ANTONIN ARTAUD
Publié le 01/09/2012
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Je sais assez qu'il existe des troubles graves de la personnalité et qui peuvent même aller pour la conscience jusqu'à la perte de son individualité : la conscience demeure intacte, mais ne se reconnaît plus comme s'appartenant (et ne se reconnaît plus à aucun degré). Il y a des troubles moins graves, ou pour mieux dire, moins essentiels, mais beaucoup plus douloureux et plus importants pour la personne, et en quelque sorte plus ruineux pour la vitalité, c'est quand la conscience s'approprie, reconnaît vraiment comme lui appartenant toute une série de phénomènes de dislocation et de dissolution de ses forces au milieu desquels sa matérialité se détruit...

«
n'ai pas cessé tout à fait ile penser et parce que, malgré
tout, mon esprit se maintient à zm certain niveau et
donne de temps en temps des preuves de son existence, dont
on ne veut pas reconnaître qu'elles sont faibles et qu'elles
manquent .d'intérêt.
Mais penser, èest pour moi autre
chose que n'être pas tout à fait mort, c'est se rejoindre
à tous les instants, c'est ne cesser à aucun moment de se
sentir dans son être inteme 1
, dans la masse informulée de
sa vie, dans la .~ubstance de sa réalité, c'est ne pas sentir
en soit de trou capital, d'absence vitale, c'est sentir tou•
jours sa pensée égale à sa pensée, quelles que soient par
ailleurs les insuffissances de la forme qu'on est capable de
lzti donner.
Mais ma pensée à moi, en même temps qu'elle
pêche par faiblesse, pêche aussi par quantité.
Je pense
toujours à un taux inférieur •
.
Ce texte - il s'agit d'une note placée par Antonin
Artaud en marge de sa.
célèbre Lettre à Monsieur le légis·
lateur de la loi sur les stupéfiants 2 - me semble consti•
tuer la meilleure introduction qu'on puisse souhaiter à une
!l':Uvre qui n'en est pas ttne, mais seulement le compte
rendu, la projection sur le plan de l'écriture, d'une expé·
rienee inouïe où cet homme s'était engagé corps et âme
sans espoir de retour.
Où les surréalistes, sans cesser de
se servir de la pensée consciente, celle qui voit juste et
permet, seule, de se livrer à une telle besogne; vont solli·
citer d'une pensée en train de naître, toute gluante de
rêves et de sang, qu'elle se projette sur le papier à l'état
brut, Antonin Artaud affirme qu'il n'y a pas de pensée,
màis une substance, dans laquelle il faut réussir à se couler,
à
se réintégrer ; sa démarche apparaît dès lors inverse de
éelle des surréalistes, qui hâlent vers le jour de la raison,
du « social "• des fragments de ce chaos mental dans lequel
Antonin Artaud cherche à s'enfoncer, sûr d'y retrouver le
noyau essentiel de sà vie, de la vie, de toute vie.
Cette
faim d'identification à l'essence est d'ordre onto·
logique; hien que ses tentatives d'assouvissement aient exté·
1.
A rapprocher des thèses de Gurdjiev, popularisées par Ouspensky.
2, L'Ombilic des Limbes (N.R.F.), 1925..
»
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