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Apollinaire: ZONE (Fin du poème) COMMENTAIRE COMPOSÉ

Publié le 11/07/2011

Extrait du document

apollinaire

 

[...]

115 Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter 120 Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint- Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages 125 Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent 130 Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques 135 Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant 140 Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercées J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J'humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche Tu es seul le matin va venir 145 Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues La nuit s'éloigne ainsi qu'une belle Métive C'est Ferdine la fausse ou Léa l'attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie 150 Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu Adieu 155 Soleil cou coupé   

Apollinaire est très lié aux grands peintres de l'époque qu'étaient Picasso, Matisse, Derain, Jarry ou Max Jacob. "Les Peintres cubistes" (1913) est un document fondateur. Son roman symboliste "Les Mamelles de Tirésias" (1903) se fonde sur les expériences qu'il a vécues pendant la Première Guerre mondiale. C'est à Apollinaire qu'est attribuée la première utilisation du terme "surréaliste" dans l'introduction à ce roman. Ses chefs-d'oeuvre "Alcools" et "Calligrammes" sont publiés respectivement en 1913 et en 1918. L'oeuvre d'Apollinaire est riche d'inventions remarquables. Les principales sont la forme de calligrammes qu'il a donnée à certains de ses poèmes, et l'absence de ponctuation, qu'il finit par adopter, imitant en cela Mallarmé  

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« Nous avons déjà vu (p.

7) le procédé qui consiste à opposer les personnes des verbes pour désigner un seul et même individu, le poète.

Le procédé est constant jusqu'à la fin du texte mais, dans les vers 115-121, il a une valeur particulière.

Dans une sorte de dédoublement de la personnalité, la conscience morale du poète, qui constate et qui juge, est exprimée, semble-t -il, par la deuxième personne du singulier : Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages (v.

115).

Tu as souffert de l'amour (...) (v.

117).

Tu n'oses plus regarder tes mains [...] (v.

119).

Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants (v.

121). D'autre part, le temps du passé composé est celui du constat de la vie passée et finie au moment du discours. Le présent, lui, est le temps du reproche. Tu as souffert de l'amour [...] (v.

117). Tu n'oses plus regarder tes mains [...] (v.

119). Le « je », en revanche, serait plutôt réservé à la conscience présente du poète, la conscience immédiate, qui souffre et reconnaît comme fondés les reproches du Moi accusateur : J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps (v.

118). ...

et à tous moments je voudrais sangloter (v.

119). Le passage du « tu » au « je » a ainsi une valeur dramatique qui renforce l'impression de désarroi moral donnée par la fin du texte. [La circularité de l'espace et du temps] Le vers 115: «Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages », résume bien les errances du poète dans sa jeunesse.

cette sorte de parcours initiatique.

Le souvenir en est parsemé de détails pittoresques, de la Méditerranée aux Pays -Bas, en passant par Prague, Marseille, Coblence, Rome. Mais le souvenir porte aussi les traces du malheur.

Ce malheur est passé, comme en témoignent les temps des verbes : « Tu as fait » (v.

115), « Tu as souffert » (v.

117), « ce qui t'a épouvanté» (v.

120). Mais c'est surtout le résultat présent qui est important ici, l'aveu de l'échec : « J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps » (v.

118).

L'amertume du bilan d'Apollinaire, dans « Zone », fait penser à celle qu'exprime Baudelaire dans son poème des Fleurs du mal, « Le Voyage ».

Parti des berges de la Seine, Apollinaire se retrouve à Paris, et ce retour au point de départ n'est pas le signe d'un enrichissement. Bien au contraire, le temps a été perdu (de vingt à trente ans), et le seul gain semble être celui de la découverte du vieillissement, et du mensonge (v.

116).

Quel est ce mensonge ? Sans nul doute, celui de la « fausseté de l'amour » dont le poète parle dans « La Chanson du Mal -Aimé ».

En 1904, la dernière tentative d'Apollinaire pour renouer avec Annie Playden échoue et, en 1912, son deuxième grand amour, Marie Laurencin, rompt avec lui.

C'est ici la circularité du temps qui se manifeste, au vers 117 surtout : la répétition douloureuse de l'échec de l'amour est le signe de l'inanité de l'expérience temporelle.

À presque dix ans d'intervalle, le poète n'a rien appris, et se retrouve dans la même situation de malheur. [2.

L'ILLUSION DES ÉMIGRANTS] Le thème de l'émigration, des vers 121 à 134, découle naturellement de celui du bilan négatif : le sentiment du temps perdu appelle un désir de fuite, et de fuite sans retour.

Le poète, ainsi, se sent proche de ceux qui veulent abandonner leur pays pour ne plus revenir, les émigrants.

Apollinaire est sensible au pittoresque dégagé par la foule des émigrants, et s'apitoie également sur la vanité de leurs rêves. [Le pittoresque] Les « pauvres émigrants » qui à la fois attirent la curiosité du poète et provoquent sa pitié, il les a souvent croisés à l'époque où, de 1904 à 1907, il habitait avec sa mère au Vésinet, dans la banlieue ouest de Paris.

Il prenait ainsi régulièrement le train à la gare Saint-Lazare.

Cette gare dessert également Le Havre, point de départ de l'émigration pour l'Amérique.. »

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