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APOLLINAIRE: L'émigant de Landor Road (Strophes 1 à 7) -LECTURE MÉTHODIQUE

Publié le 11/07/2011

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APOLLINAIRE Guillaume (1880-1918) (Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky) "Les jours s'en vont et je demeure"...Fils naturel d'un officier italien et d'une aristocrate polonaise, l'auteur du célèbre Pont Mirabeau, Guillaume Apollinaire, de son vrai nom Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky, connaît une existence assez mouvementée et pas toujours fortunée avant de devenir l'ami des plus grands peintres de l'époque - Picasso, Derain, Vlaminck, Braque, Matisse. Installé à Paris où il vit tant bien que mal, le poète participe à tous les combats des milieux artistiques d'avant-garde : l'art naïf (le Douanier Rousseau), l'art nègre, le fauvisme, le cubisme, le futurisme (Marinetti)... Son œuvre elle-même exprime ces recherches nouvelles, surtout Alcools, recueil de poèmes écrits entre 1898 et 1912, où toute ponctuation est supprimée et où les vers libres sont composés à la manière d'une toile cubiste intégrant l'image et son expression verbale

À André Billy.

Le chapeau à la main il entra du pied droit Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi Ce commerçant venait de couper quelques têtes 4 De mannequins vêtus comme il faut qu'on se vête La foule en tous les sens remuait en mêlant Des ombres sans amour qui se traînaient par terre Et des mains vers le ciel plein de lacs de lumière 8 S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs Mon bateau partira demain pour l'Amérique Et je ne reviendrai jamais Avec l'argent gagné dans les prairies lyriques 12 Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais Car revenir c'est bon pour un soldat des Indes Les boursiers ont vendu tous mes crachats d'or fin Mais habillé de neuf je veux dormir enfin 16 Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes Les mannequins pour lui s'étant déshabillés Battirent leurs habits puis les lui essayèrent Le vêtement d'un lord mort sans avoir payé 20 Au rabais l'habilla comme un millionnaire Au-dehors les années Regardaient la vitrine Les mannequins victimes 24 Et passaient enchaînées Intercalées dans l'an c'étaient les journées veuves Les vendredis sanglants et lents d'enterrements De blancs et de tout noirs vaincus des deux qui pleuvent 28 Quand la femme du diable a battu son amant [...]

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« Analysons d'abord celle des vers 5 et 6 : La foule en tous les sens remuait en mêlant Des ombres sans amour qui se traînaient par terre Ces ombres, faites par les émigrants sur le quai du départ, sont errantes, indécises (« en tous les sens »). confuses (« en mêlant »).

épuisées (« qui se traînaient par terre »).

Elles sont comme des négatifs photographiques, les fantômes des amours mortes (« sans amour »).

Les ombres sont souvent associées, dans Alcools, à un contexte de tristesse automnale : le vers 29.

dans la suite du texte, précise « un port d'automne ».

L'image provient aussi partiellement de la contamination de celle des feuilles mortes, remuées par les pieds de la foule des émigrants. La seconde référence à l'ombre se développe dans la strophe 3.

Elle confirme le caractère mélancolique, voire désespéré, du lyrisme.

Le rêve de l'Émigrant.

gagner de l'argent (voir « Zone ».

v.

126).

est plaisamment atténué par l'adjectif « lyriques ».

comme un doute sur l'efficacité financière de ces prairies d'un Far-West mythique.

Ce qui importe, c'est la négation du retour, mise en valeur par l'octosyllabe du vers 10.

C'est surtout le symbole du désarroi sentimental, la noirceur de l'ombre étant accentuée par l'adjectif « aveugle ».

et renforcée par «guider» (v.

12).

Cette image de l'aveugle titubant confirme bien le caractère désespéré du lyrisme amoureux.

Ici encore, par jeu de mots, l'ombre est aussi un fantôme, un revenant (suggéré par le verbe « revenir ».

écrit deux fois vers 10 et 13). Les mains Une autre image chère à Apollinaire est présente dans ce texte : celle des mains, mains coupées ou séparées du corps.

Dans « Signe », « les mains des amantes d'antan », qui sont comme des feuilles mortes, sont juxtaposées à des images de colombes.

Ici.

elles deviennent elles-mêmes des « oiseaux blancs » (v.

8).

seule note lumineuse du texte, avec le « ciel plein de lacs de lumière » (v.

7).

Et pourtant, les mains agitées vers le ciel signifient l'adieu, la séparation définitive.

Ce sont les mains de la foule, gantées de blanc, qui saluent une dernière fois les émigrants en partance, et la vie qui s'en va.

Indépendamment de sa valeur symbolique, l'image des mains brusquement transformées en oiseaux est surréaliste de ton, et plastiquement superbe : c'est une photographie d'adieu en noir et blanc, admirablement contrastée. 2.

LES IMAGES DE MORT « L'Émigrant de Landor Road », poème de l'amour mort, a également une tonalité funèbre, notamment dans les strophes 2 et 3.

L'état auquel aspire l'Émigrant est soit le sommeil perpétuel, soit la mort elle-même. L'anéantissement du sommeil Les vers 15 et 16 sont caractéristiques des sentiments morbides de l'Émigrant : Mais habillé de neuf je veux dormir enfin Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes L'aspiration de l'Émigrant, c'est le sommeil, métaphore de la mort (les oiseaux sont «muets»).

Le vers 13 signale le caractère définitif du voyage, après des opérations de départ marquées par la dérision.

Au vers 14. en effet, les « crachats » font ambiguïté.

Ce mot désigne ici les plaques d'or qui servent d'insignes de haut grade dans les dignités honorifiques ; c'est un sens très particulier, attesté par le dictionnaire.

La vente des « crachats » par les boursiers est une sorte de dégradation volontaire dérisoire, accentuée par le sens habituel du mot.

auquel on ne peut s'empêcher de penser. La mort La mort elle-même est présente à la dernière strophe, marquée par un champ lexical significatif : « journées veuves », « vendredis » (jour de la mort du Christ), « sanglants », « enterrements », « vaincus », « pleuvent ». Comme ci -dessus, on remarquera que la mort est chargée d'une dérision sarcastique, avec le vers 28 : Quand la femme du diable a battu son amant Ce vers est une variante drôle d'une chansonnette encore populaire au début du xxe siècle : « Il pleut il fait soleil / Le diable bat sa femme / À grands coups de bâton [...] » Ici, c'est l'amant, éternel mal -aimé dans. »

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