ANALYSE DE L'OEUVRE DE BERNARDIN DE SAINT-PIERRE

« enchante, parce que tout est nouveau et frais.

Les mots eux-mêmes sont parés d'un charme neuf, notamment ceuxdes arbres : palétuviers, flamboyants, lataniers, calebassiers, etc.

Ils contribuent à évoquer une nature sauvage etprimitive.Ainsi ce passage de Paul et Virginie : ...« Virginie lui dit alors : « Mon frère (il s'agit de Paul), le Jour baisse ; tu as encore des forces, et les miennes memanquent ; laisse-moi ici, et retourne seul à notre case pour tranquilliser nos mères.

— Oh ! non, dit Paul, Je ne tequitterai pas.

Si la nuit nous surprend dans ce bols, J'allumerai du feu, rabattrai un palmiste, tu en mangeras lechou, et Je ferai avec ses feuilles un ajoupa pour te mettre à l'abri.

» Cependant Virginie, s'étant un peu reposée,cueillit sur le tronc d'un vieil arbre penché sur le bord de la rivière de longues feuilles de scolopendre qui pendaientde son tronc ; elle en fit des espèces de brodequins dont elle s'entoura les pieds, que les pierres des cheminsavaient mis en sang...

Se sentant soulagée par la fraicheur de ces feuilles, elle rompit une branche de bambou, etse mit en marche, en s'appuyant d'une main sur ce roseau, et de l'autre sur son frère...

» L'insolite d'un tel décor (en 1787) , dans sa précision rigoureuse, autorisait l'imagination des lecteurs à gagner legrand large, au delà des Tropiques, loin des paysages trop connus et trop usés ; — il les invitait aussi, avec nonmoins d'insistance, à prendre un bain d'innocence et de naïveté loin des artifices d'une société dont Jean-Jacquesavait déjà pathétiquement dénoncé la sécheresse et le vide affectif.Par ailleurs, et c'est l'autre attrait de Paul et Virginie à sa parution, si les images et les sensations, si lesdescriptions inhabituelles satisfont le goût de « l'évasion » et des lointains voyages — dont la mode commence à sedévelopper vers la fin du XVIII° siècle —, rien dans la structure et le contenu du roman n'est susceptible dedécontenancer le lecteur ni de lui déplaire : puisqu'il s'agit en définitive d'un récit traditionnel, à la française, oùl'analyse et l'émotion l'emportent de beaucoup sur les ressorts de l'intrigue et de l'action.Des enfantillages, des nuées, du verbalisme sentimental, on trouve tout cela sans doute dans l'oeuvrede Bernardin de Saint-Pierre.Mais on y trouve aussi, par delà des considérations peu raisonnables, une conception harmonieuse et grandiose dela nature dans ce qu'elle a de cohérent et de puissant..

En cela il continue l'oeuvre « naturiste » de Rousseau etannonce celle de Chateaubriand.Et puis son style est en avance sur le leur dans la mesure où il est plus précis, plus plastique, plus artiste où ils'efforce déjà, à la manière des futurs impressionnistes, de rafraîchir la description par des éléments pittoresques etimpromptus, qui surprennent et font rêver.Il suggère plus qu'il ne décrit et Flaubert lui-même aurait applaudi à cette évocation brumeuse et stricte « destroupeaux de rennes qui grattent la neige pour chercher les mousses et s'avancent en bramant dans ces régionsdésolées de la nuit, à la lueur des aurores boréales ».Il suffit d'une accumulation de ces « petites choses » pour admettre que l'importance qui, par certains aspects deses écrits, semble avoir été trop généreusement accordée à Bernardin de Saint-Pierre, est, en définitive, trèsjustifiée.. »