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André Chénier est-il classique ou romantique ?

Publié le 17/02/2012

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Lorsque parut l'édition fameuse... et incomplète de 1819, Victor Hugo, «jeune jacobite « âgé de dix-sept ans, esquissa un parallèle entre Chénier et Lamartine, où Ton trouve cette double et — sous sa plume —- ahurissante antithèse : « Le premier est romantique parmi les classiques; le second est classique parmi les romantiques. « La nouvelle école se recommanda, en effet, de ce jeune ancêtre; n'était-il pas l'héritier de Ronsard, et Ronsard n'était-il pas un aïeul authentique? Théophile Gautier, en 1869, au temps du Parnasse, affirmera encore : « On peut dater d'André Chénier la poésie moderne. « Les deux camps adverses sont d'ailleurs pleinement d'accord. On connaît le vers ridiculement célèbre de Baour-Lormian :

Nous, nous datons d'Homère, et vous, d'André Chénier.

« blait une larme humaine ni une perle de rosee L'alexandrin apprit de l'hexametre grec la cesure mobile, la variete des coupes, les suspensions, les rejets, toute cette secrete harmonie et ce rythme interieur si heureu-sement retrouves par le chantre de la Jeune Malade, du Mendiant et de l'Oarystis...

) Pas un mot, on le voit, concernant le fond meme du Romantisme.

C'est que, vers 1830, on ne savait pas au juste en quoi consistait la nouvelle mode litteraire, ce qui embarrassait beaucoup Dupuis et Cotonet et amu- sait beaucoup Alfred de Musset.

Rien de plus curieux que les listes d'au- teurs romantiques dressees a cette époque; on y voit figurer Beranger, Paul-Louis Courier, Etienne et Scribe au milieu de novateurs authentiques. Autre raison plausible : Chateaubriand, pere du Romantisme, a cite avec enthousiasme, dans son Genie, certains vers de Chenier ou it a cru sentir passer rime orageuse et melancolique de Rene : Souvent, las d'être esclave et de boire la lieDe ce calice amer que ron nomme la vie, Las du mepris des sots, qui suit la pauvrete, Je regarde la tombe, asile souhaite... Cette hantise de la mort, cette tristesse, ces gemissements plaintifs ne sont- ils pas romantiques? Mais l'instant d'apres, c'est l'imitateur de l'antiquite, remule de Theocrite qu'il lone et dont it deplore la fin tragique.

Les Romantiques pouvaient aussi gotiter en lui le poete lyrique.

Vol- taire ne retail guere, et c'etait a leurs yeux une cause d'inf eriorite; Andre cultive la poem personnelle - mitigee dans les Elegies, plus accentuee dans les Iambes - et c'est pour eux une recommandation suffisante.

Une certaine sincerite qui n'hesite pas devant le mot cru, brutal, n'etait pout- etre pas non plus pour deplaire.

Ceux qui nommaient « le cochon par son nom » devaient applaudir a ces vers : Mourir sans vider mon carquois, Sans percer, sans fouler, sans petrir dans leur fange Ces bourreaux barbouilleurs de lois, Ces vers cadavereux de la France asservie, Egorgeel... Ses tendances au poeme philosophique, son Mais apres avoir pris connaissance des textes et suppute les raisons inexprimees de cette admiration, it faut bien convenir que si Chenier a ravi les Romantiques it ne les a pas ins- pires. * Les pseudo-classiques de la Restauration le repudient pour les memes raisons qui le recommandaient aux romantiques de la meme époque et sem- blent ne discerner en lui aucun des caracteres profonds qui le rattachent etroitement an classicisme.

Its lui reprochent « des incorrections sans nombre », l'audace de certaines coupes, la brusquerie de certains enjam- bements.

Il parait a Nepomucene Lemercier « agile du desir d'innover partout ». Faguet, partant de ce fait que Ronsard est le plus classique des classi- ques et le pere de tout le classicisme francais, appelle Chenier « &toile nouvelle de la vieille Pleiade » et considere comme une « erreur absolue » la pretention romantique.

« C'estledernier des pokes classiques,... classique exclusivement, sans avoir meme le soupcon des sentiments, pas- sions et Oats d'esprit qui seront familiers a Chateaubriand, a Vigny, a La- ntartine et par consequent a Hugo.

) Et it rappelle le mot de Sainte-Beuve, revenu de son opinion premiere : cs C'est notre plus grand classique en vers depuis Racine.

3.

Anatole France rencherit : « Loin d'être un initiateur, it est l'expression d'un art expirant.

C'est a lui qu'aboutissent le gait, l'ideal, la pensee du awn!' siècle.

