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BARTHES Roland : sa vie et son oeuvre

Publié le 15/11/2018

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BARTHES Roland (1915-1980). Né le 2 novembre 1915 à Cherbourg, il fut orphelin de père dès l’année suivante et passa son enfance à Bayonne, dans un milieu bourgeois et protestant, auprès d’une mère qui fut la grande passion de sa vie. Ses études secondaires, puis supérieures, à Paris, le menèrent à une licence de lettres classiques, et furent interrompues par la maladie. Après une retraite forcée au sanatorium (1941-1946), employée à la lecture et à la réflexion. Barthes entra comme chercheur au C.N.R.S. (1952).
 
L’originalité de sa pensée s'affirme rapidement par le Degré zéro de récriture (1953) : dès 1947, il avait écrit un texte sur « l'écriture blanche » de Camus, qui mettait en cause les définitions universitaires de la littérature. « L’écriture est l'éthique de la forme » : cette affirmation situe déjà Barthes dans son espace, qui est celui de la morale, mais d'une morale de l’immanence, de la structure. Michelet par lui-même (1954) illustre une attitude critique adaptée à cette théorie de l’écriture : découvrir dans le texte les moteurs cachés de sa production; ici, trouver les marques d’un réseau obsessionnel dans tout texte de Michelet. Lecture, « décodage » sont encore pour Barthes des opérations intuitives, mais l’acuité de son regard lui permet de toucher juste dans le démasquage des présupposés de la culture française et de leur organisation mythique. Ces Mythologies (1957), qui renouvellent le genre du propos fragmenté — elles parurent dans un hebdomadaire —, marquent la naissance d’un grand essayiste. Lorsqu’en 1963, revenant à la critique littéraire, il s’attaque au terrain le plus gardé de la critique institutionnelle (Sur Racine), les réactions ne se font pas attendre. En Barthes, c’est la « nouvelle critique », le « structuralisme » tout entier qui sont visés par R. Picard (Nouvelle critique et nouvelle imposture, 1965). Ces attaques donnent d’ailleurs au perturbateur l’occasion de pratiquer l'autopsie d’une activité qu’il conteste (Critique et Vérité, 1966).
 
Plus importante dans son trajet : son initiation à la linguistique (lecture de Saussure, de Martinet, fréquentation de Benveniste, de Greimas, de Pierre Guiraud) et à l’anthropologie (il est directement influencé par Lévi-Strauss) le conduit à entreprendre la rédaction d’une thèse analysant le discours de la mode féminine (1957-1963) , thèse non soutenue et publiée plus tard sous le titre de le Système de la mode, 1967. Ce travail faisait de son auteur l’un des sémiologues français les plus en vue, dans le sillage direct et saussurien du grand théoricien danois Louis Hjelmslev. On le verra clairement avec les travaux arides mais élégants des Éléments de sémiologie (publiés dans la revue Communications, puis en volume, 1964) et sur la rhétorique et son histoire (in Communications). A la différence de tous les sémioticiens, y compris Jakobson, il exposait une théorie du sens comme englobé dans une vaste parole humaine, et de la sémiologie comme entièrement subordonnée à une sorte de linguistique généralisée. « Il n’y a de sens que nommé et le monde des signifiés n’est autre que celui du langage » (Éléments de sémiologie).

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« thèse analysant le discours de la mode féminine ( 1957- 1963), thèse non soutenue et publiée plus tard sous le titre de le Système de la mode, 1967.

Ce travail faisait de son auteur l'un des sémiologues français les plus en vue, dans le sillage direct et saussurien du grand théoricien danois Louis Hjelmslev.

On le verra clairement avec les travaux arides mais élégants des Eléments de sémiologie (publiés dans la revue Communications, puis en volume, 1964) et sur la rhétorique et son histoire (in Communica­ tions).

