Je vais vous présenter un extrait de la Princesse de Clèves.
Publié le 05/04/2020
Extrait du document
«
l’occasion de dire la vérité sur un être ne semblent nous donner que la vérité de leur apparence, confondant l’être et le
paraître.
Dans ce monde où seul compte ce qui se voit, les femmes jouent un rôle de premier plan.
I.
Dans ce monde de galanterie et d’apparence, les femmes jouent un rôle de premier plan : de la ligne 97 à la ligne
105, la narratrice présente Nemours comme l’objet de toutes les convoitises galantes de la cour : le suffrage des
femmes, constituant le mérite des hommes, apparaît comme la vraie source de leur réputation et donc de leur
pouvoir.
De la ligne 97 à la l.
105, la narratrice ne considère plus que le « peuple des femmes » qui sont l’âme de la cour :
« aucune dame » l.
98, « elle » l.
99 ; « peu de celles » l.99 ; « plusieurs » (l.
100), « celles » l.
103 ; « plusieurs
maîtresses » l.
104, « celle » l.
105 les déterminants et les pronoms indéfinis confondent toutes ces femmes dans
une masse indistincte d’admiratrices qui paraissent en lutte pour le séduire.
Dans notre passage deux champs lexicaux dominent et se mêlent, de sorte qu’ils deviennent indissociables : le
lexique de l’amour et celui de la « gloire » : de la l.97 à la l.
99 : « gloire » et « flattée » sont associé à « attacher » ;
l.
99 à 102 « attacher » est associé à « se vanter », « passions » au verbe « témoigner » ainsi, l’amour apparaît
moins comme une affaire d’ordre privée que comme une joute public où se manifestent divers jeu de pouvoir et de
rivalité : rivalité des femmes entre elles (« aucune », « plusieurs », « peu de celles » etc.), rivalité des hommes et
des femmes où il s’agit de ne pas montrer son attachement et où l’on tire une gloire, non seulement de plaire, mais
de ne pas montrer que l’on aime : ainsi on pourrait se « vanter de lui avoir résisté » si on en avait la force ; la
puissance de Nemours est d’ailleurs telle qu’il renverse les codes qui veulent qu’une femme soit courtisée la
première : l.
100 « et même plusieurs à qui il n’avait point témoigné de passion, n’avaient pas laissé d’en avoir pour
lui ».
La galanterie est en effet un jeu de pouvoir comme le montre le vocabulaire emprunté à la lutte : « le voir attaché »
pourrait très bien se dire d’un prince guerrier qui cherche à « s’attacher » ou à soumettre un allié ; « résisté »,
« refuser » s’apparentent aussi à l’idée de lutte comme « tâcher de lui plaire » aux tentatives que l’on fait pour
séduire et gagner le cœur d’un homme ou d’une femme.
Plus loin « il était difficile de deviner » apparente encore
l’amour à une lutte diplomatique où l’on dissimule ses vrais desseins et où l’on use de dissimulation et de ruse.
On voit que l’amour est avant tout une affaire publique et sociale dans le fait que Nemours répond poliment à
l’amour que lui manifestent certaines femmes : l.
102 : « il avait tant de douceur et de disposition à la galanterie
qu’il ne pouvait refuser quelques soins à celles qui tâchaient de lui plaire » Nemours n’aime pas ces femmes,
mais ces dispositions à l’amour, c’est-à-dire son raffinement, sa parfaite politesse, le pousse à ne pas humilier des
femmes qui lui manifestent ainsi ostensiblement, publiquement leur amour s’il leur rend leur galanterie, c’est
par politesse et pour ne pas froisser ces femmes, manifestant ainsi son élégance.
Enfin, La dernière phrase de ce second mouvement, l.
104-105, souligne la dichotomie entre l’apparence et la
réalité : « ainsi il avait plusieurs maîtresses, mais il était difficile de deviner celle qu’il aimait véritablement » le
pluriel de « plusieurs maîtresses » désigne le jeu social de la galanterie et ce pluriel s’oppose au singulier de « celle
qu’il aimait véritablement » l’amour véritable est nécessairement unique et singulier.
La narratrice souligne
subtilement derrière l’adverbe « véritablement », placé en évidence à la fin de la phrase, ce que cette galanterie
peut avoir d’artificielle et de fausse.
L’expression « il était difficile de deviner », avec sa tournure impersonnelle et
donc collective, paraît typique d’un monde où d’une part chacun épie chacun et essaie d’interpréter les signes
presque imperceptibles de la vérité derrière les apparences ; et d’autre part, d’un monde où il apparaît primordial
de maîtriser les apparences et de ne pas laisser voir la réalité de ses sentiments.
Ce serait évidemment une faute
politique : marquer sa préférence pour une femme serait le meilleur moyen de se faire haïr de toutes : il faut donc
naviguer dans ces eaux dangereuses et continuer à faire croire à chacune qu’elle est aimée.
Enfin la mention du mystère autour de « celle qu’il aimait véritablement » annonce l’entrée en scène de Mme de
Clèves et l’intrigue du roman.
Les amours de Nemours sont un sujet d’interrogation pour tous les personnages de la
cour et la réponse à cette question constitue également un horizon d’attente pour le lecteur.
Autrement dit, Mme
de La Fayette, en créant une séparation entre ce que l’on voit mais n’est qu’apparence, et ce qui est mais reste
caché, crée autour de ce personnage du suspens.
La narratrice met donc au centre du portrait de Nemours ses relations avec les femmes : mais en ne le donnant à
voir que d’un point de vue externe, elle adopte en fait le point de vue de la cour qui ne perçoit que l’extériorité des
êtres : la cour apparaît donc comme un lieu où les êtres doivent être déchiffrés et interprétés, sujet de choix pour le
roman car l’interprétation est justement le propre de l’activité littéraire.
Plus tard, en nous permettant de pénétrer
l’intériorité des personnages, elle nous livrera l’accès à leur intériorité..
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