’objet aimé pour lui-même » Autrement dit, en aimant, nous renonçons à la perspective strictement.... »

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