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André MALRAUX, La Condition humaine. 21 mars 1927: Dans quelle mesure cette page qui figure au début La Condition humaine vous paraît-elle fournir les éléments d'une exposition romanesque ? Pouvez-vous définir son originalité par rapport à une exposition traditionnelle ?

Publié le 11/09/2014

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malraux

Quant au drame qui va se jouer, nous n'en pouvons connaître qu'un épisode. Celui d'un meurtre. Le roman traditionnel nous place très tôt dans la perspective d'une entreprise qui s'annonce et se prépare de très loin. Son échec ou sa réussite déclenche le dénouement. Ici, rien de semblable ne semble s'esquisser. Nous nous trouvons plutôt plongés dans une atmosphère de luttes fragmentaires et d'exécutions clandestines qui s'insèrent dans le cadre d'un vaste dessein. Le mot est d'ailleurs prononcé : c'est une révolution qui se prépare. A cette échelle où tant de forces obscures s'affrontent, le roman ne peut se développer selon une logique rigoureuse. Il ne peut donc être question de nous laisser entrevoir par ces données initiales une orientation de l'action. On prendra plutôt une conscience progressive de la tournure des événements, au fur et à mesure que le temps passe. Voilà pourquoi tout naturellement la Condition humaine s'organise selon la chronologie. Le titre de ce premier chapitre est significatif. Il se réduit à l'énoncé d'une date — 21 mars 1927 — complété par une indication horaire : minuit et demi. Ce que pose fortement en tout cas cette première page, c'est l'im­portance et l'ampleur de l'enjeu.

TEXTE

21 mars 1927

Minuit et demi.

Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, et d'où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d'homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d'électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l'un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés !

La vague du vacarme retomba : quelques embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes...). Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le temps n'existait plus.

Il se répétait que cet homme devait mourir. Bêtement : car il savait qu'il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait. Rien n'existait que ce pied, cet homme qu'il devait frapper sans qu'il se défendît, — car, s'il se défendait, il appellerait.

Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu'à la nausée, non le combattant qu'il attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu'il avait choisis : sous son sacrifice

MALRAUX                                        73

à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d'angoisse n'était que clarté. « Assassiner n'est pas seulement tuer... «

 

André MALRAUX, La Condition humaine, Gallimard.

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« MALRAUX 73 à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d'angoisse n'était que clarté.

«Assassiner n'est pas seulement tuer ...

» André MALRAUX, La Condition humaine, Gallimard.

Dans quelle mesure cette page qui figure au début La Condition humaine vous paraît-elle fournir les éléments d'une exposition romanesque ? Pouvez-vous définir son originalité par rapport à une exposition traditionnelle ? COMMENTAIRE PROPOSÉ INTRODUCTION Les premières pages d'un roman traditionnel sont d'ordinaire consacrées à ! 'exposition.

Pour intéresser d'emblée son lecteur; l'auteur s'y applique à nous retracer le cadre où vivent ses person­ nages, leur psychologie et leurs antécédents, la situation à laquelle ils doivent faire face et déjà il nous laisse entrevoir certains événements qui vont peut-être se produire.

Malraux, au contraire, de toute évidence, au début de la Condition humaine, ne s'est pas soucié de bâtir méthodiquement ce type d'exposition.

Pouvons­ nous néanmoins découvrir dans le détail du texte les éléments nécessaires à introduire ses lecteurs dans l'atmosphère de son roman? 1.

LE CADRE Assurément, la présentation du cadre semble réduite à sa plus simple expression.

Balzac, avant de présenter ses person­ nages, retraçait minutieusement le lieu où se passait leur existence.

Eugénie Grandet, par exemple, promène sans hâte le lecteur dans les rues de Saumur, avant de le faire entrer dans la maison de l'avare dont nous connaîtrons le jardin, la disposition des pièces et le mobilier.

D'emblée, au contraire, Malraux met en scène un personnage et nous fait sur-le-champ le confident de ses problèmes.

Ce que nous voyons du cadre se réduit à ce qui entre dans le champ visuel de ce personnage, en accord avec ses préoccupations.

Nous devinons que nous sommes dans une chambre, parce que notre regard se fixe en même temps que le sien sur cette moustiquaire, sur ce lit où l'on entrevoit le corps d'un homme endormi.

Nous savons aussi que nous sommes. »

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