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AUBIGNÉ Théodore Agrippa d' : sa vie et son oeuvre

Publié le 15/11/2018

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AUBIGNÉ Théodore Agrippa d' (1552-1630). La place de d’Aubigné — l’une des toutes premières dans la littérature européenne de l’âge baroque — est aujourd’hui encore sujette à contestation. Ignoré par ses contemporains en tant que poète, connu d’eux seulement comme capitaine et comme historien, l’auteur des Tragiques est un peu responsable, par une constante conduite d’échec, de cette méconnaissance obstinément attachée à son œuvre. Celle-ci est parvenue en grande partie manuscrite jusqu’au crépuscule du XIXe siècle, et l’engouement romantique pour le sombre univers des Tragiques, traversé des feux et des lamentations d’une époque que les critiques d’alors avaient tendance à qualifier un peu vite de médiévale, n’allait pas sans quelque réticence quant au style ni quelque malentendu quant au propos. Certes, d’Aubigné rencontre à ce moment sa véritable postérité littéraire avec les Châtiments de Victor Hugo et la Légende des siècles qui lui doivent, en plus d’un ton et d’un climat, des images et des thèmes précis : le poème « la Conscience » rappelle ainsi de très près tel passage célèbre de « Vengeances ». Cette adhésion proclamée avec enthousiasme n’était toutefois pas dépourvue de contrepartie, et l’on reprochait toujours à d’Aubigné, par un préjugé classique tenace, ses obscurités prétendues et son emphase. Le tort de celui-ci aurait été de n’avoir su égaler, dans le registre épique, ni les hauteurs rayonnantes de Milton ni les profondeurs abyssales de Dante.

Maintenant que l’œuvre entier s’est peu à peu dégagé de l’ombre où l’avait d’abord laissé son auteur, avec son Printemps lyrique et turbulent, son tragique été et ses sereines méditations hivernales, nous sommes mieux à même de cerner une création entre toutes cohérente en dépit de la diversité des formes qu’elle a tour à tour empruntées, de l’épopée religieuse à l’adagio lyrique, de la satire la plus corrosive au recueillement d’une prose poétique sans précédent. De plus, si l’on réinscrit cet œuvre dans le concert littéraire du baroque international, il apparaît pleinement solidaire d’un imaginaire d’une violence et d’une fécondité que les lettres ne retrouveront que rarement par la suite. En un mot, compte tenu de cette symphonie d’images qui s’accorde à celle de notre temps, les écrits du vieux huguenot nous sont devenus de part en part lisibles.

Un calviniste fougueux

 

