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BOSSUET - Éloquence de saint Paul

Publié le 04/05/2011

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bossuet

TEXTE COMMENTÉ

Éloquence de saint Paul (1659). N'attendez pas de l'Apôtre ni qu'il vienne flatter les oreilles par des cadences harmonieuses, ni qu'il veuille charmer les esprits par de vaines curiosités. Saint Paul rejette tous les artifices de la rhétorique. Son discours, bien loin de couler avec -cette douceur agréable, avec cette égalité tempérée que nous admirons dans les orateurs, paraît inégal et sans suite à ceux qui ne l'ont pas assez pénétré ; et les délicats de la terre, qui ont, disent- ils, les oreilles fines, sont offensés de la dureté de son style irrégulier. Mais, mes frères, n'en rougissons pas. Le discours de l'Apôtre est simple, mais ses pensées sont toutes divines. S'il ignore la rhétorique, s'il méprise la philosophie, Jésus-Christ lui tient lieu de tout ; et son nom qu'il a toujours à la bouche, ses mystères qu'il traite si divinement, rendront sa simplicité toute puissante. Il ira, cet ignorant dans l'art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l'étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs, et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d'églises que Platon n'y a gagné de disciples par cette éloquence qu'on a crue divine. Il prêchera Jésus dans Athènes, et le plus savant de ses sénateurs passera de l'Aréopage en l'école de ce barbare. -Il poussera encore plus loin ses conquêtes ; il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d'un proconsul, et il fera trembler dans leurs tribunaux les juges devant lesquels on le cite. Rome même entendra sa voix ; et un jour cette ville maîtresse se tiendra bien plus honorée d'une lettre du style de Paul, adressée à ses concitoyens, que de tant de fameuses harangues qu'elle a entendues de son Cicéron. Et d'où vient cela, chrétiens ? C'est que Paul a des moyens pour persuader que la Grèce n'enseigne pas, et que Rome n'a pas appris. Une puissance surnaturelle, qui se plaît à relever ce que les superbes méprisent, s'est répandue et mêlée dans l'auguste simplicité de ses paroles. De là vient que nous admirons dans ses. admirables Épîtres une certaine vertu plus qu'humaine, qui persuade contre 'les règles, ou plutôt quine persuade pas tant qu'elle captive les entendements ; qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au coeur. De même qu'on voit un grand fleuve qui retient encore, coulant dans la plaine, cette forme violente et impétueuse qu'il avait acquise aux montagnes d'où il tiré son origine; ainsi cette vertu céleste qui est contenue dans les écrits de saint. Paul, même dans cette simplicité de style, conserve toute la vigueur qu'elle apporte du ciel, d'où elle descend.

Jacques-Bénigne Bossuet, né à Dijon, le 27 septembre 1627, .prêcha d'abord à Metz, de 1652 à 1659, puis à Paris de 1659 à 1670. Nommé alors évêque de Condom, précepteur du Dauphin, fils de Louis XIV, il se consacra presque. exclusivement à ses fonctions pédagogiques. Il prononça ses principales oraisons funèbres de 1662 à 1687. Évêque de Meaux à partir de 1681, il publia son Discours sur l'Histoire universelle (1681), son Histoire des variations des Eglises protestantes (1688), ses Avertissements aux protestants (1689-91). Il engagea une vive « dispute « avec Fénelon, au sujet du quiétisme, et l'emporta. Ses dernières années furent occupées pat la controverse et par la prédication dans son diocèse. Il laissait en manuscrits les Sermons, les Méditations sur l'Évangile, etc. Bossuet est mort le 12 avril 1704.

bossuet

« Commentaire littéraire et grammatical.

— N'attendez pas de l'Apôtre...

Bossuet ne met pas au hasard, ou par soucid'élégance, l'Apôtre au lieu de saint Paul.

Ici, le mot Apôtre a la valeur d'une définition, et fait contraste avec flatteret charmer.— ...

Flatter les oreilles par des cadences harmonieuses...

charmer les esprits par de vaines curiosités...

Remarquerici la propriété, dans les termes eux-mêmes, et dans leur rapport.

Ce rapport est frappant quand on examinel'étymologie des mots : les cadences (cadere, tomber, temps marqué d'un rythme) s'adressent bien à l'oreille ; lescuriosités (curiositas, ce qui sollicite notre attention), à l'esprit; — harmonieuses convient à cadences, vaines(l'anus, vide) à curiosités,— charmer (charme, de carmen) est plus fort au dix-septième siècle que de nos jours; il ale sens de séduction, magique.

Cf.

CORNEILLE, Polyeucte : « Un je ne sais quel charme encor vers vous m'attire »;on dit : jeter un charme, rompre le charme, etc.— ...

Les artifices de la rhétorique.

La rhétorique est « l'art de bien dire » ; le mot peut être pris dans un sens,technique et favorable ; ici Bossuet envisage la rhétorique comme l'ensemble d'un certain nombre de procédés,d'artifices, destinés à suppléer à la vérité et à l'inspiration.

Mais il semble condamner (d'après l'ensemble dumorceau) la rhétorique tout entière.— Son discours...

Aujourd'hui, on désignerait ainsi tel discours particulier de saint Paul, et non sa façon de parler.Ici, le mot est pris au sens étymologique (discursus, course, marche, développement).

C'est ainsi qu'il fautl'entendre, sans lui donner un sens oratoire, dans les expressions: Discours sur l'histoire universelle, Discours de laméthode, les Discours de J.-J.

Rousseau, de Rivarol, etc...

-- Quelques lignes plus bas, Bossuet Reprend le motdiscours (le discours de l'Apôtre est simple...) et, cette fois, il lui donne encore un sens plus large encore, celui destyle.— La simplicité toute puissante.

Termes qui correspondent à la division annoncée par Bossuet.— Il ira, cet ignorant...

Ce futur, répété plus loin, donne à la période un mouvement oratoire à la fois naturel etpuissant.

Il suggère le geste et le ton.

Jusqu'à son Cicéron, c'est une suite de scènes et de tableaux.— Cette phrase qui sent l'étranger.

Saint Paul était Juif, et né à Tarse, en Cilicie.— Il ira en cette Grèce polie...

Remarquez avec quelle sûreté Bossuet, dans toute cette phrase, conduit l'antithèseentre l'éloquence païenne et l'éloquence chrétienne.

Voyez comme il accumule les circonstances qui devraienthumainement faire échouer saint Paul, et comme il oppose ironiquement les résultats des deux enseignements.— Il abattra aux pieds du Sauveur.

Encore un contraste fortement marqué entre abattra et la majesté des faisceauxrenversés.

Ce proconsul est Sergius Paulus.- Nouveau contraste entre fera trembler et cite.— Et un jour cette ville maîtresse...

Nous n'emploierions plus ce mot maîtresse en ce sens, sans un complémentdéterminatif.

Cette lettre est l'Épître de saint Paul aux Romains.— Son Cicéron.

Son veut dire : ce Cicéron qui est sien, dont elle tire tant de vanité.— Et d'où vient cela ? Le développement oratoire est d'une logique parfaite : Bossuet a exposé les résultats obtenuspar saint Paul.

Il en donne maintenant l'explication.— Vertu dans son sens latin de force intime.— Les entendements, terme philosophique pour les intelligences.— De même que...

Cette comparaison, d'une couleur toute-biblique, n'est pas un ornement.

Elle fait mieux saisir lamystérieuse puissance de l'éloquence d'un saint Paul.

— En remarquer la construction, et comme elle s'élargit, sesurcharge, puis se conclut sur le verbe attendu : d'où elle descend.. »

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