Il resume le style Louis XVI et l'esprit encyclopedique.

Il est la fin d'un monde...

Rien de ce qui va fleurir n'est en germe en lui...

11 n'a soupconne ni le spiritualisme, ni la melancolie de Rene, ni I'ennui d'Ober- mann, ni les ardeurs romanesques de Corinne...

Ii a vu jouer Shakespeare A Londres, et it y a moins compris que Voltaire...

et Ducis...

II ne porte blait une larme humaine ni une perle de rosée!... L'alexandrin apprit de l'hexamètre grec la césure mobile, la variété des coupes, les suspensions, les rejets, toute cette secrète harmonie et ce rythme intérieur si heureu­ sement retrouvés par le chantre de la Jeune Malade, du Mendiant et de YOarystis... » Pas un mot, on le voit, concernant le fond même du Romantisme. C'est que, vers 1830, on ne savait pas au juste en quoi consistait la nouvelle mode littéraire, ce qui embarrassait beaucoup Dupuis et Cotonet et amu­ sait beaucoup Alfred de Musset.

Rien de plus curieux que les listes d'au­ teurs romantiques dressées à cette époque; on y voit figurer Béranger, Paul-Louis Courier, Etienne et Scribe au milieu de novateurs authentiques.

Autre raison plausible : Chateaubriand, père du Romantisme, a cité avec enthousiasme, dans son Génie, certains vers de Chénier où il a cru sentir passer l'âme orageuse et mélancolique de René : Souvent, las d'être esclave et de boire la lie De ce calice amer que Von nomme la vie, Las du mépris des sots, qui suit la pauvreté, Je regarde la tombe, asile souhaité...

Cette hantise de la mort, cette tristesse, ces gémissements plaintifs ne sont- ils pas romantiques? Mais l'instant d'après, c'est l'imitateur de l'antiquité, l'émule de Théocrite qu'il loue et dont il déplore la fin tragique.

Les Romantiques pouvaient aussi goûter en lui le poète lyrique.

Vol­ taire ne l'était guère, et c'était à leurs yeux une cause d'infériorité; André cultive la poésie personnelle — mitigée dans les Elégies, plus accentuée dans les ïambes — et c'est pour eux une recommandation suffisante. Une certaine sincérité qui n'hésite pas devant le mot cru, brutal, n'était peut- être pas non plus pour déplaire. Ceux qui nommaient « le cochon par son nom » devaient applaudir à ces vers : Mourir sans vider mon carquois, Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange Ces bourreaux barbouilleurs de lois, Ces vers cadavéreux de la France asservie, Egorgée!...

Ses tendances au poème philosophique, son projet grandiose d'épopée scien­ tifique ont pu également les illusionner.

Mais après avoir pris connaissance des textes et supputé les raisons inexprimées de cette admiration, il faut bien convenir que si Chénier a ravi les Romantiques il ne les a pas ins­ pirés.

Les pseudo-classiques de la Restauration le répudient pour les mêmes raisons qui le recommandaient aux romantiques de la même époque et sem­ blent ne discerner en lui aucun des caractères profonds qui le rattachent étroitement au classicisme. Ils lui reprochent « des incorrections sans nombre », l'audace de certaines coupes, la brusquerie de certains enjam­ bements. Il paraît à Népomucène Lemercier « agité du désir d'innover partout ».

Faguet, partant de ce fait que Ronsard est le plus classique des classi­ ques et le père de tout le classicisme français, appelle Chénier « étoile nouvelle de la vieille Pléiade » et considère comme une « erreur absolue » la prétention romantique. « C'est le dernier des poètes classiques,...

classique exclusivement, sans avoir même le soupçon des sentiments, pas¬ sions et états d'esprit qui seront familiers à Chateaubriand, à Vigny, à La­ martine et par conséquent à Hugo. » Et il rappelle le mot de Sainte-Beuve, revenu de son opinion première : «5 C'est notre plus grand classique en vers depuis Racine.» Anatole France renchérit : « Loin d'être un initiateur, il est l'expression d'un art expirant. C'est à lui qu'aboutissent le goût, l'idéal, la pensée du XVIII 6 siècle.

Il résume le style Louis XVI et l'esprit encyclopédique.

Il est la fin d'un monde...

Rien de ce qui va fleurir n'est en germe en lui... Il n'a soupçonné ni le spiritualisme, ni la mélancolie de René, ni l'ennui d'Ober- mann, ni les ardeurs romanesques de Corinne... Il a vu jouer Shakespeare à Londres, et il y a moins compris que Voltaire... et Ducis... Il ne porte. »

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