S’il faut l’en croire, d’Aubigné est redevable de son prénom (Agrippa = aegre partus) à une naissance difficile qui coûta la vie à sa mère. D’où, peut-être, l’obsession de la mère sanglante et déchirée qui hantera l’œuvre, sous les figures contradictoires — présentes l’une et l’autre dans les Tragiques — de la femme piétinée et déchirée et de la mère dévoreuse de ses propres enfants. Son père, Jean d’Aubigné, juge à Pons, en Saintonge, et bientôt engagé dans le combat protestant, lui fait donner dès son plus jeune âge une éducation d’humaniste : à six ans, Agrippa « lisoit aux quatre langues », français, latin, grec, hébreu; à sept, il aurait traduit le Criton de Platon. Placé sous la férule de Mathieu Béroald, il est élevé dans les principes de la Réforme. Cependant les horreurs de la guerre vont traverser cette enfance studieuse. Dès 1560, Agrippa est voué par son père à la défense de la Cause devant le spectacle des décapités d’Amboise. Dans Orléans assiégée, où Jean d’Aubigné commande en second (1563), l’enfant dédaigne l’étude et se mêle aux soldats des tranchées. Lorsque, peu après, son père meurt des suites de ses blessures, le jeune Agrippa est chassé de la maison paternelle. Dès lors, il poursuit à Paris, à Genève et à Lyon des études chaotiques, interrompues par des fugues, la tentation du suicide et quelques rencontres douteuses. A seize ans, il prend les armes, se distingue sous les drapeaux du prince de Condé, avant de devenir le compagnon fidèle et incorruptible d’Henri de Navarre. Sa carrière au service du parti protestant semble désormais toute tracée. Toutefois, à partir de 1572 — année cruciale de la lutte —, s’ouvre une assez longue parenthèse dans ce destin que l’on voudrait exemplaire. C’est la période de sa vie qu’Aubigné évoquera par la suite comme « un printemps de péchés ». Fort épris de Diane Salviati, nièce de la Cassandre de Ronsard, et dédaigné par celle-ci, il se précipite pour mourir entre ses bras, lorsqu’il est grièvement blessé à l’automne de 1572 dans une embuscade. Remis de ses blessures, mais non de son chagrin, il rejoint Henri de Navarre, prisonnier de la Cour à Paris (1573), et, durant trois années, partage l’existence oisive et passablement débauchée des « Princes » qu’il évoquera plus tard dans les Tragiques. Sans doute il s’agit d’organiser l’évasion du futur Henri IV, opération qui ne réussira qu’en 1576, mais, en attendant, le huguenot est en fort bons termes avec Henri de Guise, ennemi juré des siens, et il participe de bon cœur aux bals, joutes, mascarades, qui égaient la fin tumultueuse des Valois. Cet accroc dans sa destinée n’est réparé qu’en 1577, à l’occasion d’une nouvelle blessure grave, reçue au combat à Castel-Jaloux. C’est alors que, retrouvant la mort en face de lui, il dicte les premières « clauses » des Tragiques. Dans l’œuvre, Castel-Jaloux se confond avec Talcy, et le choc de l’inspiration initiale est repoussé au moment de la première agonie. L’intervalle des cinq années d’errements s’est résorbé dans la continuité d’un destin réécrit, qu’aucun écart ne viendra plus troubler jusqu’au dernier jour. D’Aubigné ne déposera l’épée qu’au moment de l’abjuration de Henri IV, qu’il aura tenté jusqu'au bout d’empêcher. Retiré sur ses terres de Maillezais, il poursuit par l’écrit le combat en faveur de la Cause : c’est la publication, longtemps différée, des Tragiques (1616), de l'Histoire universelle (1618), des Aventures du baron de Faeneste (1619). Compromis dans la conspiration contre Luynes (1620), il se réfugie à Genève, où il s’occupe des fortifications de la ville et se remarie. Avant de mourir, au terme d’un « hiver » malgré tout serein, il voit son fils Constant, le père de la future Mme de Maintenon, se révolter contre lui, et il assiste, avec le siège de La Rochelle, à la défaite du parti qu’il avait servi par l’épée et par la plume.

 

Un Printemps de péchés

 

Émule de Ronsard, qu’il révère en dépit d’un engagement politique diamétralement opposé au sien, admirateur de Jodelle et presque seul thuriféraire de celui-ci au moment de sa disgrâce et de sa mort, Agrippa d’Aubigné entre dans la carrière poétique avec une génération de retard sur le groupe de la Pléiade, dont il se veut néanmoins l'humble héritier. Jusque dans la Préface tardivement composée des Tragiques, il proclame son indéfectible attachement aux principes que définissait un demi-siècle plus tôt la Défense et illustration de la langue française et que réaffirmait dans la Franciade le « bonhomme Ronsard ». Contre les afféteries de l’italianisme, il défend le style simple et les vocables familiers et dialectaux « qui sentent le vieux, mais le libre fran-çois ». Cela ne l’empêche pas de suivre à son tour la mode pétrarquiste, illustrée, il est vrai, par du Bellay et Ronsard.

La fidélité proclamée envers les modèles de la génération précédente se retrouve dans le projet même du Printemps, qui, comme tant d’autres recueils avant lui, semble répéter, sur le thème éprouvé de l’aimée inaccessible et déifiée, le premier livre des Amours. Il y a sans doute plus qu’un hasard — une coïncidence où se lit après coup le signe du destin — dans le fait que l’élue du poète, Diane Salviati, était la propre nièce de la fameuse Cassandre chantée par Ronsard. L’issue malheureuse de cette liaison ne pouvait que confirmer le parallèle avec la destinée du Vendômois et donner matière par là même à un rêve d’identification avec l’illustre aîné.

Voulant honorer « sa » Diane, dont le prénom, par une providentielle rencontre, est celui de la divine chasseresse qu'avaient célébrée Jamyn, Jodelle et Desportes, Agrippa dépose à ses pieds une Hécatombe de cent sonnets qui valent comme autant de dépouilles sanglantes. Suivent, dans le recueil, des Stances et des Odes, où le poète chante plus au long les peines et les fièvres — bien réelles — que lui cause l’impétuosité insatisfaite de son amour.

