Balzac, Eugénie Grandet: le portrait de Madame Grandet
Publié le 22/02/2011
                            
                        
Extrait du document
                                
Madame GRANDET était une femme sèche et maigre, jaune comme un coing, gauche, lente; une de ces femmes qui semblent faites pour être tyrannisées. Elle avait de gros os, un gros nez , un gros front, de gros yeux, et offrait, au premier aspect, une vague ressemblance avec ces fruits cotonneux qui n'ont plus ni saveur ni suc. Ses dents étaient noires et rares, sa bouche était ridée, et son menton affectait la forme dite en galoche. Une douceur angélique, une résignation d'insecte tourmenté par des enfants, une piété rare, une inaltérable égalité d'âme, un bon cœur, la faisaient universellement plaindre et respecter. Son mari ne lui donnait jamais plus de six francs à la fois pour ses dépenses. Quoique ridicule en apparence, cette femme qui, par sa dot et ses successions, avait apporté au père Grandet plus de trois cent mille francs, s'était toujours sentie si profondément humiliée d'une dépendance et d'un esclavage contre lequel la douceur de son âme lui interdisait de se révolter, qu'elle n'avait jamais demandé un sou, ni fait une observation sur les actes que le notaire lui présentait à signer. Cette fierté sotte et secrète, cette noblesse d'âme constamment méconnue et blessée par Grandet, dominaient la conduite de cette femme. Madame Grandet mettait constamment une robe de levantine verdâtre, qu'elle s'était accoutumée à faire durer près d'une année ; elle portait un grand fichu de cotonnade blanche, un chapeau de paille cousue, et gardait presque toujours un tablier de taffetas noir. Sortant peu du logis, elle usait peu de souliers. Enfin elle ne voulait jamais rien pour elle.
Étudiez ce texte dans un commentaire composé, en montrant par exemple comment Balzac, en décrivant l'aspect extérieur, les traits de caractère et le comportement de Madame Grandet, nous suggère le contraste entre sa valeur et sa condition.
Première partie : le portrait de Madame Grandet
■ Les traits physiques : laideur. ■ Le caractère. Sa beauté contraste avec le visage. Deuxième partie : valeur et condition. ■ Les causes de la soumission : la laideur provoque l'oppression ; la patience permet la tyrannie. ■ Quelle forme la soumission prend-elle? dépendance financière ; fierté et indépendance. ■ Contraste entre !a valeur et la condition. Un type humain.
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                                                                                                                            sécheresse.
                                                            
                                                                                
                                                                    La relative «qui n'ont plus ni saveur, ni suc» rejette dans un passé lointain — et irréel pour le cas deMadame Grandet —  la jeunesse du  personnage, ce temps de  la séduction.
                                                            
                                                                                
                                                                    La  précision dans la description  estextrême ; l'auteur a soin, pourtant, de l'atténuer : «une vague ressemblance», le pluriel «ces fruits», indiquent quel'impression compte plus que l'exactitude de la comparaison.L'habillement va dans le même sens déplaisant.
                                                            
                                                                                
                                                                    La  robe est de couleur «verdâtre».
                                                            
                                                                                
                                                                    Le suffixe «âtre» ajoute unenuance péjorative et peu agréable.Pour un romancier banal, la sécheresse de physionomie correspondrait à un manque de cœur.
                                                            
                                                                                
                                                                    La grossièreté destraits appellerait une certaine rudesse de caractère.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il n'en est rien ici.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'aspect extérieur contraste fortement avecle caractère.
                                                            
                                                                                
                                                                    Balzac a d'ailleurs soin de dire que la laideur n'apparaît qu'«au premier aspect ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Il faut dépasser cettepremière impression.
                                                            
                                                                                
                                                                     Le personnage  qui apparaît  alors est délicat  et beau  : «  une  douceur  angélique»,  «uneinaltérable égalité d'âme», «un bon coeur» définissent un être d'exception qui attire la sympathie et le respect.
Dans un monde  où l'argent  est roi, particulièrement  pour son mari,  Madame  Grandet fait preuve  du plus  granddétachement pour les biens matériels : «elle ne voulait jamais rien pour elle ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Tous ces traits confèrent donc aupersonnage une «noblesse» indiscutable.
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Desservie  par son  physique,  Madame Grandet pourrait être un de ces  personnages  inquiétants qui suscitent  lacrainte.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais son caractère lui impose de se soumettre à la fatalité de la douleur : «une de ces femmes qui semblentfaites pour être tyrannisées».
                                                            
