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BEAUVOIR Simone de : sa vie et son oeuvre

Publié le 18/11/2018

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BEAUVOIR Simone de (1908-1986). Essais, études sociologiques, romans, théâtre, autobiographie : tout entière marquée par l’existentialisme, l’œuvre multiple de Simone de Beauvoir dit la conquête de l’autonomie par le travail et le projet de susciter, par l’analyse des mœurs et des mentalités, une « volonté de changement ». A la fois juge et partie, cette praticienne exemplaire d'un credo philosophique imposant une lucidité implacable à l’égard de soi-même en sera également l’historiographe; son autobiographie confère l'unité du vécu à une attitude de pensée qui fut aussi, dans l’immédiat après-guerre, un phénomène de société.

 

L'engagement

 

Née à Paris, Simone de Beauvoir connaît une enfance studieuse et choyée, entre un père « à mi-chemin entre l’aristocrate et le bourgeois » et une mère, fervente catholique, qui lui donne un sens intransigeant du devoir.

 

Une violente passion pour son amie du cours Désir, Suzanne Mabille, dite Zaza, lui révèle le piquant d’une certaine désinvolture dont elle se sent elle-même dépourvue. Mais ses succès scolaires la rassurent : baccalauréat, mathématiques générales à l’institut catholique, licence de philosophie à la Sorbonne (1926), agrégation (1928) avec des camarades qui se nomment Maurice Merleau-Ponty, Claude Lévi-Strauss, Raymond Aron. Période un peu folle : la jeune émancipée, en froid avec sa famille, se livre au « narcotique » du travail, buvant des gin-fizz dans les cafés du quartier Latin «en disant n’importe quoi », assez convenable néanmoins pour décourager la « lubricité ». En 1929, elle se lie avec le trio Herbaud, Nizan, Sartre. « Intellectuellement dominée » pour la première fois, elle reconnaît en Sartre ce « double... répondant aux vœux de (ses) quinze ans », avec qui elle pourra « toujours tout partager ». Mais au mariage qu’il lui propose, elle préfère un « pacte renouvelable » qui préserve sa liberté. Enseignante à Marseille, à Rouen, à Paris, Simone de Beauvoir, à l’inverse de ses amis Nizan et Colette Audry, se tient jusqu’à la guerre à l’écart de la politique, malgré sa sympathie pour le Front populaire et les républicains espagnols. Des voyages avec Sartre en Italie et en Allemagne n’entament pas son optimisme, conforté par les accords de Munich. En revanche, la vie du couple est mise à l’épreuve par la présence en tiers d'une jeune Rouennaise; surmontant sa jalousie, elle utilise la situation comme trame de son premier roman, l'invitée (1943). Avec la guerre, l’exode, le retour dans Paris occupé, l’« irruption de l’Histoire » déchire brutalement de tenaces illusions. A son retour d’un camp de prisonniers, tout en écrivant l'Ètre et le Néant, Sartre anime un cercle de résistants souvent réuni chez sa compagne, alors professeur au lycée Victor-Duruy. En 1943, elle quitte l’Université; fréquemment installée au café de Flore, futur haut lieu de la mode « existentialiste », elle travaille à un essai : Pyrrhus et Cinéas (1944).

 

Voici « les cloches de la Libération » et, du jour au lendemain, la célébrité. Dans l’esprit du public se produit un amalgame entre les tenants de la philosophie de l’existence (Sartre, Simone de Beauvoir, Camus), disciples de Husserl, Heidegger, Kierkegaard, et la foule des jeunes intellectuels ou jeunes tout court qui se presse aux terrasses des cafés et dans les caves (le Tabou, le Lorientais) de Saint-Germain-des-Prés. Ses amis sont alors Bost, Queneau, Leiris, Giacometti, Camus, Vian; elle se partage désormais entre des voyages à l’étranger — notamment aux Etats-Unis, où elle vit un grand amour (l'Amérique au jour le jour, 1948) — et la poursuite acharnée de son œuvre : théâtre (les Bouches inutiles, 1945), romans (le Sang des autres, 1945; Tous les hommes sont mortels, 1946), essai (Pour une morale de l'ambiguïté, 1947). En 1948, la revue les Temps modernes, dirigée par Sartre, publie le Deuxième Sexe, une étude sur la condition féminine; les bien-pensants de tous bords l’accueillent par un tollé général, compensé par un grand succès de librairie et une vaste et émouvante correspondance. En 1954, les Mandarins, roman qui évoque « certaines manières de vivre l’après-guerre », reçoivent le prix Goncourt.

