Boris Vian - le poète engagé Une littérature est engagée lorsqu'elle exprime des prises de position et dénonce ce que l'écrivain considère comme des atteintes aux droits humains. La lecture des textes engagés fait apparaître dans ces circonstances, soit la participation réelle et physique des poètes, et donc leur expérience personnelle, soit des prises de positions qui ont pour objectif de dénoncer, de protester, mais aussi de convaincre. On a l'habitude de parler de « poésie engagée « pour évoquer les écrits de poètes engagés au service de la Résistance et qui se sont élevés contre l'Occupation de la France et contre la politique du Maréchal Pétain, au service de l'Allemagne nazie. Les Surréalistes notamment vont très vite s'opposer à la montée du fascisme et du nazisme et une grande partie d'entre eux vont s'engager au Partie communiste et dans la Résistance, comme Louis Aragon, Robert Desnos, Paul Eluard et beaucoup d'autres. Boris Vian, lui aussi, fait partie des poètes engagés, même si son engagement n'est pas de même ordre que celui de Aragon ou de Desnon. Toute poésie manifeste à sa manière un certain engagement de l'auteur ; Vian démontre le sien en négligeant la chose politique des fois, mais surtout en dénoncant les horreurs et l'absurdité de la guerre, et en chantant le joie et la beauté de la vie. Malheureusement, sa poésie est souvent ignorée et peu étudiée ; il est vrai que en regard de l'abondance de son ?uvre de romancier, la production poétique de Vian est mince, mais pas négligeable. Figure mythique du Paris d'après-guerre, Boris Vian a marqué la vie intellectuelle et artistique française d'une empreinte singulière. Atteint d'une maladie de c?ur dès l'adolescence, il semblait avoir souhaité vivre le plus intensément possible, multipliant les activités et les expériences. Son oeuvre se ressent de ce goût pour la vie, une vie menée à vive allure avant que la maladie ne le rattrape.Cet écrivain, poète, chanteur, musicien, disparu prématurément, a laissé derrière lui une ?uvre moderne et insolite, véritable patrimoine dont les générations suivantes n'ont cessé de s'inspirer. Chez Boris Vian se mêlent un individualisme farouche et un conformisme velléitaire. Voulant par-dessus tout entrer dans le monde littéraire, de préférence par la grande porte (Gallimard, le Prix de la Pléiade), il est l'auteur d'une ?uvre qui reste résolument en déça de ce monde « officiel « de la littérature, dans ce qu'il a de plus sérieux et intellectuel. En désavouant délibérément l'esprit de sérieux, Vian s'assure une position de franc-tireur et s'expose à la marginalité. Lui qui semble parfois se moquer de tout tiens pourtant le professionnalisme pour la plus grande des qualités. Son esprit de mathématicien et d'ingénieur l'amène à dénigrer les politiques, dont les discours ne sont que verbiages, mais aussi les journalistes, qui ne fond pas leur travail ou qui le fond mal. Contradiction, humour, excentricité, professionnalisme, jazz, éclectisme, sensualité, liberté, intelligence, antimilitarisme,indépendance d'esprit - tels sont les mots le plus souvent employés pour caractériser sa vie comme son ?uvre. Il importe de rappeler d'abord sa biographie, ainsi que les circonstances historiques et politiques contraignantes dans lesquelles s'est realisée sa vocation d'artiste. Boris Vian naît dans la région parisienne à Ville-d'Avray le 10 mars 1920. Cadet de sa famille, il grandit au milieu de trois frères et soeurs : Lélio, Alain et Ninon. Ses parents, Paul et Yvonne, élèvent leurs enfants dans une atmosphère joyeuse où culture et raffinement tiennent une large place. Toute la maison, augmentée d'amis et de voisins, s'adonne entre deux parties d'échecs, à la pratique des cadavres exquis, bouts-rimés et autres jongleries d'esprit ou exercices langagiers remis au goût du jour par les surréalistes. Paul Vian, rentier, enseigne à sa famille le respect des libertés et la méfiance de l'Eglise et de l'Armée. En 1929, la crise financière touche la famille qui quitte la villa les Fauvettes pour s'installer dans la maison du gardien. Mais pour les parents ce n'est qu'une simple contrainte, peut-être passagère ; ils doivent à leurs enfants de les protéger des rudesses de la vie. Ainsi il leur reste Landemer, l'autre paradis de la famille. Très tôt, Boris sait lire et écrire ; à 10 ans, les classiques de la littérature française n'ont plus de secret pour lui. Son premier recueil de poésie montre à quel point l'imprègnent les ?uvres de prédécesseurs tels que Victor Hugo, Théophile Gautier, Edmond Rostand, Henri de Régnier. A 12 ans, il connaît ses premiers problèmes cardiaques. Il ne cessera d'en souffrir. Adolescent, Boris est élève au lycée de Sèvres, au lycée Hoche de Versailles puis à Condorcet à Paris. Il prépare des études classiques caractérisées par l'étude des langues latine et grecque. Parallèlement, il apprend seul l'anglais. Elève brillant et cultivé, mais peut assidu, il passe un premier baccalauréat à 15 ans, puis un second lorsqu'il en a 17. Non seulement le jeune Boris maîtrise la langue française, la littérature et la manipulation des mots, mais il se passionne dès ses 16 ans pour la musique et en particulier le jazz, forme musicale encore peu écoutée en France. Il acquiert très vite une connaissance pointue du genre et devient membre du Hot Club de France. Il se met alors à la trompette à 17 ans. L'amour du jazz conditionne l'existence de Vian, qui deviens l'un de ses plus ardents défenseurs et de ses meilleurs critiques. Et le jazz informe aussi sa fiction, notamment les premiers textes. A la veille de la Guerre, Boris est un jeune homme qui partage son temps entre l'écriture, la musique et l'organisation de soirées mémorables dont il est un des piliers avec ses frères. Parfois jusqu'à 400 personnes se pressent dans la salle de bal construite au fond du jardin de la villa de Ville-d'Avray. Célèbre pour son sens de la fête et son goût du canular, il est maître des réjouissances en tous genres. En 1939, il évite la mobilisation en raison de sa santé défaillante et intègre l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures à Angoulême, où elle a déménagé pour cause de guerre. La moitié des élèves de première année ne rejoint même pas cette établissement. Mobilisée, depuis la fin de l'été. La guerre, Boris n'y comprend rien, il ne semble pas en prendre mesure. Plus tard, il reviendra avec stupeur sur se prodigieuse indifférence à la chose politique. Mais là, il en parle avec détachement et choque parfois ses camarades par ses pronostics logiques mais démoralisants. Il la traite en cérébral, et par l'absurde. Il semble l'aborder comme le jeu d'échecs. Des ravitaillements difficiles, des alertes, des copains au front. « J'avais vingt ans en quarante «, écrit il souvent. Tout est dans cette phrase. Mélancolie, regret d'une jeunesse passée dans un contexte aussi âpre, explication de son appetit de la vie, mais remords également d'avoir fait preuve d'autant de désinvolture. En fait, il vit l'Occupation comme beaucoup de jeunes gens de vingt ans dans l'agglomération parisienne - en tentant de la nier, en s'obstinant à penser à autre chose, par la recherche de mondes imaginaires, autant de manière d'échapper à l'oppression psychologique environnante et de se donner une chance d'attendre l'avenir. Avoir vingt ans en 1940 c'est se river à la jeunesse de ses artères et de ses rêves. A son Journal, il confiera la meurtrissure d'un souvenir qui aurait pu lui ouvrir les yeux : « Il faut demain que je p...