 

De l’adorateur à la déité, tout un monde d’objets symboliques est chargé de remplir la fonction de truchements : le miroir, le portrait, les arbres jumeaux plantés par le soupirant dans le parc de Talcy — ou même les grains de beauté disposés symétriquement sur leurs deux corps... De proche en proche — et c’est là que l’imagerie pétrarquiste tourne bientôt au délire —, la réalité environnante ressasse indéfiniment l’obsession de Diane. La nature solitaire et sauvage et son antithèse tumultueuse, le champ de bataille pavé de mourants, disent le désespoir, la douleur, l’agonie de l’amoureux déçu. De la sorte, la convention des figures fait place à l’expression hallucinée d’une souffrance réelle. Diane l’impassible arrache le cœur du jeune Agrippa, mais c’est au moyen de « tenailles flambantes ». Ce cœur martyrisé, ailleurs est battu par des marteaux de forge. Quant au corps désirant et perpétuellement insatisfait, il s’élargit aux dimensions d’un sol piétiné, d'un champ de bataille fumant du sang répandu par les combattants.

La brutalité du soudard qui subsiste au fond de l’apprenti pétrarquiste fait irruption dans la boutique d’orfèvre du sonnet italien pour glisser tel « désir endurci » parmi les rites de célébration de l’aimée. Le fougueux soldat de l'amour « vole à la brèche », « se jette à coup perdu dans la porte » de cette citadelle imprenable autrement que par l’assaut, ou bien rêve, redevenu pacifique, de labourer le « jardin fructueux » de sa belle. Ce réalisme charnel confine à l’extase la plus éthérée, quand d’Aubigné emprunte au vocabulaire de la mystique pour décrire le premier baiser accordé et qu’il se pâme,

 

Savourant le plus doux de la divinité.

 

Par cette sincérité baroque qui mêle aux fleurs de l’ancienne poésie des hardiesses inusitées de langue et d’images, le Printemps ne trouve d’équivalent à la Renaissance que dans les brûlants Sonnets de Louise Labé. Le mysticisme dévoyé, ici appelé à célébrer Diane, déesse païenne que le poète confond volontiers avec le Dieu courroucé et jaloux de la Bible, trouvera son expression accomplie — et plus conforme à l’orthodoxie calvinienne — dans l’épopée huguenote des Tragiques.

 

La poésie à feu et à sang

 

L’unité de l’œuvre de d’Aubigné est-elle bien à découvrir dans le dévouement constant à la cause protestante, comme on l’a souvent prétendu? Le Printemps y échappe totalement, et les guerres civiles n’y servent que de toile de fond à l’épanchement des souffrances amoureuses. Dans les pamphlets de la vieillesse, Sancy ou Faeneste, le service du parti paraît fournir un prétexte à un déploiement de verve et de facéties burlesques étrangères parfois à l'esprit de la Réforme. Dès lors, il se révèle nécessaire de chercher du côté de l'imaginaire poétique la cohérence d’une œuvre entre toutes polymorphe. Les images obsessionnelles du feu purificateur et sacrificiel et du sang des corps dépecés sont communes à l’érotique de T Hécatombe à Diane et au « style tragique élevé » des derniers chants de l’épopée, « Fers », « Vengeances » et « Jugement ». De l’imitation de Pétrarque à celle de F Ancien Testament, il n’est, pour d’Aubigné, nulle solution de continuité, et les mêmes motifs, voire les mêmes vers, se transmettent d’une œuvre à l’autre. Ici et là, le corps hyperbolique et martyrisé devient le champ où se déroule un choc d’armées : terre labourée par les tourments de l’amour dans tel sonnet du Printemps, territoire déchiré par la guerre que se livrent les deux frères ennemis sur le sein de leur mère dans l’allégorie célèbre de la France, au début du tableau des « Misères ». L’holocauste qui consume « cent amoureux sonnets donnés pour mon martyre » avec le sang et l’âme du jeune soupirant devient celui, élargi à la dimension collective des massacres de 1572, des apôtres de la foi réformée. La morbide mise en pièces du cadavre de l’amoureux transi, dont les dents, la peau, le cœur vont servir respectivement de collier, de gants et de pelote à épingles à l’« impiteuse » Diane qui sommeillera, triomphante, dans un lit

