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Alcools d'apollinaire

Publié le 18/11/2012

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apollinaire
www.comptoirlitteraire.com André Durand présente ''Alcools'' (1913) recueil de poèmes de Guillaume APOLLINAIRE On trouve ici les textes et les commentaires de : ''Les colchiques'' (page 2), ''Palais'' (page 4), ''Chantre'' (page 5), ''Crépuscule'' (page 5), ''Annie'' (page 7), ''La maison des morts' (page 8), ''Clotilde'' (page 13), ''Cortège'' (page 14), ''Le voyageur'' (page 16), ''Marie'' (page 18), ''La blanche neige'' (page 19), ''Poème lu au mariage d'André Salmon'' (page 19), ''L'adieu'' (page 20), ''Salomé'' (page 21), ''La porte'' (page 21), ''Merlin et la vieille femme'' (page 22), ''Saltimbanques'' (page 24), ''Le vent nocturne'' (page 25), ''Lul de Faltenin'' (page 25), ''La tzigane'' (page 27), ''L'ermite'' (page 27), ''Automne'' (page 30), ''L'émigrant de Landor Road'' (page 30), ''Rosemonde'' (page 34), ''Le brasier'' (page 34), ''Nuit rhénane'' (page 38), ''Mai'' (page 40), ''La synagogue'' (page 41), ''Les cloches'' (page 43), ''Schinderhannes'' (page 43), ''Rhénane d'automne'' (page 44), ''Les sapins'' (page 46), ''Les femmes'' (page 47), ''Signe'' (page 49), ''Les fiançailles'' (page 49), ''À la Santé'' (page 52), ''Automne malade'' (page 54), ''Cors de chasse'' (page 55), ''Vendémiaire'' (page 55). Les autres poèmes (''Zone'', ''Le pont Mirabeau'', ''La chanson du mal- aimé'', ''La Loreley'') sont étudiés dans des dossiers à part. Bonne lecture ! Ce recueil de poèmes comprend des poèmes anciens, composés de vers réguliers et parus dès 1898, et des poèmes nouveaux composés de vers libres. Par son sous-titre originel, «1898-1912«, le recueil s'offrait comme le journal poétique d'une quinzaine d'années de création ; l'histoire d'une ?uvre s'y combinait avec celle d'une aventure poétique, le jeune poète cherchant sa voie, se faisant aussi bien le représentant de l'avant- garde. Apollinaire révéla rétrospectivement l'esprit de cette datation dans une lettre qu'il adressa à Max Jacob en mars 1916 : «Prends [...] tous tes poèmes qui ont paru dans une revue [...] jusqu'à nos jours. Sans doute cela fera un volume ; tu y ajoutes au besoin les quelques poèmes qu'il faudra et tu auras un volume et garderas des tas de poèmes inédits en mettant en lieu sûr les représentants de ton lyrisme pendant une longue période de poésie«. Cette «longue période de poésie« ainsi mise en lieu sûr allait, s'agissant du rédacteur de la lettre, des lendemains du symbolisme à la veille du surréalisme. Mais, en fait, Apollinaire ne respecta pas l'ordre chronologique de création des poèmes, qui aurait accentué la résonance autobiographique, le poème liminaire, "Zone", ayant été en réalité le dernier composé. De plus, devant l'exemple qui lui avait été donné par Blaise Cendrars, dans une décision de dernière heure, sur les épreuves mêmes, alors que ses poèmes avaient initialement paru encore ponctués, il supprima partout la ponctuation. Il pousuivait ainsi le but constant des poètes, qui a toujours été de saboter la langue. Sans ponctuation, il n'y a plus de concurrence entre le mètre et la syntaxe ; on ne marque pas de pause, même là où le sens l'exige et on en marque une là où il ne l'exige pas ; la versification prend à contre-pied les règles du discours normal. Perdre l'ordre et la coordination, l'armature logique et rationnelle, abolir la frontière entre le raisonnement et la musique, forcer l'?il, la voix, la pensée même à suivre le mouvement musical, se fait au profit de l'aventure poétique, les mots connaissant des regroupements plus secrets que ceux qu'impose la syntaxe, le rythme se permettant toutes les modulations, le texte acquérant plus de fluidité, les images produisant un effet d'autant plus fort qu'elles sont ainsi libérées, les possibilités d'interprétation étant multipliées. Le poète contraint le lecteur à s'abandonner à la dérive poétique, à une logique affective plus secrète, à devenir lui-même un chercheur et un trouveur de sens, à exprimer son émotion par ses choix de lecture. Enfin, pour Marinetti, au début du XXe siècle, supprimer la ponctuation, c'était provoquer dans la lecture des modifications de perception analogues à celles provoquées par la vie moderne. ____________________________________________________________________________ _____ "Zone" Pour le texte et une analyse, aller à APOLLINAIRE - ''Zone'' ____________________________________________________________________________ _____ "Le pont Mirabeau" : Pour le texte et une analyse, aller à APOLLINAIRE - ''Le pont Mirabeau'' ____________________________________________________________________________ _____ "La chanson du mal-aimé" : Pour le texte et une analyse, aller à APOLLINAIRE - ''La chanson du mal- aimé'' ____________________________________________________________________________ _____ "Les colchiques " Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s'empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là Violâtres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne Les enfants de l'école viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières Qui battent comme les fleurs battent au vent dément Le gardien du troupeau chante tout doucement Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne Commentaire Ce poème aligne trois strophes irrégulières formées successivement de sept vers, de cinq vers, de trois vers, des vers aux rimes suivies qui sont pour la plupart des alexandrins, certains étant cependant formés de deux hémistiches (vers 2 et 3), d'autres, légèrement plus longs (vers 6, 8, 9, 10, 11, 12, 14), pouvant avoir douze syllabes, au prix de quelques élisions audacieuses (par exemple : «Qui batt(ent) comme les fleurs battent au vent dément«, mais que l'on peut également considérer comme irréguliers. Encore que le sens de ce poème ne soit pas hermétique, on note çà et là quelques difficultés d'interprétation. Le premier vers ne manque pas d'être inquiétant par la juxtaposition de «vénéneux« et de «joli«, la mention de la saison triste qu'est l'«automne«. «Le pré est vénéneux« parce que, mêlés à l'herbe, il y a des colchiques, plantes vénéneuses (que, dans la réalité, les vaches évitent, mais le poète l'ignore ou feint de l'ignorer). Dans les vers 2 et 3 est dramatisé, par l'enjambement qui divise un alexandrin en deux hémistiches, le contraste entre la placidité des vaches et le danger qu'elles courent. Le colchique est «couleur de cerne et de lilas«, couleur de paupières violâtres et fripées : ces fleurs se parent avec trop de coquetterie et leur fard est trop étudié ; elles cachent leur vraie nature. Un enjambement projette dans le vers 5 un court rejet après lequel le rétablissement de la ponctuation ferait bien saisir que le poète s'adresse à une personne qui, de toute évidence, est une femme, la femme aimée, Annie Playden qui, elle aussi, lui a caché sa vraie nature. Cependant, bel exemple d'effet que permet la suppression de la ponctuation, on peut comprendre aussi que «le colchique y fleurit tes yeux«. Que les yeux de cette femme soient «violâtres« «comme leur cerne« élargit considérablement leur malignité qui est celle aussi de la triste saison qu'est l'automne. Le vers 7, qui clot la strophe, marque bien, par le «Et« initial et par les rimes qui répondent à celles des premiers vers, l'enchaînement inéluctable des situations : comme les vaches s'empoisonnent en broutant les colchiques, le poète s'empoisonne en aimant Annie Playden ou en continuant à ruminer ( ! ) son souvenir. À la deuxième strophe, une troupe d'écoliers joyeux survient, leur «fracas« étant rendu par les sonorités de «hoquetons« et d'«harmonica«. Ingénus, autres représentations du poète, ils cueillent les colchiques sans se douter que ces fleurs si jolies sont dangereuses. Ne sont-elles pas «sont comme des mères«? Mais la suite, qui n'apparaît qu'après l'enjambement, «Filles de leurs filles«, ne manque pas d'étonner. La comparaison, en effet surprenante, peut s'expliquer ainsi : ces «mères, filles de leurs filles« sont des mères de famille si outrageusement fardées et coquettes qu'on les prendrait pour... les filles de leurs filles. Ces fleurs sont de nouveau comparées à la femme, à ses «paupières« qui «battent au vent dément« car, familièrement, on dit «un vent fou«. On peut se demander si, en l'occurrence, ce vent-là ne rend pas fou celui qui, apercevant tous ces «battements« de fleurs, croit voir, mille fois répétés, les battements de paupières de la belle infidèle qui est une autre jolie fleur, point du tout ingénue. À la dernière strophe, «le gardien du troupeau« qui laisse ses vaches s'empoisonner est comme un dieu indifférent au sort de ses créatures, bovins ou humains. Les vaches, qui sont «lentes et meuglant« parce que le poète prend ou affecte de prendre ces meuglements pour l'expression d'un regret, leur lenteur, pour la réticence à s'arracher au