                                                                                
                                                                     La remarque  est intéressante  parce qu'elle  permet  de dépasser  l'anecdote  oul'individualité.
                                                            
                                                                                
                                                                     Le personnage  rejoint alors un type  humain.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il rejoint  toute la catégorie  des femmes  victimes  etsoumises.Sa laideur fournit un prétexte à la torture morale.
                                                            
                                                                                
                                                                    Pour qui s'en tient à la première impression, elle paralyse la pitié.Comment  la plaindre?  Une fois excitée,  la méchanceté  ne trouve  pas d'obstacle.
                                                            
                                                                                
                                                                     Douce et désarmée,  MadameGrandet appelle la tyrannie  et même  l'entretient.
                                                            
                                                                                
                                                                     Sa patience  excite un certain  sadisme  comme le prouve  lacomparaison des enfants tourmentant un insecte.Monsieur Grandet, dans ces conditions, peut donner libre cours à son avarice.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il ne lui donnait «jamais plus de sixfrancs à la fois pour ses dépenses».
                                                            
                                                                                
                                                                    Désintéressée, Madame Grandet se refuse à demander des comptes à son mari.Ainsi accepte-t-elle les plus criantes injustices : elle qui apporta «trois cent mille francs de dot » reçoit une sommemodique pour vivre.
                                                            
                                                                        
                                                                    L'écart est flagrant entre les deux sommes.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il indique ce que représente Madame Grandet auxyeux de  son mari :  une occasion de  s'enrichir.
                                                            
                                                                                
                                                                    Pour décrire sa  condition, Balzac utilise les mots très forts de «dépendance » et même d'« esclavage ».Ainsi les qualités de Madame Grandet contrastent fortement avec sa condition, mais elles permettent aussi de lacomprendre.
                                                            
                                                                                
                                                                    En effet, sa grandeur d'âme, sa «noblesse» ne peuvent s'exprimer au grand jour.
                                                            
                                                                                
                                                                    Madame Grandet estconstamment «humiliée».
                                                            
                                                                                
                                                                    «Blessée», elle met un point d'honneur à ne rien réclamer.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce trait de caractère devientl'objet de sa perte.
                                                            
                                                                                
                                                                    Balzac parle alors de «fierté sotte et secrète».
                                                            
                                                                                
                                                                    Sotte parce
qu'inexprimée, elle ne fait qu'attiser l'avarice de Monsieur Grandet.
                                                            
                                                                                
                                                                    Victime parfaite, elle se tait et, sans doute, safierté «secrète» la sauve à ses propres yeux, mais au lieu de réagir à cette situation humiliante, son mutisme lamaintient dans la soumission.
                                                            
                                                                                
                                                                    Son seul objectif est alors de «coûter» le moins possible à son mari, et cela dans lesmoindres détails : «sortant peu du logis, elle usait peu de souliers».
                                                            
                                                                                
                                                                    La principale peut être considérée comme lacause, mais on peut aussi inverser la proposition et faire de la principale le but.La condition sociale domine donc la valeur intérieure, mais celle-ci demeure perceptible.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ainsi, Balzac laisse percersa bienveillance  grâce à des  expressions  comme «noblesse  d'âme».
                                                            
                                                                                
                                                                    Si la grandeur  est «méconnue»,  il fautreconnaître que sa condition malheureuse et son mérite personnel la font «universellement plaindre et respecter».L'adverbe  est important.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il marque  l'assentiment  de tous  et indique  surtout  que l'on a conscience  d'être placédevant  un cas  exceptionnel.
                                                            
                                                                                
                                                                     Le personnage  est humble,  modeste,  et pourtant  les adverbes  «constamment»,«jamais», «toujours» élèvent le quotidien au niveau de l'exemplaire.Dans cette ville de province c'est un drame total qui se vit sans révolte.
* * *Ainsi, Balzac décrit un personnage au physique caricatural qui fait penser à un dessin de Daumier.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais derrière cevisage ingrat se cachent  des trésors  de noblesse  et de  dignité.
                                                            
                                                                                
                                                                     Malheureusement  cette valeur  ne trouve  às'exprimer que dans la soumission.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le romancier montre comment un personnage humble et secret vit une tragédie,d'autant plus pénible au lecteur qu'elle est acceptée, d'autant plus insupportable que le personnage ne se plaint paset semble à peine conscient du malheur où il est englué..
                                                                                                                    »
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