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Apprécier ce Jugement de Sainte-Beuve sur les Caractères

Publié le 16/02/2012

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beuve

«C'est un des livres les plus substantiels et les plus consommés qu'il y ait, un de ceux qui honorent le plus le génie de la nation qui l'a produit. Il n'en est pas de plus propre à faire respecter l'esprit à l'étranger, et en même temps il y a profit pour chacun à l'avoir soir et matin sur sa table. Peu à la fois, et souvent : vous vous en trouverez bien. «

Ce jugement est triple. Il définit la valeur intrinsèque des Caractères : livre substantiel et consommé; il les apprécie en fonction du génie national et des effets qu'ils produisent à l'étranger; enfin il en proclame Vutilité pour tout individu. A priori nous souscrivons à ce jugement, et notre « appréciation « consistera surtout à en justifier successivement les trois parties.

beuve

« it traite la question...

comme un Docteur en Sorbonne?...

Non! Comme un Pascal, un Bossuet, un Fenelon.

On est particulierement frappe par l'abondance des details précis, des reflexions judicieuses portant sur le droit, la finance, la morale.

Ce sont la ses specialites.

Jusqu'a vingt-huit ans it s'est adonne aux etudes juri- dic/ties; it a meme plaids an Palais.

Il n'etait pas fait pour ce monde de la chicane, oil sa conscience scrupuleuse se sentait mal a l'aise.

Pourvu, en 1673, d'un office de tresorier des finances dans la generalite de Caen, il a pu observer a son aise les P.

T.

S.

et tout ce qui a trait aux ,« biens de for- tune ».

Moraliste-ne, c'est surtout en matlere de morale qu'il excelle.

Et si, comme l'a pretendu Taine, « il donne des conseils a chaque age, a chaque condition, a chaque passion, mais non a l'humanite », ces conseils sont si excellents, qu'ils nous suffisent, et 1' « humanite » en a recu taut d'autres par ailleurs, que nous nous en consolons aisement. La forme, a-t-on pu dire, fait tort an fond, chez La Bruyere.

Quoi? N'est-il pas un styliste incomparable, le professeur de style, a qui tons les Francais, ouvertement ou en cachette, vont demander des lecons? Cela chacun le proclame; mais la beaute meme du style de ce livre consommé, c'est-A-dire parfait, acheve, distrait le lecteur, Pempeche parfois de saisir tout ce y a de solide dans l'ouvrage.

« A force de style - dit Barbey d'Aurerdly, toujours outré - it s'est fait croire un grand moraliste.

» Pour bien appre- cier La Bruyere, ii faut proceder comme ici Sainte-Beuve : s'attacher au fond avant de louer la forme. Livre consommé, en verite.

On ecrit trop et trop vite aujourd'hui.

On ecrit pour gagner de l'argent.

Comparons le petit volume des Caracteres aux dizaines de tomes de tout bon romancier contemporain.

La Bruyere a uris son temps.

Il a longuement observe, longuement refiechi, lentement ecrit.

Il possedait une honnete aisance, et n'etait point talonne par le pain quotidien; celibataire, it n'avait point a pourvoir une nombreuse famille; sage, il dedaignait les richesses superflues; desinteresse, it ne recueillit pas meme le fruit de son labeur il le versa dans la corbeille de notes de M"' Michallet. Il travailla donc en artiste peu presse, avec amour, pour le plaisir.

11 choisit des materiaux rares, encore inemployes, difficiles a faconner; it cisela, lima, polit.

Cent fois sur le metier il remit son ouvrage.

Ii inventa les developpements discontinus, le « style a facettes »,« Pecriture spora- ; et cela, comme dit M.

J.

Benda, « en pleine tyrannie cartesienne, en pleine superstition du penser ordonne ».

Les faiblesses, les negligences que l'on releve chez certains grands ecri- vains sont ici a peu pres introuvables.

Livre trop consomme, serait-on tents d'ajouter.

Cette perfection soutenue a je ne sais quoi de tendu, de penible.

Ce style parfait sent Thuile; l'effort, la volonte d'exceller y est trop visible.

II y manque Pelan, la spontaneite; l'inspiration fougueuse en parait absente.

Pour loner, au xvue siècle, une expression heureuse, on disait : elle est rencontree.

Celles de La Bruyere sont trop souvent cher- chees - meme recherchees - et trouvees.

Defaut honorable, dans lequel peu sont tombes, inconvenient d'une conscience litteraire exigeante l'exces qui ne saurait disqualifier l'auteur a nos yeux.

Notre époque ne lui en tient pas rigueur : elle le « venere comme ecrivain », elle le « tient pour un de ses dieux », affirm'ait naguere M.

J.

Benda 1. * Substantiel, consomme, ce livre est encore bien francais et bon Francais. Francais, il l'est, tout d'abord, par sa franchise et sa clarte.

On a parfois applique a La Bruyere l'un de ses jugements concernant Boileau : « Un homme ne chretien et Francais se trouve contraint dans la satire : les grands sujets lui sont interdits...

» Les Caracteres ne sont point pour lui une satire. Admonere voluimus, non mordere, declare-t-il, en tete de sa Preface.

Le satirique ne se contente pas d'avertir, 11 mord.