pâtis, abandonneraient «pour toujours ce grand pré« : en fait, ce n'est que pour tout l'hiver. Mais c'est le poète qui veut se convaincre d'abandonner pour toujours la pensée de cette femme infidèle, sinon de renoncer à l'amour pour toujours. Ainsi, ce poème apparemment impersonnel et descriptif, où, du spectacle champêtre, se dégage une atmosphère magique, est en fait une chanson douce et triste de l'amour déçu, de l'amour trompé, de l'acceptation mélancolique de la condition humaine. Il est un de ces poèmes d'Apollinaire que la souffrance même a permis de naître. ____________________________________________________________________________ _____ "Palais" À Max Jacob Vers le palais de Rosemonde au fond du Rêve Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée Le palais don du roi comme un roi nu s'élève Des chairs fouettées des roses de la roseraie On voit venir au fond du jardin mes pensées Qui sourient du concert joué par les grenouilles Elles ont envie des cyprès grandes quenouilles Et le soleil miroir des roses s'est brisé Le stigmate sanglant des mains contre les vitres Quel archet mal blessé du couchant le troua La résine qui rend amer le vin de Chypre Ma bouche aux agapes d'agneau blanc l'éprouva Sur les genoux pointus du monarque adultère Sur le mai de son âge et sur son trente et un Madame Rosemonde roule avec mystère Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns Dame de mes pensées au cul de perle fine Dont ni perle ni cul n'égale l'orient Qui donc attendez-vous De rêveuses pensées en marche à l'Orient Mes plus belles voisines Toc toc Entrez dans l'antichambre le jour baisse La veilleuse dans l'ombre est un bijou d'or cuit Pendez vos têtes aux patères par les tresses Le ciel presque nocturne a des lueurs d'aiguilles On entra dans la salle à manger les narines Reniflaient une odeur de graisse et de graillon On eut vingt potages dont trois couleurs d'urine Et le roi prit deux oeufs pochés dans du bouillon Puis les marmitons apportèrent les viandes Des rôtis de pensées mortes dans mon cerveau Mes beaux rêves mort-nés en tranches bien saignantes Et mes souvenirs faisandés en godiveaux Or ces pensées mortes depuis des millénaires Avaient le fade goût des grands mammouths gelés Les os ou songe-creux venaient des ossuaires En danse macabre aux plis de mon cervelet Et tous ces mets criaient des choses nonpareilles Mais nom de Dieu ! Ventre affamé n'a pas d'oreilles Et les convives mastiquaient à qui mieux mieux Ah ! nom de Dieu ! qu'ont donc crié ces entrecôtes Ces grands pâtés ces os à moelle et mirotons Langues de feu où sont-elles mes pentecôtes Pour mes pensées de tous pays de tous les temps Commentaire Dans ce poème, Apollinaire signale la toute-puissance de l'imagination poétique. Si l'on considère les poèmes d'"Alcools" comme une suite de rêves, on arrive ici «au fond du Rêve« et l'étrangeté est beaucoup plus forte. Il entend se libérer du poids du passé culturel comme l'indiquent symboliquement les rôtis de pensées mortes qui sont servis. ____________________________________________________________________________ _____ "Chantre" «Et l'unique cordeau des trompettes marines« Commentaire Ce monostiche, qu'Apollinaire appelait drôlement «vers solitaire«, est la relique tirée d'un brouillon, y restant attaché par le «et« initial. De ce poème, les trois premières strophes ont fourni le début des "Fiançailles", la quinzième et deux vers de la douzième se sont retrouvés dans "L'émigrant de Landor Road", et la dix-septième dans "Le brasier". Il produit dans le recueil un effet similaire à la discordance qui, dans la prosodie, déstabilise, ébranle, introduit comme un déchirement. ____________________________________________________________________________ _____ "Crépuscule" À Mademoiselle Marie Laurencin. Frôlée par les ombres des morts Sur l'herbe où le jour s'exténue L'arlequine s'est mise nue Et dans l'étang mire son corps Un charlatan crépusculaire Vante les tours que l'on va faire Le ciel sans teinte est constellé D'astres pâles comme du lait Sur les tréteaux l'arlequin blême Salue d'abord les spectateurs Des sorciers venus de Bohême Quelques fées et les enchanteurs Ayant décroché une étoile Il la manie à bras tendu Tandis que des pieds un pendu Sonne en mesure les cymbales L'aveugle berce un bel enfant La biche passe avec ses faons Le nain regarde d'un air triste Grandir l'arlequin trismégiste Commentaire Comme l'indique la dédicace, Guillaume Apollinaire a écrit ce poème en pensant