 

Enflé de mes cheveux et bâti de mes os

 

annonce la vaste « maison d’os » décrite dans « la Chambre dorée » : le Palais de justice de Paris, où des juges cannibales et vampires boivent le sang humain dans les crânes des protestants suppliciés, est bâti d’ossements, cimenté de cendres mortuaires, blanchi avec la moelle des victimes. Les meubles y sont marquetés d’esquilles d’os, les matelas gonflés du duvet des orphelins, les parchemins des arrêts confectionnés avec la peau des veuves. Une foule d’anatomies torturées a donc remplacé, en une sorte d’hyperbole que l’histoire contemporaine venait de concrétiser, l’unique corps souffrant de l’élégie pétrarquiste.

 

Ailleurs, le Printemps fournit, en termes érotiques, mais que l’épopée sera à même de transposer dans le langage de la mystique chrétienne, la liesse et l’extase du sujet comblé — ici, par la maîtresse au moment des premières faveurs; là, par la rédemption en Dieu à l’heure finale du Jugement. La même posture du corps bienheureux recroquevillé au giron de l’amante et qui voudrait y mourir (sonnet XIX de l'Hécatombe) se retrouve, sublimée et magnifiée, dans une promesse enfin tenue, aux derniers vers de l’œuvre prophétique :

 

Tout meurt, l'âme s'enfuit, et reprenant son lieu Extatique, se pâme au giron de son Dieu.

 

Répétition générale, exécutée sur le mode mineur, de l’ample symphonie des Tragiques, le Printemps expose un inventaire d’images violentes ou funèbres, partiellement héritées du pétrarquisme et de la Pléiade, mais retrempées dans l’expérience personnelle des guerres civiles et d’une agonie réelle plusieurs fois éprouvée. A ce passage par la mort, et à cette traversée du miroir des apparences charnelles, l’univers métaphorique de d’Aubigné a gagné une intensité et une vérité qui éclatent dans les sombres accords des Tragiques. En outre, dans l’intervalle des deux œuvres, il s’est opéré à l’intérieur de l’imaginaire aubignien une manière de renversement dialectique. Le référent et son image s’intervertissent. La guerre civile, le champ de bataille qui « fume d’âmes en haut », le « soldat terrassé » se débattant contre la mort ne servaient à l’auteur du Printemps que de termes de comparaison relégués à l’arrière-plan pour décrire les abominables souffrances du cœur épris. De là la chute quelque peu précieuse et dérisoire de poèmes d’une force et d’une violence indiscutables, s’achevant, après le carnage et le stupre, sur des pointes galantes bien émoussées. Désormais, dans la métaphore associant la guerre à la passion de l’âme, la première devient le terrain réel où s’exerce la poésie, dont l’auteur « avorte les chants au milieu des armées ».

« il se réfugie à Genève, où il s'occupe des fortifications de la ville et se remarie.

Avant de mourir, au terme d'un «hiver» malgré tout serein, il voit son fils Constant, le père de la future Mm• de Maintenon, se révolter contre lui, et il assiste.

avec le siège de La Rochelle, à la défaite du parti qu'il avait servi par l'épée et par la plume.

Un Printemps de péchés Émule de Ronsard, qu'il révère en dépit d'un engage­ ment politique diamétralement opposé au sien, admira­ teur de Jodelle et presque seul thuriféraire de celui-ci au moment de sa disgrâce et de sa mort, Agrippa d'Aubigné entre dans la carrière poétique avec une génération de retard sur le groupe de la Pléiade, dont il se veut néan­ moins l'humble héritier.

Jusque dans la Préface tardive­ ment composée des Tragiques, il proclame son indéfecti­ ble attachement aux principes que définissait un demi-siècle plus tôt la Défense et illustration de la lan­ gue française et que réaffirmait dans la Franciade Je « bonhomme Ronsard ».

Contre les afféteries de l' italia­ nisme, il défend le style simple et les vocables familiers et dialectaux « qui sentent Je vieux, mais le libre fran­ çois)).

Cela ne l'empêche pas de suivre à son tour la mode pétrarquiste, illustrée, il est vrai, par du Bellay et Ronsard.

La fidélité proclamée envers les modèles de la généra­ tion précédente- se retrouve dans le projet même du Prin­ temps, qui, comme tant d'autres recueils avant lui, sem­ ble répéter, sur le thème éprouvé de l'aimée inaccessible et déifiée, le premier livre des Amours.