 

Témoignant contre toutes les oppressions, le couple Sartre-Beauvoir parcourt le monde; en France, se situant résolument à gauche en dépit de relations houleuses avec le parti communiste, ils participent régulièrement aux manifestations dites alors antifascistes. Partisan de l’indépendance algérienne, Simone de Beauvoir publie, en collaboration avec Gisèle Halimi, un témoignage sur la torture : Djamila Boupacha (1962). Passionnément présente à son temps, l’essayiste n’en néglige pas des aspects plus frivoles (Brigitte Bardot et le syndrome de Lolita, 1960). A la découverte de continents entiers, parcourus lors de nombreux voyages, elle ajoute celle de la Chine, « le seul peuple sous-développé qui ait triomphé de la faim » (la Longue Marche, 1957). Puis paraissent les trois tomes d’une monumentale autobiographie, entreprise dès 1954 : les Mémoires d'une jeune fille rangée (1958), la Force de l'âge (1960), la Force des choses (1963), éphémérides d’une période s’étendant de la guerre de 1914 aux années 60, galerie de portraits, récit de voyages, réflexions philosophiques, roman d’amour; le succès est immense. Mais son chef-d’œuvre, selon Sartre, sera Une mort très douce (1964), récit de la dernière maladie de sa mère et, en même temps, méditation sur l’âge et sur la mort, thème qu’elle reprendra dans une étude sociologique, la Vieillesse (1970), complétée par un bilan personnel, Tout compte fait (1972). En 1980 s’abat l’épreuve la plus redoutée : la mort de Sartre, qui lui inspire la bouleversante Cérémonie des adieux (1981). Retirée, entourée de quelques amis, elle s’éteint au printemps 1986; ses Lettres à Sartre ont été publiées en 1990.

 

Un discours moral

 

L’apport de Simone de Beauvoir à la pensée existentialiste est sans doute le contenu moral qu'elle lui a constamment donné. Analysant les grands thèmes existentialistes dans la ligne de F Être et le Néant, ses textes théoriques (Pyrrhus et Cinéas, Pour une morale de F ambiguïté) sont d’abord des plaidoyers passionnés pour une liberté toujours en alerte dans une éthique de la responsabilité. Sous l’apparence de romans traditionnels, ses œuvres de fiction posent aussi dans les nouveaux concepts de l’existentialisme des problèmes de conduite. Il y est question du « salut », dont l’idée a survécu chez elle à la « disparition de Dieu » (Entretiens avec Francis Jeanson, 1966) : comment une conscience peut-elle échapper à l’anéantissement sous le regard d’autrui, c’est le problème de l'invitée, posé à l’échelle de la cité et dans la perspective de l’engagement politique par les Mandarins. D’où ces deux lectures possibles du roman beauvoirien, deux discours fondus en un seul, ce que le public ne perçoit pas toujours : les Mandarins ont été pris pour un roman à clefs, et le Sang des autres — une étude du décalage entre le sujet pour soi et son image pour les autres —, reçu comme une œuvre sur la Résistance.

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« Chine, « le seul peuple sous-développé qui ait triomphé de la faim» (la Longue Marche, 1957).

Puis paraissent les trois tomes d'une monumentale autobiographie, entreprise dès 1954 : les Mémoires d'une jeune fille ran­ gée (1958), 1a Force de l'âge (1960), la Force des choses (1963), éphémérides d'une période s'étendant de la guerre de 1914 aux années 60, galerie de portraits, récit de voyages, réflexions philosophiques, roman d'amour; le succès est immense.

Mais son chef-d'œuvre, selon Sartre, sera Une mort très douce (1964), récit de la der­ nière maladie de sa mère et, en même temps, méditation sur l'âge et sur la mort, thème qu'elle reprendra dans une étude sociologique, la Vieillesse ( 1970), complétée par un bilan personnel, Tout compte fait (1972).

En 1980 s'abat 1 'épreuve la plus redoutée : la mort de Sartre, qui lui inspire la bouleversante Cérémonie des adieux (1981 ).

Retirée, entourée de quelques amis, elle s'éteint au printemps 1986; ses Lettres à Sartre ont été publiées en 1990.

Un discours moral L'apport de Simone de Beauvoir à la pensée existen­ tialiste est sans doute le contenu moral qu'elle lui a constamment donné.

Analysar:!t les grands thèmes exis­ tentialistes dans la ligne de l'Etre et le Néant, ses textes théoriques (Pyrrhus et Cinéas, Pour une morale de l'am­ biguïté) sont d'abord des plaidoyers passionnés pour une liberté toujours en alerte dans une éthique de la responsa­ bilité.

Sous l'apparence de romans traditionnels, ses œuvres de fiction posent aussi dans les nouveaux concepts de l'existentialisme des problèmes de conduite.