à Marie Laurencin avec laquelle il avait rompu en 1912. Ce poème, constitué de cinq quatrains d'octosyllabes à rimes ou assonances placées un peu au hasard d'une strophe à l'autre, marqué dès son titre par le déclin et la mort qui sont peut-être ceux de cet amour perdu, les transpose dans une sorte de parade foraine désenchantée où apparaissent différents personnages quelque peu fantastiques. Il pourrait être un de ces tableaux naïfs, dans le style du Douanier Rousseau, que peignait Marie Laurencin, où ses créatures, nourries de fleurs et de songes, regardent un univers féerique de leurs grands yeux étonnés de biche ou de gazelle. Le premier personnage de cette troupe de forains est "l'arlequine" à laquelle est consacrée la première strophe. Devant la perspective de la mort qu'annonce le crépuscule («le jour s'exténue«), elle éprouve le besoin de se mirer pour ne pas se perdre tout à fait. On peut donc croire qu'il s'agit bien de la peintre qui, en effet, se mirait dans ses tableaux, y représentait son monde intérieur. Le crépuscule est encore évoqué dans la deuxième strophe par cette atténuation, ces couleurs suaves qui justement étaient celles qu'affectionnait l'artiste. Mais, d'abord, se dépense sans trop y croire, pour attirer et convaincre la clientèle, le «charlatan« qu'est le bateleur, le bonimenteur. Mais ne s'agit-il pas d'Apollinaire lui-même dont la poésie est fondée sur la trouvaille (donc «les tours«), la nouveauté étant par avance «crépusculaire«? Il est plus sûr que «l'arlequin blême« de la troisième strophe, s'il rappelle un peu les baladins efflanqués que peignait Picasso aux environs de 1905, représente Apollinaire. Alors que l'arlequin est habituellement un être joyeux qui aime s'amuser, se donner en spectacle, il est «blême« du fait de ses désillusions sentimentales, ou de son trac devant des spectateurs aussi ferrés en matière de magie que ces «sorciers venus de Bohême«, donc des bohémiens, des tziganes (fréquemment évoqués dans le recueil dont un des thèmes récurrents est le voyage), que ces «fées« et ces «enchanteurs« qui, comme par hasard, sont justement des personnages de ses contes. Pourtant, la quatrième strophe montre d'abord un de ses tours. Mais déjà l'attention se détourne vers un musicien acrobate. Dans la dernière strophe, se manifestent d'autres membres de la troupe qui aurait même une ménagerie. Mais tout est fait pour une chute qui revient sur l'arlequin, décidément le personnage principal, d'autant plus qu'il est «trismégiste«, du latin «trismegistus«, trois fois très grand, mot qui semble avoir été cher à Apollinaire puisqu'on le retrouve dans un autre poème, "Vendémiaire", où «les rois« «trois fois courageux devenaient trismégistes«. Mais grandit-il vraiment, voit-il son art s'affirmer, ou n'est-ce qu'aux yeux du nain qu'il est, par un effet de contre-plongée, un géant en fait dérisoire, Apollinaire se moquant donc finalement de lui- même. On peut aussi envisager, au contraire, qu'il veuille très sérieusement se présenter en poète moderne qui doit accepter le risque de perdre son public, son audience, dans cet hermétisme qui est celui de l'Hermès trismégiste. "Crépuscule" serait donc un poème suscité par le souvenir de Marie Laurencin mais où Apollinaire parle surtout de lui, du poète dont ce crépuscule n'est qu'une étape dans son évolution que dessine le recueil "Alcools" où, de la descente aux Enfers qu'est "Zone", en passant par "Le brasier", il aboutira au chant triomphal qu'est "Vendémiaire". ____________________________________________________________________________ _____ "Annie" Sur la côte du Texas Entre Mobile et Galveston il y a Un grand jardin tout plein de roses Il contient aussi une villa Qui est une grande rose Une femme se promène souvent Dans le jardin toute seule Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls Nous nous regardons Comme cette femme est mennonite Ses rosiers et ses vêtements n'ont pas de boutons Il en manque deux à mon veston La dame et moi suivons presque le même rite Commentaire Guillaume Apollinaire imagine Annie Playden vivant aux États-Unis, le pays où, pour ne pas l'épouser, elle s'est enfuie après le drame que rapporta "La chanson du mal-aimé". Mais il se voit aussi l'ayant suivie, reprenant le thème de la dame sans merci et de l'amant martyr comme celui du verger d'amour qui apparurent dans "Le roman de la rose" de Guillaume de Lorris, oeuvre que connaissait bien Apollinaire qui était féru de littérature médiévale