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AUBIGNÉ (Théodore Agrippa d')

Publié le 15/02/2019

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AUBIGNÉ (Théodore Agrippa d'), écrivain français (hôtel Saint-Maury, près

de Pons, Saintonge, 1552 - Genève 1630). Si l'on est, à propos d'Agrippa d'Aubigné, plus que de tout autre écrivain, fondé à parler d'une unité interne de l'œuvre, d'une part, et d'une unité de l'œuvre et de la vie, d'autre part, ce n'est pas dans la mesure où, comme on l'entend souvent dire, « l'œuvre reflète la personnalité de son auteur », mais pour autant que la vie et l'œuvre ont fondamentalement un même sujet (le militant au service d'une cause, la cause protestante) et une même force (le combat pour cette cause) : voué par son père, devant le spectacle des suppliciés d'Amboise, à la défense de la religion réformée, il sera le compagnon incorruptible d'Henri IV ; il n'achètera jamais carrière et honneurs au prix d'une messe, et à la fin de sa vie, compromis dans la conspiration contre Luynes (1620), il se réfugiera à Genève. L'ironie de la vie et de l'histoire fait de lui le grand-père de Mme de Main tenon.

 

On peut, dans l'œuvre, distinguer plusieurs versants : un versant historiographique et autobiographique avec Y Histoire universelle et Sa vie à ses enfants, un versant épico-lyrique avec les Tragiques, un autre lyrique avec le Printemps et l'Hiver, un autre encore satirique avec les A ventures du baron de Faeneste et la Confession catholique du sieur de Sancy. Presque tous ces écrits, cependant, procèdent du même engagement politico-religieux et comportent, au sens linguistique du terme, la même force fondamentale : celle du témoignage en faveur de la foi réformée. Seul, dans cet ensemble, le lyrisme amoureux du Printemps semble s'inscrire dans un registre thématique et idéologique différent : en fait, à bien y regarder, la distance entre cette poésie et le reste de l'œuvre est moins grande qu'il ne paraît au premier abord.

 

L'œuvre d'un écrivain n'a d'existence littéraire que celle que lui confèrent ses modes successifs de réception : or cette réception, dans le cas de l'œuvre de d'Aubigné, a une histoire singulière, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'a pas joué en faveur de l'auteur. L'œuvre de jeunesse d'Agrippa, le Printemps, est