Moraliste, it n'est nullement contraint; it dit, it peint objectivement ce qu'il a observe.

Sans hesiter, it denonce les abus, il portraiture au naturel les « Grands » et les riches, sans s'inquieter des vengeances possibles.

Ca et 1A, on croit déjà entendre un homme du xvme siecle, encore (101 soft le contraire d'un revolutionnaire, et meme d'un frondeur.

I1 definit les faux devots, qui se multiplient autour du roi vieillissant « Un devot est telex qui, sous un 1.

Revue de Paris, rr janvier 1934. il traite la question...

comme un Docteur en Sorbonne?...

Non! Gomme un Pascal, un Bossuet, un Fénelon.

On est particulièrement frappé par l'abondance des détails précis, des réflexions judicieuses portant sur le droit, la finance, la morale.

Ce sont là ses spécialités.

Jusqu'à vingt-huit ans il s'est adonné aux études juri¬ diques; il a même plaidé au Palais.

Il n'était pas fait pour ce monde de la chicane, où sa conscience scrupuleuse se sentait mal à l'aise.

Pourvu, en 1673, d'un office de trésorier des finances dans la généralité de Gaen, il a pu observer à son aise les P.

T.

S.

et tout ce qui a trait aux x< biens de for­ tune».

Moraliste-né, c'est surtout en matière de morale qu'il excelle.

Et si, comme l'a prétendu Taine, « il donne des conseils à chaque âge, à chaque condition, à chaque passion, mais non à l'humanité», ces conseils sont si excellents, qu'ils nous suffisent, et 1' « humanité » en a reçu tant d'autres par ailleurs, que nous nous en consolons aisément.

La forme, a-t-on pu dire, fait tort au fond, chez La Bruyère. Quoi? N'est-il pas un styliste incomparable, le professeur de style, à qui tous les Français, ouvertement ou en cachette, vont demander des leçons? Gela chacun le proclame; mais la beauté même du style de ce livre consommé, c'est-à-dire parfait, achevé, distrait le lecteur, l'empêche parfois de saisir tout ce qu'il y a de solide dans l'ouvrage.

« A force de style — dit Barbey d'Aurevilly, toujours outré — il s'est fait croire un grand moraliste.

» Pour bien appré­ cier La Bruyère, il faut procéder comme ici Sainte-Beuve : s'attacher au fond avant de louer la forme.

Livre consommé, en vérité. On écrit; trop et trop vite aujourd'hui.

On écrit pour gagner de l'argent.

Comparons le petit volume des Caractères aux dizaines de tomes de tout bon romancier contemporain.

La Bruyère a pris son temps.

Il a longuement observé, longuement réfléchi, lentement écrit. Il possédait une honnête aisance, et n'était point talonné par le pain quotidien; célibataire, il n'avait point à pourvoir une nombreuse famille; sage, il dédaignait les richesses superflues; désintéressé, il ne recueillit pas même le fruit de son labeur : il le versa dans la corbeille de noces de M 1,e Michallet.

Il travailla donc en artiste peu pressé, avec amour, pour le plaisir. Il choisit des matériaux rares, encore inemployés, difficiles à façonner; il cisela, lima, polit. Cent fois sur le métier il remit son ouvrage.

Il inventa les développements discontinus, le «style à facettes», «l'écriture spora- dique » ; et cela, comme dit M.

J. Bendâ, « en pleine tyrannie cartésienne, en pleine superstition du penser ordonné».

Les faiblesses, les négligences que l'on relève chez certains grands écri­ vains sont ici à peu près introuvables. Livre trop consommé, serait-on tenté d'ajouter.

Cette perfection soutenue a je ne sais quoi de tendu, de pénible. Ce style parfait sent l'huile; l'effort, la volonté d'exceller y est trop visible.

Il y manque l'élan, la spontanéité; l'inspiration fougueuse en paraît absente.

Pour louer, au xvne siècle, une expression heureuse, on disait : elle est rencontrée. Celles de La Bruyère sont trop souvent cher­ chées — même recherchées — et trouvées.

Défaut honorable, dans lequel peu sont tombés, inconvénient d'une conscience littéraire exigeante à l'excès qui ne saurait disqualifier l'auteur à nos yeux.

Notre époque ne lui en tient pas rigueur : elle le «vénère comme écrivain», elle le «tient pour un de ses dieux», affirmait naguère M.

J.

Bend-a1.

* * * Substantiel, consommé, ce livre est encore bien français et bon Français.

Français, il l'est, tout d'abord, par sa franchise et sa clarté. On a parfois appliqué à La Bruyère l'un de ses jugements concernant Boileau : « Un homme né chrétien et Français se trouve contraint dans la satire : les grands sujets lui sont interdits...

» Les Caractères ne sont point pour lui une satire.

Admonere voluimus, non mordere, déclare-t-il, en tête de sa Préface. Le satirique ne se contente pas d'avertir, il mord.

Moraliste, il n'est nullement contraint; il dit, il peint objectivement ce qu'il a observé.

Sans hésiter, il dénonce les abus, il portraiture au naturel les « Grands » et les riches, sans s'inquiéter des vengeances possibles.

Çà et là, on croit déjà entendre un homme du xvme siècle, encore. »

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