et qu'il utilisa aussi dans d'autres poèmes à nom de femme. Dans la première strophe, qui indique le décor, la répétition («roses« - «rose«) insiste sur le rapprochement de la femme et de la rose et annonce le jeu de mots de la troisième strophe sur les boutons de rose. Il faut prononcer «Texas« et «Galveston« à la française : «Texas« comme «il y a« et «Galveston« comme «veston«. La deuxième strophe suscite l'image mélancolique d'une femme solitaire, qui est anonyme mais est évidemment l'Annie du titre. Et, soudain, cette solitude est doublée de celle du poète qui surgit dans la scène, le seul échange de regards entre lui et la femme marquant une absurde séparation définitive. Dans la dernière strophe, pour se venger de la sévérité puritaine de la froide Anglaise protestante qu'il voulait voir en Annie Playden (ou qu'elle fut réellement), le poète s'est amusé à faire d'elle une mennonite, membre d'un mouvement anabaptiste implanté aux États-Unis dont les membres ne vivent que d'agriculture, en bannissant tout ce qui est frivole et en restant fidèles aux moeurs et aux costumes du XVIe siècle, d'où leur usage de crochets au lieu de boutons. Mais, au lieu de parler d'abord des «boutons« dont sont dépourvus «ses vêtements«, le poète surprend en évoquant ceux des «rosiers« qui ont donc été coupés par cette femme austère qui veut mettre fin à cette magnifique floraison, qui a procédé ainsi à une sorte de castration, à la fois des fleurs, de leur beauté, de leur parfum, et aussi du poète lui-même comme si elle avait voulu qu'il ne puisse plus créer de poèmes, moyens de séduction puisque ce sont les roses du rosier qu'il est. C'est ainsi que, continuant le jeu de mots sur le ton de la plaisanterie, il indique que les boutons de son «veston«, il les a perdus. Ce qui est une façon de communier encore avec «la dame« dans «le même rite« qui est donc celui de la tristesse de l'amour non réalisé. De bouffon qu'il semblait d'abord, ce parallèle institué entre elle et le passant devient touchant, le calme de cet homme, «sur la route bordée de tilleuls«, qui semble détaché de la situation notée en passant et avec le sourire, ne trompant pas. La peine de c?ur qu'il ressent, il se refuse à la rendre trop pathétique. La bouffonnerie est une manière pour le poète de déplorer la froideur et l'indifférence d'une femme qui a renoncé à toutes les joies de la vie. Dans ce curieux poème, les rimes se mêlent aux assonances, la structure des strophes est irrégulière, la quantité des vers est plus que capricieuse (premier vers : sept pieds - deuxième : onze pieds - troisième : huit pieds - quatrième : neuf pieds - cinquième : sept pieds - sixième : dix pieds - septième : sept pieds - huitième : quatorze pieds - neuvième : cinq pieds - dixième : neuf pieds - onzième : treize pieds - douzième : neuf pieds - treizième : douze pieds). ____________________________________________________________________________ _____ "La maison des morts" À Maurice Raynal S'étendant sur les côtés du cimetière La maison des morts l'encadrait comme un cloître À l'intérieur de ses vitrines Pareilles à celles des boutiques de modes Au lieu de sourire debout Les mannequins grimaçaient pour l'éternité Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours J'étais entré pour la première fois et par hasard Dans ce cimetière presque désert Et je claquais des dents Devant toute cette bourgeoisie Exposée et vêtue le mieux possible En attendant la sépulture Soudain Rapide comme ma mémoire Les yeux ses rallumèrent De cellule vitrée en cellule vitrée Le ciel se peupla d'une apocalypse Vivace Et la terra plate à l'infini Comme avant Galilée Se couvrit de mille mythologies immobiles Un ange en diamant brisa toutes les vitrines Et les morts m'accostèrent Avec des mines de l'autre monde Mais leur visage et leurs attitudes Devinrent bientôt moins funèbres Le ciel et la terre perdirent Leur aspect fantasmagorique Les morts se réjouissaient De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière Ils riaient de voir leur ombre et l'observaient Comme si véritablement C'eût été leur vie passée Alors je les dénombrai Ils étaient quarante-neuf hommes Femmes et enfants Qui embellissaient à vue d'oeil Et me regardaient maintenant Avec tant de cordialité Tant de tendresse même Que les prenant en amitié Tout à coup Je les invitai à une promenade Loin des arcades de leur maison Et tous bras dessus bras dessous Fredonnant des airs militaires Oui tous vos péchés sont absous