la dernière à avoir été connue du public (en 1874 seulement) ; quant aux Tragiques, leur date tardive de publication (1616) fit que l'œuvre ne toucha plus, lorsqu'elle parut, le public auquel elle était destinée : œuvre caduque dès sa naissance. Le paradoxe — et l'infortune — de l'œuvre de d'Aubigné sont ceux d'une œuvre qui, par ses dates de publication, appartient presque tout entière au xviie s., tout en étant, par son esprit comme par son propos, profondément enracinée dans le xvie. De ce rendez-vous manqué avec l'histoire, l'éloignement des siècles, aujourd'hui, lève entièrement l'hypothèque ; il nous devient possible de nous approprier l'œuvre à nouveau, et par là même, paradoxalement, de lui ménager pour la première fois une réception véritable.
L'Histoire universelle et les Tragiques représentent, dans l'œuvre de d'Aubigné, les deux modalités parallèles — l'une historiographique, l'autre épico-lyrique — sous lesquelles s'accomplit le même dessein porter témoignage, devant la postérité, du combat mené par les huguenots pour la défense de leur foi. L'Histoire universelle depuis 1550 jusqu'en 1601 (1616-1620), que d'Aubigné tenait pour son œuvre maîtresse, et qui, aujourd'hui même, constitue encore pour les historiens un témoignage précieux (unique même sous certains aspects) sur les guerres de religion, n'appartient à l'histoire littéraire que pour les caractéristiques de sa langue et de sa rhétorique. Il n'en est pas de même des Tragiques, œuvre qui, cependant, ne se laisse rattacher à aucun genre littéraire défini, ou, plus exactement, réalise l'amalgame de plusieurs genres différents : l'épopée, le poème lyrique, la tragédie, la satire. Plus singuliers encore apparaissent les contrastes internes de l'œuvre (ce dernier trait résultant partiellement du précédent) : œuvre par un certain côté transhistorique (ou métahis-torique) qui met en scène, selon les schémas tirés de la Bible, le drame étemel de l'humanité, celui de l'affrontement entre les forces du Bien et celles du Mal, le troupeau des Justes et leurs persécuteurs — et, en même temps.
œuvre directement en prise sur l'actualité historique la plus prégnante ; œuvre mystique, et en même temps violemment partisane ; œuvre à la fois historique, voire parfois documentaire, et lyrique ; œuvre décentrée, dont le manque apparent d'unité est souvent tenu pour l'un des défauts majeurs, et en même temps fortement axée (grâce à la fonction d'« intégration » que le surnaturel n'y cesse d'exercer par rapport au plan des événements humains) ; œuvre littéraire, appréciable selon des critères esthétiques impliquant une « distanciation », et discours prophétique s'inscrivant dans un rituel d'énonciation et de réception spécifiquement religieux.
L'œuvre, qui comporte sept livres (I : Misères ; II : Princes ; III : la Chambre dorée ; IV : les Feux; V : les Fers; VI : Vengeances ; VII : Jugement), apparaît, dans sa structure globale, constituée de l'entrecroisement permanent de deux plans : un plan horizontal — plan de l'immanence — correspondant au niveau de la narration des faits historiques ; et un plan vertical — plan de la transcendance — déterminé par la relation incessamment établie entre ces faits historiques et leur signification surnaturelle. C'est par le niveau de la narration historique que l'œuvre se rattache au genre épique ; on y retrouve, en effet, les principaux traits de l'épopée : la présence d'un héros (qui est ici un héros collectif, le peuple protestant), le clivage des personnages et de l'univers narratif dans son ensemble selon l'axe du Bien et du Mal (en l'occurrence, selon l'axe protestantisme/catholicisme), la place attribuée dans le récit aux actions héroïques (exploits guerriers, sacrifices des martyrs), les procédés rhétoriques du grossissement et de l'amplification, l'usage du symbolisme, etc. L'ouverture du récit épique sur une transcendance « verticale » se manifeste principalement par trois traits. En premier lieu, par un élargissement de la perspective historique qui transforme cette « épopée du protestantisme » en moment d'une épopée universelle et transhistorique, celle du peuple de Dieu (d'où les récits rétrospectifs des persécutions subies par l'Église chrétienne des premiers siècles, et, au-delà, les innombrables références à l'histoire du peuple juif). En second lieu, par la « focalisation » fréquente du récit selon la perspective d'« En-haut » : les spectacles décrits dans les livres III (la Chambre dorée) et IV (les Feux) sont vus par l'œil de Dieu lui-même, et les événements narrés dans le livre V (les Fers) se présentent comme la description de tableaux représentant, dans le ciel, ces événements terrestres. Mais l'effet le plus remarquable de l'ouverture du récit sur le surnaturel est l'inversion de la sémantique et de la symbolique propres à la narration épique traditionnelle : dans la perspective chrétienne, les défaites deviennent victoires et les victoires, défaites ; le supplice et la mort des Justes sont leur plus éclatante victoire, le triomphe apparent des persécuteurs vaut condamnation aux yeux de Dieu. La « lecture » surnaturelle des événements anticipe à chaque instant sur le dénouement futur du drame (le Jugement dernier, sujet du livre VII), de sorte que, d'une certaine façon, ce drame est tout entier présent dans chacun de ses moments : la progression apparente du récit n'est que l'accomplissement d'un programme non seulement fixé et connu à l'avance, mais, de surcroît, inscrit « en abyme » dans chacune des phases de son déroulement. C'est que, plus encore qu'une entreprise épique, dramatique ou lyrique, les Tragiques sont, dans leur essence, une entreprise de dévoilement de la vérité, une entreprise de « véridic-tion ». Les forces du Mal ont mis le monde à l'envers, travesti le désordre en ordre, l'injustice en justice : il s'agit de dénoncer l'imposture, de rétablir la vérité. Et ce en imposant, contre l'imposture triomphante, une lecture juste de l'Histoire.
Parce qu'elle n'est pas seulement théologique, mais aussi politique et partisane, et parce qu'elle a pour objet l'Histoire sous sa forme la plus concrète, cette lecture s'enlève sur tout un fond d'imaginaire. Un imaginaire que l'on peut, semble-t-il, rattacher à des déterminations de trois ordres. Au sujet même du poème, tout d'abord, qui, s'il n'en est
pas l'unique raison d'être, favorise, et, en partie du moins, explique la présence, d'un bout à l'autre de l'œuvre, des images multiformes de la violence : le sang, le feu, les corps suppliciés, mutilés, déchirés... Mais ces images — que l'on retrouve, à la même époque, associées dans d'autres œuvres à des thématiques très différentes de celle des Tragiques — constituent par ailleurs un élément fondamental de cette « sensibilité », commune à beaucoup d'écrivains de la fin du xvie et du début du xvne s., qu'on a coutume d'appeler « baroque ». Une sensibilité qui, sans doute, s'origine elle-même — en partie du moins — dans le climat de violence de l'époque, mais qui cependant — la littérature de ce temps le prouve — constitue un phénomène culturel relativement autonome, pourvu d'une vie propre, dont les manifestations sont loin de se limiter au thème guerrier ou au seul domaine de la littérature militante. Une troisième source de l'univers imaginaire des Tragiques est la Bible et la tradition judéo-chrétienne : s'y rattachent certains thèmes fondamentaux de l'œuvre, tel celui du sacrifice, et, en partie du moins, une symbolique de la parenté dont les grandes figures — celles du Père et du Fils notamment — se superposent aux principaux actants du drame.
La rhétorique des Tragiques présente une série de traits auxquels il serait, encore une fois, tentant d'apposer l'étiquette du baroque : le foisonnement des images, la fréquence des figures exprimant l'opposition, l'éclatement (l'antithèse, l'oxymoron), l'intensité ostentatoire (l'hyperbole), l'alliance du concret et de l'abstrait, etc. Mais, au vrai, ces traits d'écriture sont-ils bien à mettre au compte d'une esthétique ? Ne pourrait-on les expliquer tout aussi bien — et plus directement — par la thématique de l'œuvre (la guerre, les violences), ses fondements idéologiques (l'affrontement des forces du Bien et de celles du Mal), sa passion partisane ? Si l'on ne peut songer à dénier à ces éléments toute action déterminante sur l'écriture des Tragiques, l’on ne saurait non plus expliquer entièrement celle-ci par ceux-