A la différence de tous les sémioticiens, y compris Jakobson, il exposait une théorie du sens comme englobé dans une vaste parole humaine, et de la sémiologie comme entièrement subordonnée à une sorte de linguisti­ que généralisée.

« li n'y a de sens que nommé et le monde des signifiés n'est autre que celui du langage» (É léments de sémiologie).

Après cette crise théorique, dont les produits lui conféreront auprès de l'institution le statut requis pour entrer au Collège de France une dizaine d'années plus tard (1976), Barthes revient à une lecture-écriture, fré­ missante et retorse, des textes qui l'excitent : une nou­ velle de Balzac sur la transgression sexuelle et le vieillis­ sement, Sarrasine (SIZ.

1970), puis les écrits obsessionnels, structuraux et fascinants de la trilogie Sade, Fourier et Loyola ( 1971 ), qui sont les prétextes à de superbes exercices herméneutiques.

Aussi important, le déchiffrage d'un vécu flottant et profond, celui de l'aliéné culturel, du« barbare en Asie », l'essai l'Empire des signes (1970).

De moins en moins marquée par la rigueur du discours théorique institutionnel -rigueur assumée en tant qu'objet de désir (« J'ai traversé un rêve - euphorique -de scientificité >>, in Tel Quel, n° 47) -, l'écriture de Barthes retrouve le contact charnel avec les horreurs de la socialité qui donnait aux Mythologies leur plus grand pouvoir.

Une éthique hédoniste qu'on peut juger compensatoire, un recours probablement désespéré au plaisir -derrière lesquels on sent l'an­ goisse, l'ennui, la désillusion ...

-, un raffinement psy­ chologique qui fait trop facilement évoquer Proust, ou Gide, donnent aux dernières œuvres leur ton de confi­ dence imparfaite et leur vibration lucide-j'entends que la clarté y est hésitante, c'est-à-dire sans artifice - devant les écrits littéraires (le Plaisir du texte, 1 973) comme devant le texte ambigu de la mémoire person­ nelle (Roland Barthes par Roland Barthes, 1975).

Cette vibration devient tremblement devant le discours assez désespérant des tricheries du sentiment érotique (Fra g­ ments d'un discours amoureux, 1977).

Barthes, après un banal accident de la circulation, se laisse entraîner par la persuasion de la mort, bien peu de temps après sa mère.

Et son dernier texte, sur la photographie (la Chambre claire, 1980), est une méditation sur la trace iconique, sur le temps et sur la mort.

« Avec des choses intellectuelles, nous faisons à la fois de la théorie, du combat critique et du plaisir » (R.B.

par R.B., p.

94).

Cette phrase est la meilleure définition de son projet.

Théorique, en effet, la conception d'une écriture-lecture qui ne fait que« tisser autour de l'œuvre sa couronne de langage » (Critique et Vérité); mais aussi critique, car seule capable de dégager « le lieu où le sens se forme et "prend" -comme une crème, une sauce, mais aussi un ciment>> (J.

Rey-Debove, in Semiotica, 32-1 ).

Cette « prise » est la doxa, somme des tautologies sociales et culturelles, qui se donnent pour naturelles et renvoient tyranniquement au Code.

Enfin, cette concep­ tion vise au plaisir, équivoquement recherché, lié à la névrose et à la perversion, celles mêmes du sens qui circule de l'écrivain au texte et au lecteur.

Écrivain, ce théoricien de l'écriture l'est.

Sa convic­ tion d'impuissance historique se reflète en une démarche rompue, où le lexique est semé de plongées étymologi­ ques, de savantes hésitations sémantiques, comme la phrase l'est de parenthèses correctives, pour aboutir à cette matité décapante, à cette évacuation de l'ineffable, du douteux, qui auraient pu faire de Barthes un grand classique.

Ses exigences de critique, son savoir même le lui ont interdit- peut-être aussi son refus de la science, antivaléryen.

Car la conception barthésienne du littéraire rend intenable la position de l'écrivain.

