BEN JONSON
Publié le 02/09/2013
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1573 -1637
N'EÛT—IL été que le dramaturge, le poète, le prosateur, le pamphlétaire et le critique qu'il fut, Ben Jonson ne se différencierait guère de bon nombre de ses contemporains, et un Middleton, un Massinger, un Fletcher ou quelque autre ferait peut-être aujourd'hui — aussi justement, sinon plus justement — figure de « plus grand après Shakespeare «. Mais il s'est trouvé que, dès le début de sa carrière littéraire, les pédants de tous ordres reconnaissant en lui l'un des leurs, ce très estimable auteur de quatre excellentes comédies a pu sans trop d'efforts usurper à jamais la place de confrères plus ou aussi méritants, et devenir non seulement le premier dictateur littéraire et le premier poète lauréat de l'Angleterre, mais aussi et surtout l'un des grands noms de la littérature universelle...
Il avait, il le dit lui-même quelque part, une montagne pour ventre et, pour démarche, un disgracieux dandinement de l'arrière-train, et son portrait montre une face puissante, de vigou¬reuses mâchoires, des yeux enfoncés et durs, un cou de taureau tout couturé, paraît-il, par le scorbut. Voilà pour le physique...
Quant au moral, le poète écossais William Drummond, qui hébergea pendant un mois Ben Jonson au cours du dernier voyage que fit celui-ci — à pied, de Londres en Ecosse et vice versa, promenant sa bedaine humaniste de manoir en manoir — a laissé sur un hôte vraisem¬blablement quelque peu éprouvant, des notes dépourvues de tendresse mais qui sonnent singuliè¬rement juste. « Ben Jonson, écrit Drummond, était grand amoureux et louangeur de lui-même, plein de mépris et de dédain pour autrui, plus volontiers disposé à perdre un ami qu'à renoncer à un jeu de mots, jaloux de tout ce qui se faisait ou se disait autour de lui (surtout après avoir bu du vin, lequel était l'élément ordinaire de sa vie)... faisant peu de cas des qualités qu'il possédait et se vantant de celles qu'il n'avait pas... ne trouvant rien de bon que ce que lui ou ses amis ou ses compatriotes avaient fait... «
«
pièce créée pourtant au Globe, qui était le propre théâtre de Shakespeare.
« Notre poète, dit à
peu près Jonson en parlant de lui-même, n'est pas de ceux qui consentent, pour être joués, à
flatter les goûts du public dans ce qu'ils ont de plus hasardeux, ressuscitant par exemple, au
moyen de trois épées rouillées et de quelques mots longs d'un demi-pied ou d'un pied, les innom
brables querelles d'York et de Lancastre.
Et la pièce qu'il vous propose aujourd'hui est telle
que devraient être toutes les autres ...
»
Ce réactionnaire qui partait si hautainement en guerre contre les auteurs et les œuvres de
son temps, ce héraut du théâtre de cabinet n'était pourtant pas un rat de bibliothèque.
Né pro
bablement à Westminster, de neuf ans le cadet de Shakespeare, il fait de bonnes études, mais qu'il
doit interrompre, quand il est adolescent, au profit du métier de maçon qui était celui de son
beau-père.
Assez vite dégoûté du plâtre et de la truelle, il part pour les Pays-Bas, guerroyer contre
les Espagnols.
De retour à Londres, aux environs de 1592, il découvre que sa voie est au théâtre.
Comédien plus que médiocre, il gagne surtout sa vie en se livrant à de menus travaux de nègre :
collaborations obscures, rafistolage
de vieilles pièces.
Quelques années se passent ainsi, au bout
desquelles, s'étant pris de querelle avec un de ses camarades acteurs et l'ayant tué en duel, il est
jeté en prison et, pour échapper à la pendaison et recouvrer sa liberté, abjure le protestantisme
et devient catholique romain.
Cette conversion, qui sera suivie douze ans plus tard d'un retour
aussi sincère à la foi de ses pères, porte bonheur à Ben Jonson.
II connaît son premier succès
d'auteur avec la première version (sans prologue, bien entendu!) d' Every man in his humour.
A ce
moment-là, heureusement, toutes les positions sont déjà prises : Shakespeare, Beaumont, Dekker,
Chapman tiennent le haut du pavé, et le style élisabéthain est créé.
Heureusement pour le théâtre,
car Ben Jonson, élisabéthain par la naissance, l'humeur, la truculence, est prêt à s'opposer de
toutes ses forces, parce que tel est son goût et tel son tempérament, à la merveilleuse floraison
dramatique de son temps.
Et s'il ne réussit pas dans son œuvre de stérilisation, ce n'est pas faute
de s'y être employé de son mieux : Jonson, auteur comique, écrit dans le pur style de Plaute et
de Térence, respectant les trois unités et mettant en scène des caractères dans la tradition la plus
classique;
Jonson, auteur tragique, ne traite que des sujets antiques - un Séjan et un Catilina qui
n'auront, du reste, guère de succès.
Mais on ne vit pas impunément au contact d'un Shakespeare, pas plus qu'on ne respire
impunément l'air de la Londres élisabéthaine, et malgré Plaute et Sénèque, presque malgré
lui-même, Ben Jonson finit par écrire les quatre œuvres qui peuvent justifier la place qu'on
lui a donnée : Volpone ou le renard, Epicène ou la femme silencieuse, l' Alchimiste et la Foire de la Saint
Barthélemy, des comédies de haut goût où l'esprit d'observation n'atteint certes pas à celui d'un
Molière, mais qui sont toutes du meilleur théâtre.
Quant à ses autres pièces - le Diable est un âne, la Nouvelle auberge, le Conte du tonneau,
etc.
-elles ne valent pas grand-chose et il est permis de leur préférer n'importe lequel des
« masques » composés pour le roi Jacques Jer ...
Un génie, Ben Jonson? Non, certes pas.
Un écrivain de talent, oui, mais surtout un homme
de lettres dans toute l'acception du mot, et il n'est pas sans signification qu'il ait été le premier
auteur dramatique anglais à s'occuper lui-même de l'édition de ses œuvres complètes.
MICHEL ARNAUD
127.
»
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