« la dernière à avoir été connue du public (en 1874 seulem en t); quant aux Tragi­ ques, leur date tardive de public atio n (1616) fit que l'œuvre ne toucha plus, lorsqu'elle paru t, le public auquel elle était destinée : œuvre caduque dès sa naissance.

Le paradoxe -et l'infortune - de l'œuvre de d'Aubigné so n t ceux d'une œuvre qui, par ses dates de publication, appartient presque tout entière au xvn• s., tout en étant, par son esprit co=e par son propos, profondé­ ment enracinée dans le XVI•.

De ce rendez-vous manqué avec l'histoire, l'éloignement des siècles, aujourd'hui, lève entièrement l'hypothèque ; il no us devient possib le de nous approprier l'œuvre à nouveau, et par là mêm e, paradoxalement, de lui mén ager pour la première fois une réception véritable.

L'Histoire universelle et les Tragiques représentent, dans l'œuvre de d'Aubi­ gné, les deux modalités parallèles - l'une historiographique, l'autre épico­ lyrique -sous lesquelles s'accomplit le même dessein : porter tém oi gnage , devant la postérité, du combat mené par les huguenots pour la défense de leur foi.

L'Histoire universelle depuis 1550 jus­ qu'en 1601 (1616-1620), que d'Aubigné tenait pour son œuvre maîtresse, et qui, a uj o u rd 'hui même, constitue encore pour les histo riens un témoignage pré­ cieux (unique même sous certains aspects) sur les guerres de religion, n 'a pp arti ent à l'histoire littéraire que pour le s caractéristiques de sa langue et de sa rhétorique.

Il n'en est pas de même des Tragiques, œuvre qui, cependant, ne se laisse rattacher à aucun genre litté­ raire défini, ou, plus exactement, réalise l'am algam e de plusieurs genres diffé­ r e nts l'épopée, le poème lyrique, la tragédi e, la satire.

Plus singuliers encore apparaissent les contrastes internes de l'œuvre (ce dernier trait résultant par­ tiell em ent du pré cé den t) : œuvre par un certain côté transhistorique (ou métahis­ torique) qui met en scène, selon les schémas tirés de la Bible, le drame éternel de l'humanité, celui de l'aff ronte­ ment entre les forces du Bien et celles du Mal, le troupeau des Justes et leurs persécuteurs -et, en même temps, œuvre directement en prise sur l' a ct ua­ lité historique la plus prégnante ; œuvre mystique, et en même temps violem­ ment partisane ; œuvre à la fois histori­ que, voire parf ois documentaire, et lyri ­ que; œuvre décentrée, dont le manque apparent d'unité est souvent tenu pour l ' un des défauts majeurs, et en même temps fortement axée (grâce à la fonc­ tion d'« intégration >> que le surnaturel n'y cesse d'exercer par rapport au plan de s événements humains) ; œuvre litté · raire, appré ciabl e selon des critères esthétiques impliquant une « distan cia ­ tion >>, et discours prophétique s'inscri­ vant dans un ritu el d'énonciation et de réception spécifiquement religieux.

L'œuvre, qui comp orte sept livres (I : Misères; II : Princes; III : la Chambre dorée; IV : les Feux; V : les Fers; VI : Vengeances; VII : Jugement), appar aît, dans sa structure globale, constituée de l'entrecroisement permanent de deux r ians : un plan horizo ntal -plan de i mm anen ce - correspondant au niveau de la narration des faits histori ­ ques ; et un plan vertical -plan de la transcendance -déterminé par la rela­ tion incessa=ent établie entre ces faits historiques et leur signification surnatu­ relle.

C'est par le niveau de la narration historique que l'œuvre se rattache au genre épique ; on y re tro uv e, en effet, les p rinc ip aux traits de l' ép op ée : la pré ­ sence d'un héros (qui est ic:i un héros c oll ectif , le peuple protestant), le clivage des per sonn ages et de l'univers narratif dans son ensemble selon l'axe du Bien et du Mal (en l'occurrence, selon l'axe protestantisme/catholicisme), la pla ce attribuée dans le ré cit aux actions héroï­ ques (e xp loits guerriers, sacrifices des martyrs), les proc éd és rhétoriques du grossissement et de l'amplification, l 'usag e du symbolisme, etc.

L'ouverture du récit épique sur une transcendance « verticale >> se manifeste principale­ ment par trois traits.

En pre mi er lieu, par un élargissement de la perspective historique qui transforme cette « ép op ée du prote stan tisme » en moment d'une épopée universelle et transhistorique, celle du peuple de Dieu (d'où les récits rétrospectifs des persécutions subies par. »

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