Celui-ci est contraint de croupir dans le cachot du sens social, de l'idéologie, de s'engluer dans la sauce figée du langage hérité, s'il ne fait éclater ce sens en volant, en« maquil­ lant» les signes; en trichant, seul contre l'Histoire.

« Tous ceux [ ...

]qui sont hors du Pouvoir sont contraints au vol du langage» (R.B.

par R.B.).

L'issue serait ce «discours debout [ ...

] plein de terreur » (le Degré zéro) qui est aujourd'hui le discours poétique le plus plein, et que Barthes n'a fait que côtoyer.

L'écrivain, pour lui, n'existe que par la pluralité des lectures : «Celui qui agit le texte, c'est le lecteur, et le lecteur est pluriel » (Sollers écrivain).

Le sens du texte n'est jamais la« pro­ priété>> de l'auteur, mais l'effet d'une action quasi phy­ sique (un« muscle », qui« courbe » l'esprit), et cet agir a un moteur, le plaisir, force individuelle qui permet de mettre en œuvre, dans le texte, une modernité propre, capable de défaire le joug du langage.

Barthes fut ce déchiffreur de tout discours, explora­ teur de cet« empire des signes » sous lequel nous vivons.

En témoignent aussi ces neuf volumes d'Essais critiques, publiés entre 1964 et 1987.

Mais il savait que l'on ne peut se libérer de la contrainte des signes qu'en usant d'eux : contre le poids des symboles, il évoquait le pou­ voir d'autres signes, signaux -le fameux « message » à «décoder>> , vocabulaire d'ingénieur dont les imbéciles se gaussent sans avoir tenté de Je comprendre- et peut­ être surtout symptômes, révélateurs de l'homme total, avec son inconscient.

[Voir aussi CALLIGRAMME, CRITIQUE LllT�RAIRE, PHILOSOPHIE ET LITTÉRATURE, RHÉTORJQUE ET LIT· TtRATURE, SÉM IOLOGIE ].

BIBLIOGRAPHIE Œuvres complètes en cours de publication au Seuil, sous la direction d'E.

Marty (t.

1, 1993).

A co nsulter: Louis-Jean Calvet, Roland Barthes, 1111 regard politique sur le signe, Payot, 1973.

Nombreux articles, parmi lesquels on peut citer : Jean-Louis Bouttes, « Faux comme la v érit é », Critique, n• 341, octobre 1975; Josette Rey-Debove, «Roland Barthes ou !"Éthique du sens>>, Semiotica, 32, 1-2, 1980; la revue Tel Quel, dont il était proche, a consacré un numéro spécial, en 1971 (n° 47), à Roland Barthes.

Hommage aussi que l'amusant pastiche de M.-A.

Burnier et P.

Rambaud, le Roland Barthes sans peine, Balland, 1978.

Enfin et surtout, ses propres commentaires, dans : le Grain de la voix, entretiens, 1962-1980, Le Seuil, et Prétexte : Roland Barthes, colloque de Cerisy, 1977, coll.

« 10/18 >>.

Plusieurs numéros spéciaux de revues lui furent consacrés après sa mort : notamment Poétique, n• 4 7, 1981; Critique, n•• 423-424, 1982; Communications.

n° 36, 1982; Texwel n• 15 (Paris VII, 1984).

Voir aussi : Philippe Roger, Roland Barthes, Roman, Grasset, 1986; Vincent Jouve, la Liuérawre selon Roland Barthes, Minuit, 1986; Louis-Jean Ca.lvet.

Roland Barthes, Flammarion, 1990; Roland Barthes et la photo : le pire des signes, les Cahiers de la photographie, Contrejour, 1991; Bernard Comment, Roland Barthes vers le neutre, Bourgois, 1991.

Philippe Roger a retrouvé dans la revue Cahiers de l'étudiant, Copar, 1942, un te x te écrit par Barthes à 27 ans : Culture et tragédie.. »

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