Bar automatique - Henri TROYAT, La Case de l'oncle Sam
Publié le 05/06/2011
Extrait du document
(En 1959, Henri Troyat fait un voyage de quelques mois aux Etats-Unis. Beaucoup des inventions qui l'étonnent ont fait, depuis, leur apparition en Europe, comme ce bar automatique.) Nous atterrîmes dans un bar automatique. Je glissai une pièce dans la fente d'un appareil, et l'appareil, s'étant raclé la gorge avec un grognement sourd, cracha dans ma main un sandwich enveloppé de papier cellophane (1). Un autre appareil me délivra, pour le même prix, un sandwich de matière différente, mais de même format. Enfin, j'obtins d'un troisième qu'il laissât couler un liquide sirupeux dans le verre que je présentais à ses lèvres nickelées. Le miracle accompli, je déposai mon butin sur un petit plateau et m'assis. A l'usage, les sandwiches se révélèrent spongieux et fades. Je mâchais une nature morte (2), intermédiaire entre l'étoupe (3) et la salade, le blanc d'oeuf et la gomme à crayon. Les couleurs fraîches qui décoraient cet aliment passe-partout m'avaient trompé sur sa saveur véritable. Je fis la grimace. Boris éclata de rire : « On ne vient pas ici pour manger, mais pour se nourrir, tu saisis la nuance ? D'ailleurs l'Américain moyen n'aime pas la bonne cuisine, les sauces mijotées, les soupes savantes, les vins fins. En matière gastronomique, la couleur lui tient lieu de saveur. Il éprouve du plaisir à mastiquer un beau rouge, un beau vert, un beau jaune. Ses papilles gustatives sont visitées par le nerf optique. « Autour de moi, des consommateurs entraient d'une démarche hâtive, arrachaient aux appareils quelques victuailles. Ils mangeaient vite, comme s'ils satisfaisaient un besoin honteux. Aux murs, pendaient des pancartes : « No smoking « (4) « Pourquoi ? demandai-je. — Pour que les gens ne s'attardent pas après avoir mangé. Il faut que la machine tourne, que l'argent rentre... — Mais c'est affreux ! m'écriai-je. Personne donc, ici, n'éprouve le besoin de perdre son temps, de rêvasser devant un verre, de mâcher un cure-dent avec philosophie ? « De toute évidence, le restaurant était un lieu pour manger, non pour rêver. Il n'y avait pas à New York de lieu pour ne rien faire. La signification merveilleuse du bistrot (5) français m'apparut alors. Il y avait trois minutes à peine que nous avions fini de manger, et, déjà, les regards de la caissière, qui n'était là que pour changer la monnaie, et de la serveuse, qui n'était là que pour ramasser les assiettes, nous expulsaient de la salle.
Henri TROYAT, La Case de l'oncle Sam
(1) cellophane : pellicule transparente. (2) nature morte : tableau qui a pour sujet des objets ou êtres inanimés (poissons, fruits...). (3) étoupe : rebut de la filasse du chanvre ou du lin. (4) No smoking : défense de fumer. (5) bistro ou bistrot : petit café.
«
B - VOCABULAIRE1.
Expliquez :a) ses papilles gustatives sont visitées par le nerf optique (l.
16).b) cet aliment passe-partout (l.
10).
(2 points)2.
« On ne vient pas ici pour manger mais pour se nourrir » (l.
12).Pour chacun des deux infinitifs, donnez un verbe synonyme en respectant la différence de nuance.
(1 point)3.
a) Donnez un synonyme de « savante » dans le texte (l.
14).b) Rédigez une phrase contenant ce mot avec un sens différent.
(1 point)4.
a) spongieux (l.
8) - sirupeux (l.
6).Sur quels mots sont formés ces adjectifs? (1 point)
RÉAGIR- Les synonymes peuvent être plus précis que les termes employés dans la phrase d'origine.
— Les adjectifs, parce qu'ils sont formés à partir d'une étymologie, ont parfois une orthographe dans laquelle on nereconnaît pas le mot d'origine.
RÉPONDRE1.
a) Pour les Américains, apparemment la couleur est plus importante que la saveur dans un aliment.
L'auteurimagine donc une connection entre les papilles gustatives (qui sont les éléments, sur notre langue, nous permettantde distinguer les saveurs) et le nerf optique qui sert à la vue.b) Les sandwiches n'ayant aucun goût pourraient convenir à n'importe qui, en n'importe quelle circonstance.2.
On ne vient pas ici pour savourer mais pour s'alimenter.3.
a) Elaborée.b) Marie Curie était une savante.4.
Spongieux est formé à partir d'éponge.
Sirupeux est formé sur sirop.
C — COMPRÉHENSION1.
a) A quoi sont comparés les distributeurs automatiques?b) Relevez quatre mots ou expressions développant cette comparaison.
(2 points)2.
Précisez les réactions de l'auteur.
(2 points)3.
En une phrase, développez « la signification du bistrot français » à laquelle fait allusion l'auteur.
(1 point)
RÉAGIR— La comparaison se marque par l'emploi de termes qui sont habituellement utilisés dans un autre contexte.— Les réactions de l'auteur sont à relever au fil du texte, dans leur ordre chronologique.
RÉPONDRE1.
a) Les distributeurs automatiques sont comparés à des êtres vivants, mais des êtres désagréables :b) « S'étant raclé la gorge », « grognement sourd », « cracha dans ma main », « j'obtins qu'il laissât couler ».2.
L'auteur est d'abord intrigué par les machines et leur contenu.
Il est ensuite déçu par ce qu'il a sur son plateau.
Ila un mouvement de révolte (« Mais c'est affreux ! »), et regrette le bistrot français.3.
Le bistrot est un lieu où il est permis de ne rien faire, de perdre son temps en prenant une consommation.
D — RÉDACTION
Le candidat traitera, au choix, l'un des deux sujets suivants :1.
Supposez que l'Américain moyen, tel que le présente Henri Troyat, habitué des bars automatiques, « fast-food »,ou autres systèmes de restauration rapide, découvre un restaurant traditionnel français.Imaginez, avec précision et humour, son comportement (réactions, réflexions...).2.
A un mode vie, conditionné par l'efficacité et le profit (« Il faut que la machine tourne, que l'argent rentre...
», ditle texte), l'auteur préfère un art de vivre où l'on sait encore flâner, rêver, « perdre son temps ».
Partagez-vous sonpoint de vue ? Justifiez votre opinion par une argumentation clairement construite.
RÉAGIR— Le contraste est évidemment grand entre ce qui nous est présenté par Troyat et la restauration françaisetraditionnelle ! L'humour doit venir de ce fait.— Comparez les arguments qui vont dans l'un ou l'autre sens puis donnez votre opinion.
RÉDIGER.
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