Il y est question du «salut », dont l'idée a survécu chez elle à la «disparition de Dieu >> (Entretiens avec Francis Jeanson, 1966) : comment une conscience peut-elle échapper à J'anéantissement sous le regard d'autrui, c'est le problème de l'Invitée, posé à l'échelle de la cité et dans la perspective de J'engagement politique par les Mandarins.

D'où ces deux lectures possibles du roman beauvoirien, deux discours fondus en un seul, ce que le public ne perçoit pas toujours : les Mandarins ont été pris pour un roman à clefs, et le Sang des autres -une étude du décalage entre Je sujet pour soi et son image pour les autres -, reçu comme une œuvre sur la Résistance.

Peut-on cependant parler de romans à thèse? Simone de Beauvoir récuse cette classification : « Le roman à thèse impose une vérité qui éclipse toutes les autres et qui arrête la ronde infinie des contestations» (la Force des choses).

Or, ajoute-t-elle, «je ne propose pas de solution aux problèmes qui inquiètent mes héros ».

Dans ses romans, en effet, tout est agencé pour créer l'illusion de la liberté, celle des personnages et celle du lecteur.

Jamais d'intrusion d'auteur explicite, qui mette sur la voie d'une conclusion vers laquelle progresserait le récit.

Qui plus est, agités de passions, se débattant dans les dilemmes de J'action, les héros beauvoiriens ne ressem­ blent guère à d'inconsistants porte-parole.

Si une thèse se dégage cependant, elle surgit du refus même que l'auteur oppose à l'idée de thèse.

Un roman de Simone de Beau­ voir est d'abord une manière d'« accéder à l'être>> (Entretiens avec Francis Jeanson), de prendre la parole.

Puis de faire appel à la liberté d'autrui.

Il y a du prosély­ tisme dans ce projet : l'écrivain veut sauver aussi bien que se sauver, « rendre service >> à ses semblables enga­ gés comme lui dans 1' « entreprise de vivre »(ibid.).

Sous cet angle, les romans beauvoiriens se donnent comme des exercices théoriques proposés au lecteur pour aguer­ rir sa liberté.

Aux prises avec des situations ambiguës, dans un monde complexe, sous un ciel vide de toutes valeurs a priori, l'être moral du héros, voire son être tout court, est sans cesse mis en question.

Françoise est-elle le « traître » que Xavière voit en elle, ou une femme fidèle, aimant brièvement un autre homme dans la spon­ tanéité du désir (l'Invitée)? Henri est-il un homme de compromis? Un homme d'obstination et de courage (les Mandarins)? Au lecteur, au sujet libre d'en décider.

Simone de Beauvoir met un soin jaloux à ne pas imposer de sens, sinon celui du « non-sens>> : «aucune interpré­ tation définitive ne sera jamais donnée, car personne ne détient la vérité.

» Même si transp31ra'ît quelque antipa­ thie pour certains personnages -Elizabeth dans l'Invi­ tée, Paule dans les Mandarins, suspectes du crime suprême de« mauvaise foi>>-, l'intention s'affiche de dévoiler au lecteur un monde devant lequel, seul juge, il doit assumer la responsabilité de ses jugements.

Une écriture banalisée Mais ce discours moral ne fait pas éclater le discours romanesque.

Soumise aux « conventions traditionnel­ les >> (la Force de L'âge), Simone de Beauvoir se borne à acclimater dans le roman français quelques nouveautés empruntées au roman américain (Hammett, Hemingway) ou russe (Dostoïevski).

Sans affecter pour autant une narration strictement chronologique, le temps se fait durée intérieure des consciences invitées à dire le monde, « paysages, décors, objets», à travers leurs subjectivités.

Durée remplie d'événements dont l'enchaînement ne suit pas « les rapports univoques de causalité>> (la Force de l'âge), mais se produit dans la contingence, comme dans la vie.

Enfin, à l'exemple d'Hemingway, elle demande au dialogue de servir l'action en modifiant > discrets, des.

Pourquoi dès lors les remettre en question? La structure formelle des romans beauvoiriens répond à la visée d'un écrivain qui veut > (F.

Jeanson), assurer son propre salut et, par ricochet, celui des autres.

En conséquence, pointilleuse sur l'indé­ termination du sens, Simone de Beauvoir se garde au contraire de dresser entre elle et son lecteur l'obstacle de l'écriture.

Le seul problème proposé au public est, sans l'aide du moindre clin d'œil, ce jugement moral qu'il doit porter; une barrière stylistique le rendrait inutile­ ment plus difficile.

Montrer le monde, «interpeller» le lecteur dans la nudité de l'écriture, tel est le dessein qu'une narration par ai lieurs trop habile dessert parfois.

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