Nous quittâmes le cimetière Nous traversâmes la ville Et rencontrions souvent Des parents des amis qui se joignaient À la petite troupe des morts récents Tous étaient si gais Si charmants si bien portants Que bien malin qui aurait pu Distinguer les morts des vivants Puis dans la campagne On s'éparpilla Deux chevau-légers nous joignirent On leur fit fête Ils coupèrent du bois de viorne Et de sureau Dont ils firent des sifflets Qu'ils distribuèrent aux enfants Plus tard dans un bal champêtre Les couples mains sur les épaules Dansèrent au son aigre des cithares Ils n'avaient pas oublié la danse Ces morts et ces mortes On buvait aussi Et de temps à autre une cloche Annonçait qu'un autre tonneau Allait être mis en perce Une morte assise sur un banc Près d'un buisson d'épine-vinette Laissait un étudiant Agenouillé à ses pieds Lui parler de fiançailles Je vous attendrai Dix ans vingt ans s'il le faut Votre volonté sera la mienne Je vous attendrai Toute votre vie Répondait la morte Des enfants De ce monde ou bien de l'autre Chantaient de ces rondes Aux paroles absurdes et lyriques Qui sans doute sont les restes Des plus anciens monuments poétiques De l'humanité L'étudiant passa une bague À l'annulaire de la jeune morte Voici le gage de mon amour De nos fiançailles Ni le temps ni l'absence Ne nous feront oublier nos promesses Et un jour nous auront une belle noce Des touffes de myrte À nos vêtements et dans vos cheveux Un beau sermon à l'église De longs discours après le banquet Et de la musique De la musique Nos enfants Dit la fiancée Seront plus beaux plus beaux encore Hélas ! la bague était brisée Que s'ils étaient d'argent ou d'or D'émeraude ou de diamant Seront plus clairs plus clairs encore Que les astres du firmament Que la lumière de l'aurore Que vos regards mon fiancé Auront meilleure odeur encore Hélas ! la bague était brisée Que le lilas qui vient d'éclore Que le thym la rose ou qu'un brin De lavande ou de romarin Les musiciens s'en étant allés Nous continuâmes la promenade Au bord d'un lac On s'amusa à faire des ricochets Avec des cailloux plats Sur l'eau qui dansait à peine Des barques étaient amarrées Dans un havre On les détacha Après que toute la troupe se fut embarquée Et quelques morts ramaient Avec autant de vigueur que les vivants À l'avant du bateau que je gouvernais Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d'une robe jaune D'un corsage noir Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris Orné d'une seule petite plume défrisée Je vous aime Disait-il Comme le pigeon aime la colombe Comme l'insecte nocturne Aime la lumière Trop tard Répondait la vivante Repoussez repoussez cet amour défendu Je suis mariée Voyez l'anneau qui brille Mes mains tremblent Je pleure et je voudrais mourir Les barques étaient arrivées À un endroit où les chevau-légers Savaient qu'un écho répondait de la rive On ne se lassait point de l'interroger Il y eut des questions si extravagantes Et des réponses tellement pleines d'à-propos Que c'était à mourir de rire Et le mort disait à la vivante Nous serions si heureux ensemble Sur nous l'eau se refermera Mais vous pleurez et vos mains tremblent Aucun de nous ne reviendra On reprit terre et ce fut le retour Les amoureux s'entr'aimaient Et par couples aux belles bouches Marchaient à distances inégales Les morts avaient choisi les vivantes Et les vivants Des mortes Un genévrier parfois Faisait l'effet d'un fantôme Les enfants déchiraient l'air En soufflant les joues creuses Dans leurs sifflets de viorne Ou de sureau Tandis que les militaires Chantaient des tyroliennes En se répondant comme on le fait Dans la montagne Dans la ville Notre troupe diminua peu à peu On se disait Au revoir À demain À bientôt Bientôt entraient dans les brasseries Quelques-uns nous quittèrent Devant une boucherie canine Pour y acheter leur repas du soir Bientôt je restai seul avec ces morts Qui s'en allaient tout droit Au cimetière Où Sous les Arcades Je les reconnus Couchés Immobiles Et bien vêtus Attendant la sépulture derrière les vitrines Ils ne se doutaient pas De ce qui s'était passé Mais les vivants en gardaient le souvenir C'était un bonheur inespéré Et si certain Qu'ils ne craignaient point de le perdre Ils vivaient si noblement Que ceux qui la veille encore Les regardaient comme leurs égaux Ou même quelque chose de moins Admiraient maintenant Leur puissance leur richesse et leur génie Car y a-t-il rien qui vous élève Comme d'avoir aimé un mort ou une morte On devient si