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Article paru dans le journal « Gil Blas » (1883) MAUPASSANT

Publié le 14/03/2020

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Guy de Maupassant écrivit beaucoup dans les journaux : il y publiait des contes, ainsi que des articles sur des thèmes très divers. Le 11 décembre 1883, il fit paraître un article violemment critique à l'égard de la guerre et de ceux qui la présentent sous un jour élogieux. Sa colère avait pour origine une déclaration de M. de Moltke, stratège de l'armée prussienne et organisateur de la victoire de l'Allemagne sur la France en 1870.

Un artiste habile en cette partie, un massacreur de génie, M. de Moltke, a répondu voici deux ans aux délégués de la paix les étranges paroles que voici :

« La guerre est sainte, d’institution divine. Elle entre-

5 tient chez les hommes tous les grands, les nobles sentiments, l’honneur, le désintéressement, la vertu, le courage, et les empêche en un mot de tomber dans le plus hideux matérialisme. »

Ainsi, se réunir en troupeaux de quatre cent mille

1 o hommes, marcher jour et nuit sans repos, ne penser à rien, ne rien étudier, ne rien apprendre, ne rien lire, n’être utile à personne, pourrir de saleté, coucher dans la fange, vivre comme des brutes dans un hébétement continu, piller les villes, brûler les villages, ruiner les peuples, puis rencon-15 trer une autre agglomération de viande humaine, se ruer dessus, faire des lacs de sang, des plaines de chair pilée mêlée à de la terre boueuse et rougie, des monceaux de cadavres, avoir les bras et les jambes emportés, la cervelle écrabouillée sans profit pour personne et crever au 20 coin d’un champ, tandis que vos vieux parents, votre femme et vos enfants meurent de faim : voilà ce qu’on appelle ne pas tomber dans le plus hideux matérialisme. Les hommes de guerre sont les fléaux du monde. Nous luttons contre la nature, contre l’ignorance, contre les obs-25 tacles de toutes sortes, pour rendre moins dure notre misérable vie. Des hommes, des bienfaiteurs, des savants usent leur existence à travailler, à chercher ce qui peut aider, ce qui peut secourir, ce qui peut soulager leurs frères. Ils vont, acharnés à leur besogne utile, entassant les décou-30 vertes, agrandissant l’esprit humain, élargissant la science, donnant chaque jour à l’intelligence une somme de savoir nouveau, donnant chaque jour à leur patrie du bien-être, de l’aisance, de la force... La guerre arrive. En six mois, les généraux ont détruit vingt ans d’efforts, de patience, 35 de travail et de génie.

Voilà ce qu’on appelle ne pas tomber dans le plus hideux matérialisme.

L'homme hors de la guerre

L'image donnée de l'homme dans les lignes 23-37, d'abord à la première personne du pluriel (Maupassant s'inclut dans le groupe des « lutteurs »), puis à la troisième, est bien différente. L'accent est mis sur la lutte pour la connaissance, sur la solidarité, sur le progrès.

- L'expression de l'effort: l'effort s'exprime à travers un champ lexical qui reprend des termes voisins (« luttons », « obstacles », « usent leur existence », « acharnés », I. 22-29). Le travail et la recherche humaines sont présentés comme persévérants, menés par des hommes de courage et de foi.

- L'insistance sur le savoir: de nombreux termes mettent en relief la volonté humaine de briser l'ignorance (« des savants », « travailler »

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« Les hommes de guerre sont les fléaux du monde.

Nous luttons contre la nature, contre l'ignorance, contre les obs- 25 tacles de toutes sortes, pour rendre moins dure notre misé­ rable vie.

Des hommes, des bienfaiteurs, des savants usent leur exis.tence à travailler, à chercher ce qui peut aider, ce qui peut secourir, ce qui peut soulager leurs frères.

Ils vont, acharné"s à leur besogne utile, entassant les décou- 30 vertes, agrandissant l'esprit humain, élargissant la science, donnant chaque jour à l'intelligence une somme de savoir nouveau, donnant chaque jour à leur patrie du bien-être, de l'aisance, de la force ...

La guerre arrive.

En six mois, les généraux ont détruit vingt ans d'efforts, de patience, 35 de travail et de génie.

Voilà ce qu'on appelle ne pas tomber dans le plus hideux matérialisme.

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AXES DE LECTURE MÉTHODIQUE INTRODUCTION L'extrait proposé ici a pour point de départ un jugement élogieux porté sur la guerre et présente la particularité d'en répéter un fragment à deux reprises.

La fin de la phrase de M.

de Moltke réapparaît en effet deux fois, en conclusion du troisième paragraphe et en conclusion du texte.

Mais la tonalité que lui attribue Maupassant, très fortement ironique, est différente de celle que lui confère son auteur.

Par ailleurs, on observe que le texte est construit sur deux images oppo­ sées de l'homme : dans la guerre, et dans la vie, et sur deux aspects différents de la guerre.

En tenant compte de ces particularités, on pourra cons­ truire la lecture méthodique autour des trois axes suivants : - une double image de la guerre, - une double image de la condition humaine, - l'ironie mise au service de la dénonciation.

32. »

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