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André GRALL: Un voyage à Paris

Publié le 25/02/2011

Extrait du document

« Pardon, je voudrais un renseignement. — Oui? — La rue de la Gaîté, s'il vous plaît. «

Le temps de prendre l'inspiration nécessaire à la formulation de ma réponse négative, puisque je connais très mal les rues de Paris, et je me retrouve avec un livre dans les mains. « Nous sommes étudiants aux Beaux-Arts et nous vendons des livres pour acheter nos crayons. Tu donnes la somme que tu veux. « Je refuse poliment, trop pauvre que je suis pour jeter mes quelques deniers dans l'achat d'un livre apparemment sans intérêt. Les insultes pleuvent devant mon empressement soudain à déguerpir. Puis, dernier argument, apothéose1 de la mauvaise foi : « Tu es donc contre les étudiants? « Dent pour dent. « Oui! « Je quitte la gare Montparnasse et m'engouffre dans le métro. Ici commence le royaume des ombres blafardes où les regards s'enfuient, se fuient. Assis ou debout, les voyageurs scrutent sans les voir la demi-obscurité du tunnel, la publicité qui pendouille au plafond, le dossier d'en face, au mieux une nuque, un dos, le coin d'une oreille. Aucun regard ne se croise. Il est vrai que nous sommes au pays des taupes. Si, par erreur et par malheur, quatre pupilles échangent la vision de deux visages, le masque de l'appréhension et de la gêne sourd2 de chaque porte, dégouline en fine sueur de la racine des cheveux à la pointe du menton. Sifflement des roues contre le rail, cahot des virages, basculement des freinages, on évite tout autant de se toucher. L'autre est un monstre, c'est évident. Quoi de plus normal au pays de l'agression permanente... Dehors, enfin! L'air est lourd des vapeurs d'échappement. Je me promène du côté de la rue de Rivoli et cherche la rue des Bourdonnais. «Pardon, mademoiselle, je...« Elle hâte le pas, lève les yeux, crispe les lèvres, et passe. « Pardon, madame... « La réaction est la même. « Pardon, je... « Fantômes ou êtres réels, m'entendent-ils, sommes-nous bien dans la même dimension, suis-je ou non sur la troisième planète à partir du Soleil? Pardon. Excusez-moi de vous causer une telle frayeur, mais je voudrais tout simplement vous demander où se trouve la rue des Bourdonnais. Puisque j'ai fui, envoyez-moi donc le renseignement à Quimper. Et, encore une fois, je vous prie de m'excuser. Et pourtant, je n'avais rien à vendre, moi... André GRALL. 1. «Apothéose de la mauvaise foi«: signifie «comble de la mauvaise foi«. 2. «Sourd«: troisième personne du singulier de l'indicatif présent du verbe «sourdre« dont le sens équivaut à celui de «sortir, surgir«. sujets au choix 1) Vous vous êtes déjà heurté à l'indifférence ou à l'agressivité d'autrui. Rapportez votre expérience. 2) «L'autre est un monstre, c'est évident«, écrit ironiquement l'auteur, pour dénoncer la méfiance que l'on éprouve à l'égard d'autrui. Illustrez cette affirmation en vous appuyant sur des exemples précis. Discutez-la éventuellement. 3) Choisissez un ou plusieurs personnages du texte; imaginez ses ou leurs réflexions après la rencontre avec le narrateur.

« opposent un refus. • Est-ce vraiment la bonne explication? Ne mêle-t-on pas deux problèmes très différents? — La méfiance est un réflexe de prudence dû à la multiplication des «agressions» (dont certaines sont de vraiesagressions crapuleuses). Ex.

: Les passants de la rue de Rivoli refusent de répondre, de peur d'être importunés ou «agressés». — Le manque de communication caractérise la vie en société en cette fin de XXe siècle où chacun ignore «l'autre ». Ex.

: Les voyageurs du métro sont repliés sur eux-mêmes et s'ignorent mutuellement. • Il n'y a pas nécessairement de lien entre l'une et l'autre attitude. — Ce n'est pas seulement la crainte qui rend les gens renfermés. — Plus profondément, notre société est incapable de faire vivre ses individus dans une réelle communauté.

Elledéveloppe avant tout le sens du «chacun pour soi». — Il n'entre pas forcément de méfiance dans cette attitude, mais simplement de l'individualisme : je n'ai aucuneraison particulière de me méfier de mon voisin de palier, mais je l'ignore, car les autres ne «m'intéressent pas». — A la limite, on peut observer dans certaines sociétés la coexistence d'une grande méfiance et d'une bonnecommunication des individus. Il suffit de songer au monde paysan où chacun est vigilant quant à sa personne et à ses biens et où cependant lavie communautaire est encore très vivace. • On notera particulièrement la phrase «L'autre est un monstre» qui est l'application à la réalité quotidienne del'exacte définition du racisme. Il existe, en effet, un «racisme» qui consiste à ne pas tolérer la différence (de convictions, de physique,d'habillement ou de comportement). Ce «racisme-là» est la face violente de l'indifférence.

Au mieux on s'ignore.

Au pire on se supprime. • Vous pouvez, en définitive, illustrer à votre manière et à votre guise l'une ou l'autre de ces «attitudes» : — l'indifférence; — la méfiance et l'agressivité. Sujet 3 • On ne voit pas très bien quel développement construire autour des réactions du ou des personnage(s)rencontré(s) par le narrateur. — Celles de «l'étudiant» ne sont qu'invectives passagères, vite oubliées. — Celles des passants de la rue de Rivoli, plus éphémères encore, ne sont qu'un moment de surprise mêlée d'uncertain agacement. Il paraît difficile de remplir 30 lignes avec si peu de matière!. »

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