Il y a sans doute plus qu'un hasard -une coïncidence où se lit après coup Je signe du destin -dans le fait que l'élue du poète, Diane Salviati, était la propre nièce de la fameuse Cassandre chantée par Ronsard.

L'issue malheureuse de cette liaison ne pouvait que confirmer le parallèle avec la destinée du Vendômois et donner matière par là même à un rêve d'identification avec J'illustre aîné.

Voulant honorer« sa» Diane, dont Je prénom, par une providentielle rencontre, est celui de la divine chasse­ resse qu'avaient célébrée Jamyn, Jodelle et Desportes, Agrippa dépose à ses pieds une Hécatombe de cent son­ nets qui valenl comme autant de dépouilles sanglantes.

Suivent, dans le recueil, des Stances et des Odes, où Je poète chante plus au long les peines et les fièvres- bien réelles -que lui cause l'impétuosité insatisfaite de son amour.

De l'adorateur à la déité, tout un monde d'objets symboliques est chargé de remplir la fonction de truche­ ments : le miroir, le portrait, les arbres jumeaux plantés par le soupirant dans le parc de Talcy -ou même les grains de beamé disposés symétriquement sur leurs deux corps ...

De proche en proche -et c'est là que l'imagerie pétrarquiste tourne bientôt au délire -, la réalité envi­ ronnante ressasse indéfiniment l'obsession de Diane.

La nature solitaire et sauvage et son antithèse LUmultueuse, le champ de bataille pavé de mourants, disent le déses­ poir, la douleur, l'agonie de l'amoureux déçu.

De la sorte, la convention des figures fait place à l'expression hallucinée d'une souffrance réelle.

Diane l'impassible arrache le cœur du jeune Agrippa, mais c'est au moyen de «tenailles flambantes».

Ce cœur martyrisé, ailleurs est battu par des marteaux de forge.

Quant au corps désirant et perpétuellement insatisfait, il s'élargit aux dimensions d'un sol piétiné, d'un champ de bataille fumant du sang répandu par les combattants.

La brutalité du soudard qui subsiste au fond de l' ap­ prenti pétrarquiste fait irruption dans la boutique d'orfè­ vre du sonnet italien pour glisser tel «désir endurci )) parmi les rites de célébration de J'aimée.

Le fougueux soldat de 1' amour « vole à la brèche », « se jette à coup perdu dans la porte )> de cette citadelle imprenable autre- ment que par l'assa ut, ou bien rêve, redevenu pacifique, de labourer le «jardin fructueux » de sa belle.

Ce réa­ lisme charnel confine à l'extase la plus éthérée, quand d'Aubigné emprunte au vocabulaire de la mystique pour décrire le premier baiser accordé et qu'il se pâme, Savourant le plus doux de la divinité.

Par cette sincérité baroque qui mêle aux fleurs de l'ancienne poésie des hardiesses inusitées de 1angue et d'images, le Prin tem ps ne trouve d'équivalent à la Renaissance que dans les brOiants Sonnets de Louise Labé.

Le mysticisme dévoyé, ici appelé à célébrer Diane, déesse païenne que le poète confond volontiers avec le Dieu courroucé et jaloux de la Bible, trouvera son expression accomplie-et plus conforme à l'orthodoxie calvinienne -dans l'épopée huguenote des Tragiques.

La poésie à feu et à sang L'unité de l'œuvre de d'Aubigné est-elle bien à découvrir dans le dévouement constant à la cause protes­ tante, comme on l'a souvent prétendu? Le Printemps y échappe totalement, et les guerres civiles n'y servent que de toile de fond à l'épanchement des souffrances amoureuses.

Dans les pamphlets de la vieillesse, Sancy ou Faen.este, le service du parti paraît fournir un prétexte à un déploiement de verve et de facéties burlesques étrangères parfois à l'esprit de la Réforme.

Dès lors, il se révèle nécessaire de chercher du côté de 1' imaginaire poétique la cohérence d'une œuvre entre toutes polymor­ phe.

Les images obsessionnelles du feu purificateur et sacrificiel et du sang des corps dépecés sont communes à l'érotique de l'Hécatombe à Diane et au« style tragique élevé )) des derniers chants de 1 'épopée, « Fers »,. »

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