Andromaque — II — 5 (Racine)
Publié le 16/02/2011
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Commentaire. Les circonstances : Pyrrhus, que la résistance d'Andromaque exaspère, et que les alternances d'abandon à sa passion et de raidissement contre elle ont poussé à la limite de la souffrance et de l'usure nerveuse, veut cependant donner une ultime secousse à sa chaîne afin de la briser. Dans une affirmation factice de son énergie, il s'efforce de dépouiller le vieil homme par une sorte de coup d'état : par son mariage avec Hermione et sa rupture avec Andromaque, il veut éprouver, après tant de meurtrissures, la joie orgueilleuse et vengeresse de renaître et de faire fi publiquement d'une femme qui l'a méprisé. Avec l'impulsivité qui le caractérise, oscillant toujours entre les extrêmes, il se résout, par ce mariage, à une sorte de tour de force désespéré destiné à masquer son dépit, mais sa détresse intime est si grande, et le tumulte de son cœur si douloureux, que ce qu'il proclame comme une victoire n'est qu'un héroïsme de façade, qui bientôt s'effrite : le cœur de Pyrrhus apparaît alors dans sa nudité misérable, et jamais l'incurable faiblesse de ce cœur ne se fait jour davantage que dans les efforts impuissants par lesquels il tente de s'en affranchir.

«
sous ses lois, qui triomphe de Troie une seconde fois.
Les paroles de Phoénix prennent la forme d'une louange insistante et passionnée.
L'accent de triomphe est mis enrelief par le martèlement de la cadence qui oppose le Pyrrhus d'autrefois au Pyrrhus d'aujourd'hui.
Pyrrhus n'est plus le pantin asservi, l'objet d'une passion dégradante, il est redevenu le héros légendaire, à l'égal deson père, il a renoué la chaîne de l'honneur familial, un instant brisé.
Ces quelques vers de Phoénix sont sobrement, mais nettement, baignés d'atmosphère cornélienne, et répondentchez Phoénix au désir de voir enfin reprendre corps l'image idéale que Pyrrhus n'aurait jamais dû ternir.
Pyrrhus revient enfin à la gloire, au culte des valeurs spirituelles, après leur avoir si longtemps substitué une autreidole.
La lutte a été longue.
Le mot « enfin » l'indique nettement.
Le combat a comporté des alternancesdécourageantes, et le résultat paraît d'autant plus merveilleux à Phoénix qu'il lui paraissait vain d'espérer unevictoire.
Pyrrhus triomphe de Troie une seconde fois par une conquête intime qui a nécessité une lutte beaucoup plusimplacable et plus cruelle que celle exigée par l'investissement d'une ville ou l'embrasement de ses murs.
C'est à cetarrachement héroïque que Phoénix croit rendre hommage.
« Dis plutôt qu'aujourd'hui commence ma victoire,
D'aujourd'hui seulement je jouis de ma gloire,
Et mon cœur, aussi fier que tu l'as vu soumis,
Croit avoir en l'amour vaincu mille ennemis.
Considère, Phoénix, les troubles que j'évite,
Quelle foule de maux l'amour traîne à sa suite,
Que d'amis, de devoirs, j'allais sacrifier :
Tous les Grecs conjurés fondaient sur un rebelle,
Je trouvais du plaisir à me perdre pour elle.
»
Pyrrhus devient volubile, loquace même.
Il pose à son insu devant lui-même et devant Phoénix; il force la voix,voulant se persuader qu'une ère nouvelle commence pour lui et il la célèbre comme un avènement.
Il oppose l'imagedu Pyrrhus tremblant, mendiant un regard, sans cesse meurtri, au Pyrrhus viril et libéré, niais en évoquant lestourments de l'amour, dont il se dit délivré, il ne peut s'empêcher de savourer encore leur poison, d'évoquer avecune sorte de voluptueuse délectation le plaisir « de se perdre pour elle ».
Il vit intensément ces sentiments quin'appartiennent pas, comme il le dit, à un passé révolu, mais qui sont d'une frémissante actualité.
Emporté par sonrêve intérieur, il n'entend pas les paroles bénisseuses de Phoénix, qui ont le ton d'un cantique d'actions de grâces :« Oui, je bénis, Seigneur, l'heureuse cruauté ».
L'interruption est abrupte : « tu l'as vu, comme elle m'a traité ! »L'expression est admirable de vérité, dans sa rudesse familière.
« Je pensais, en voyant sa tendresse alarmée,
Que son fils me la doit renvoyer désarmée.
J'allais voir le succès de ses embrassements,
Je n'ai trouvé que pleurs, mêlés d'emportements.
Sa misère l'aigrit, et, toujours plus farouche,
Cent fois le nom d'Hector est sorti de sa bouche.
« Vainement à son fils j'assurai mon secours,
C'est Hector, disait-elle, en l'embrassant toujours,
Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace,
C'est lui-même, c'est toi, cher époux que j'embrasse..
»
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