pur qu'on en arrive Dans les glaciers de la mémoire À se confondre avec le souvenir On est fortifié pour la vie Et l'on n'a plus besoin de personne Commentaire Ce poème fantastique, macabre et gai, avait été inspiré à Guillaume Apollinaire par la Bavière où, pourtant, il n'avait séjourné que quelques jours. Dans la suite des poèmes d'"Alcools", il fait faire un pas de plus dans le fantastique, cette maison ayant toute l'étrangeté des maisons de verre du cycle breton. Il en sort des morts qui se mêlent si bien aux vivants qu'ils se fiancent avec eux. Vivants et morts ont été unis dans la promenade, et les vivants tirent de cette nuit fantastique une étrange grandeur. L'écrivain affirmait son goût de se plonger dans le passé, sa volonté de recueillir «les restes / Des plus anciens monuments poétiques / De l'humanité«, ce qui, depuis Homère, a constitué la littérature qui, ce faisant, s'emprisonne dans l'intertextualité. Mais le passé a un rôle purificateur. Le poème est surprenant par ses dimensions. C'est que le texte fut d'abord un petit conte en prose qui parut sous le titre "L'obituaire", dans "Le soleil", un journal du matin, avant de prendre, dans le tome XVIII de "Vers et prose" (juillet-août-septembre 1909), la forme de vers libres, Apollinaire s'étant contenté de découper sa prose en lignes à peu près égales. Les Treize, qui signaient dans "L'intransigeant" une "Boîte aux lettres" quotidienne et y publiaient des «épigrammes sans méchanceté«, livrèrent celle-ci le 1er septembre 1910 : «Il est bon parfois, mon cher poète, de faire des vers libres. Mais ce qui n'est pas bon, c'est de prendre une nouvelle qu'on a publiée dans un journal du matin, de la recopier en écrivant à la ligne au bout de quelques syllabes et d'envoyer ça à une revue comme poème inédit, en vers libres. N'est-ce pas, mon cher confrère? Et nous sommes gentils, nous ne vous nommons pas.« Puis, le 26 mai 1911, ils récidivèrent : «J'aime dans ses écrits un ligne sévère, Apollinéaire.« Aussi le poète eut-il longtemps une réputation de mystificateur. ____________________________________________________________________________ _____ "Clotilde" L'anémone et l'ancolie Ont poussé dans le jardin Où dort la mélancolie Entre l'amour et le dédain Il y vient aussi nos ombres Que la nuit dissipera Le soleil qui les rend sombres Avec elles disparaîtra Les déités des eaux vives Laissent couler leurs cheveux Passe il faut que tu poursuives Cette belle ombre que tu veux Commentaire Écrit en vers pairs et impairs (chaque strophe compte trois heptasyllabes, suivis d'un octosyllabe), dans cette veine élégiaque mélodique qui fait le succès du poète auprès d'un public toujours avide d'émotions sentimentales et de vers faciles à réciter de mémoire, ce « lied « charmant est à la fois transparent et mystérieux. Ce poème à nom de femme (il peut évoquer l'ombre de Marie Laurencin), comme d'autres, reprend le thème du verger d'amour du ''Roman de la rose'' de Guillaume de Lorris. Le poète y évoque un jardin mélancolique (strophe 1) que deux ombres éphémères hantent (strophe 2), qu'agrémente une fontaine dont les statues prennent, sous l'eau, un air penché (strophe 3, première moitié). Mais, alors même que le poète semble ne vouloir écouter que les sollicitations de la mélancolie, il décide brusquement de se ressaisir (fin de la strophe 3). L'anémone et l'ancolie, deux fleurs qui sont comme deux soeurs, évoquent sans doute, dans l'esprit du poète, la belle Clotilde elle-même. Tapie dans un recoin de ce jardin, voici la rêveuse mélancolie : une autre fleur, croirait-on (musicalement, «la mélancolie« fait écho à «L'anémonélancolie«). Cette mélancolie est celle du poète qui ne se sent ni tout à fait aimé, ni tout à fait dédaigné ; en un mot, il est mal aimé. Dans ce jardin viennent «aussi« deux ombres : celles du couple que forment Clotilde et le poète. «Viennent«-elles comme on vient se promener? Ou bien comme une plante «vient«, c'est-à-dire pousse dans un jardin, à l'instar des fleurs réelles et des fleurs allégoriques, tout à l'heure aperçues? En tout cas ces ombres, ces reflets impalpables sont terriblement éphémères. Elles disparaîtront avec la nuit. Le soleil, qui ne fait d'ailleurs qu'accuser leur caractère sombre, s'en ira avec elles : plus de lumière, plus de vie, plus d'amour (en effet, le poète dit, non pas que «l'ombre disparaîtra avec le soleil«, mais que «le soleil disparaîtra avec l'ombre« ; il juge que, cette femme, cette «b...
apollinaire

