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Baudelaire ; l'horloge (commentaire)

Publié le 16/09/2018

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La fatalité à laquelle l’humanité est soumise imprègne tout le poème. Qu’elle prenne l’image d’une puissance divine dès le premier vers où un « dieu sinistre » lance un présage funeste à l’humanité entière, ou bien la forme d’un « divin Hasard » (v. 21) ou encore celle d’une « loi » (v. 18) mathématique, l’issue inéluctable est la mort : il est illusoire de penser pouvoir lui échapper. Cet enfermement des hommes dans la tragédie universelle de toute vie est parfaitement rendu par le vers inaugural et le vers final de ce poème. Si c’est l’horloge qui s’adresse aux hommes au début du texte et qui leur intime l’ordre impératif du « Souviens-toi » (v. 2) obsessionnellement répété comme un leitmotiv tragique, nous observons qu’au dernier vers c’est « tout » qui « dira » aux hommes « Meurs (…) il est trop tard ! ». Nous sommes passés d’un émetteur particulier sous la forme de l’horloge à un « tout » universel et infini évocateur de l’encerclement des hommes : il n’y a pas d’issue ni d’échappatoire. De plus, si l’impératif inaugural intimait l’ordre du souvenir, l’impératif final est plus radical : il n’est plus temps de faire vivre la mémoire, tout est fini. Finalement, Baudelaire veut nous rappeler que le seul moyen de parer cette fatalité est de goûter le moment présent, ces « minutes » qui sont des « gangues » (v. 15) dont chaque homme doit être capable, et il y a urgence, d’extraire comme un alchimiste « l’or » (v. 16) qui s’y cache.

 

 

 

 

Ainsi, c’est à travers un univers angoissant et oppressant où le temps règne de façon absolue que le poète tente d’interpeller les hommes, tous les hommes sans exception, au sujet du temps qui passe. L’horloge symbolise ici un monstre terrible et insensible qui compte nos pauvres heures sans aucun état d’âme. Baudelaire, ici, réactualise, en le rendant plus palpable, un thème traditionnel de la littérature : si l’injonction à goûter chaque seconde, héritée du carpe diem, est présente, c’est surtout le constat tragique du memento mori qui domine ce poème.

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« L’angoisse est enfin induite par l’image obsédante de la dévoration.

L’image d’un temps, monstre insatiable, particulièrement soulignée à travers celle du vampire qui « dévore » (v.

7) et a « toujours soif » (v.

20) ne peut que susciter un sentiment « d’effroi » (v.

3) chez le lecteur.

Dans le bestiaire choisi par Baudelaire, la préférence pour l’insecte qui « pomp(e) » (v.

12) nos vies est éclairante.

La dévoration par cet infiniment petit accentue l’angoisse car comment se protéger d’un ennemi si discret ? La présence du « gouffre » (v.

20) assoiffé dessine une forme de vide vertigineux synonyme de la vacuité de toute vie humaine.

La peur du néant et de la perte est donc omniprésente dans ce poème.

Cette peur du néant est augmentée par la confusion organisée par le poète.

En effet, on parle de la « voix » (v.

10) de l’animal puis d’un « Maintenant (qui) dit : Je suis Autrefois » (v.

11).

Baudelaire trouble ainsi les frontières entre l’humain et l’animal et entre le présent et le passé.

Cette porosité entre des univers étrangers ou distants est encore une manière de souligner la perte du sens de toute chose.

Enfin, la dévoration semble également induite par la récurrence de l’emploi de pronoms personnels compléments pour désigner l’homme : « Chaque instant te dévore » (v.

7) ; « Où tout te dira » (v.

24).

Ainsi, les hommes jamais ne sont sujets de l’action ; ils apparaissent comme privés de toute forme d’initiative active : le temps dévore et anéantit leur capacité à agir.Si Baudelaire veut mettre en scène une dimension angoissante de la fuite du temps, il semble aussi tenir à offrir au lecteur une conception tragique de la condition humaine à valeur universelle. Le poète s’adresse directement au lecteur.

Le choix du discours direct est bien la manifestation de cette volonté de s’adresser frontalement aux hommes.

Ce poème doit choquer et marquer profondément celui qui le lit et toute l’humanité est impliquée avec les pronoms personnels « nous » du v.2.

L’horloge parle directement à son destinataire avec des adjectifs possessifs comme « ton cœur » (v.3), « ta vie » (v.12) et le pronom personnel « te » (v.7).

Le tutoiement que se permet l’horloge est aussi une manière d’exprimer la proximité des liens qu’elle entretient avec chacun d’entre nous.

Lorsqu’elle parle à « A chaque homme » (v.8), cela confirme l’universalité du message.

Les adresses au lecteur se font aussi plus personnelles avec des critiques et des reproches : l’homme est traité de « prodigue » (v.

13) et de « mortel folâtre » (v.15).

Ces deux termes sont en milieu de vers et cassent la régularité de l’alexandrin volontairement.

L’horloge s’amuse à insérer des commentaires négatifs sur la conduite irresponsable de l’homme, « Vieux lâche » (v.

24) qui répond à « prodigue » et « folâtre ».

L’homme n’a eu aucun rapport avec la « Vertu, ton épouse encor vierge » (v.22) durant sa vie, mais il l’a épuisée en futilités.

On remarque enfin que les substantifs « Hasard » et « Vertu » sont accompagnés d’adjectifs à valeur méliorative : « divin », « auguste » (v.21 -22) et s’opposent nettement à l’attitude irresponsable de l’homme.

La vie est aussi assimilée à une pièce de théâtre : il y a une « coulisse » (v.

6) où l’homme, un moment sur scène, joue la comédie de la vie, puis retourne très vite dans l’obscurité, les ténèbres, la mort.

La vie de tous les hommes est perçue comme une illusion. Nos existences sont éphémères comme le suggèrent les allusions à la « sylphide » (v.

6) ou au « Plaisir vaporeux » (v.

5).

Tout est vain.

Le monde est un théâtre comme le décrivaient les poètes baroques par l’expression du theatrum mundi. Le poète tient à délivrer un message universel.

L’emploi d’un présent de vérité générale (gnomique) donne une tonalité presque proverbiale aux vers 17 et 18 : « le Temps est un joueur (…) qui gagne » toujours.

De plus, le rythme 6/3/3 du vers 18 a quelque chose de catégorique ; la brièveté des expressions « à tout coup : c’est la loi.

» (v.

18) n’attend pas de contradiction.

Le réseau lexical de l’univers ludique riche de termes comme « cible » (v.

4), « joueur » (v.

17), « gagne » (v.

18), ou « tricher » (v.

18) réduit la vie à un jeu cruel dont nous sommes la victime perdante d’avance.

Cela augmente la cruauté de cette loi universelle à laquelle nous sommes tous soumis.

L’universalité est encore rendue avec le rôle important des. »

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