« Ce recueil de poèmes comprend des poèmes anciens, composés de vers réguliers et parus dès 1898, et des poèmes nouveaux composés de vers libres.

Par son sous-titre originel, « 1898-1912 », le recueil s’offrait comme le journal poétique d’une quinzaine d’années de création ; l’histoire d’une œuvre s’y combinait avec celle d’une aventure poétique, le jeune poète cherchant sa voie, se faisant aussi bien le représentant de l’avant-garde.

Apollinaire révéla rétrospectivement l’esprit de cette datation dans une lettre qu’il adressa à Max Jacob en mars 1916 : « Prends […] tous tes poèmes qui ont paru dans une revue […] jusqu’à nos jours.

Sans doute cela fera un volume ; tu y ajoutes au besoin les quelques poèmes qu’il faudra et tu auras un volume et garderas des tas de poèmes inédits en mettant en lieu sûr les représentants de ton lyrisme pendant une longue période de poésie ».

Cette « longue période de poésie» ainsi mise en lieu sûr allait, s’agissant du rédacteur de la lettre, des lendemains du symbolisme à la veille du surréalisme.

Mais, en fait, Apollinaire ne respecta pas l’ordre chronologique de création des poèmes, qui aurait accentué la résonance autobiographique, le poème liminaire, “ Zone” , ayant été en réalité le dernier composé.

De plus, devant l’exemple qui lui avait été donné par Blaise Cendrars, dans une décision de dernière heure, sur les épreuves mêmes, alors que ses poèmes avaient initialement paru encore ponctués, il supprima partout la ponctuation.

Il pousuivait ainsi le but constant des poètes, qui a toujours été de saboter la langue.

Sans ponctuation, il n'y a plus de concurrence entre le mètre et la syntaxe ; on ne marque pas de pause, même là où le sens l'exige et on en marque une là où il ne l'exige pas ; la versification prend à contre-pied les règles du discours normal.

Perdre l’ordre et la coordination, l’armature logique et rationnelle, abolir la frontière entre le raisonnement et la musique, forcer l’œil, la voix, la pensée même à suivre le mouvement musical, se fait au profit de l’aventure poétique, les mots connaissant des regroupements plus secrets que ceux qu’impose la syntaxe, le rythme se permettant toutes les modulations, le texte acquérant plus de fluidité, les images produisant un effet d’autant plus fort qu’elles sont ainsi libérées, les possibilités d'interprétation étant multipliées.

Le poète contraint le lecteur à s’abandonner à la dérive poétique, à une logique affective plus secrète, à devenir lui-même un chercheur et un trouveur de sens, à exprimer son émotion par ses choix de lecture.

Enfin, pour Marinetti, au début du XXe siècle, supprimer la ponctuation, c’était provoquer dans la lecture des modifications de perception analogues à celles provoquées par la vie moderne. _________________________________________________________________________________ “ Zone” Pour le texte et une analyse, aller à APOLLINAIRE - ‘’ Zone ’’ _________________________________________________________________________________ “ Le pont Mirabeau” : Pour le texte et une analyse, aller à APOLLINAIRE - ‘ ’Le pont Mirabeau’’ _________________________________________________________________________________ “ La chanson du mal-aimé” : Pour le texte et une analyse, aller à APOLLINAIRE - ‘ ’La chanson du mal-aimé’’ _________________________________________________________________________________ “ Les colchiques “ Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s'empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas 2. »

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