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CAZOTTE Jacques : sa vie et son oeuvre

Publié le 21/11/2018

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CAZOTTE Jacques (1719-1792). Réduite trop souvent au Diable amoureux, l’œuvre considérable de Cazotte apparaît en fait comme une exploration minutieuse des aspects, des ressources et des significations du surnaturel dans le récit : du merveilleux à l’allégorique, de la satire d’actualité à une certaine forme de mysticisme. Un jeu qui pourrait sembler par trop systématique, s’il ne manifestait l’évolution de l’homme lui-même : adversaire résolu des Lumières, cherchant sa voie entre la tradition et l’illuminisme, tenté peut-être de prendre enfin « au sérieux » ce qui n’était d’abord qu’un « rêve éclos de sa pensée » (Gérard de Nerval).
 
De l'ironie au « mysticisme »
 
Né à Dijon, élevé chez les jésuites de sa ville, Jacques Cazotte y eut pour condisciples le futur dramaturge Antoine Bret et Jean-François Rameau, le célèbre « neveu ». Arrivé à Paris en 1740, il se fit connaître par des contes pseudo-orientaux à la manière de Gueullette, la Patte du chat (1741) et les Mille et Une Fadaises (1742). Attaché à l’administration de la Marine, il fut envoyé en poste à la Martinique (1747-1759). Son séjour aux îles se termina tristement : persécuté par le gouverneur, victime de l’escroquerie du jésuite La Valette, il rentra en France pour s’installer à Pierry, près d’Eper-nay, et se consacrer à la littérature. Ollivier (1763), roman en douze chants, emprunte à la fois au « genre troubadour» et à la tradition d’Hamilton; le Lord impromptu (1767) mêle le surnaturel à la critique sociale; vient enfin son chef-d’œuvre, la courte nouvelle du Diable amoureux (1772).
 
Lors d’un congé, en 1753, Cazotte avait activement participé à la Querelle des Bouffons, publiant des Observations sur la lettre de Rousseau pour soutenir les partisans de la musique française. Après son retour, il était demeuré en contact avec la vie intellectuelle parisienne : ami de Fanny de Beauharnais, « nègre » occasionnel de Jean-François Rameau (la Nouvelle Raméide, 1766), collaborateur de Sedaine pour un opéra-comique, les Sabots (1770), mais toujours critique à l’égard des Lumières. Contre Voltaire, une Voltairiade (1741) sans tendresse, et un septième chant parodique ajouté à une œuvre du maître, la Guerre civile de Genève (1768). Contre les philosophes en général, l’ironie de la Patte du chat qui les ridiculise sous le nom de « camayeuls », puis une condamnation sans nuances : « Philosophe, c’est la plus grande injure qu’on puisse dire à un homme » (lettre à Roignan, 1792). La moquerie est devenue de la haine : entre-temps, Cazotte s’est découvert une tête politique, et a connu l’aventure de l’illuminisme.
 
D’après G. Décote, l’affiliation de Cazotte à la secte martiniste, ainsi nommée d’après ses fondateurs, Marti-nès de Pasqually et son disciple Saint-Martin, est nettement postérieure à l’époque du Diable amoureux; elle dura trois ans, entre 1778 et 1784. Peu attiré par la théur-gie, Cazotte adhère en revanche à cet humanisme ambigu des Élus Coëns, qui voit en l’homme la victime d’un Satan omniprésent dans ses derniers écrits, Rachel ou la Belle Juive (1778) et surtout la Continuation des Mille et Une Nuits (1788), contes inspirés de textes orientaux recueillis et traduits par le moine d’origine arabe Dom Denis Chavis. La faveur avec laquelle Saint-Martin accueille la Révolution, où il voit pour sa part l’influence du diable, conduit Cazotte à rompre avec la secte et à se moquer rétrospectivement des « empiriques » et des « sciences occultes ». Paradoxe : c’est après cette rupture qu’il sombre dans un véritable mysticisme politico-religieux (Correspondance mystique avec Laporte et Pouteau). Prêchant une contre-révolution fondée sur Dieu et le roi, il est arrêté après la découverte de lettres compromettantes et guillotiné. La célèbre « prophétie » de Cazotte détaillant, en 1788, les futurs massacres de la Terreur n’est qu’une légende fabriquée a posteriori par La Harpe. Mais elle montre à quel point l’auteur du Diable amoureux était devenu en son temps « une sorte de spécialiste mondain des esprits » (M. Milner).

« entre-temps, Cazotte s'est découvert une tête politique, et a connu l'aventure de l'illuminisme.

D'après G.

Décote, l'affiliation de Cazotte à la secte martiniste, ainsi nommée d'après ses fondateurs, Marti­ nès de Pasqually et son disciple Saint-Martin, est nette­ ment postérieure à l'époque du Diable amoureux; elle dura trois ans, entre 1778 et 1784.

Peu attiré par la théur­ gie, Cazotte adhère en revanche à cet humanisme ambigu des Élus Coëns, qui voit en l'homme la victime d'un Satan omniprésent dans ses derniers écrits, Rachel ou la Belle Juive (1778) et surtout la Continuation des Mille et Une Nuits (1788), contes inspirés de textes orientaux recueillis et traduits par le moine d'origine arabe Dom Denis Chavis.

La faveur avec laquelle Saint-Martin accueille la Révolution, où il voit pour sa part l'influence du diable, conduit Cazotte à rompre avec la secte et à se moquer rétrospectivement des «empiriques » et des « sciences occultes».

Paradoxe : c'est après cette rupture qu'il sombre dans un véritable mysticisme politico­ religieux (Correspondance mystique avec Laporte et Pouteau).

Prêchant une contre-révolution fondée sur Dieu et le roi, il est arrêté après la découverte de lettres compromettantes et guillotiné.

La célèbre « prophétie» de Cazotte détaillant, en 1788, les futurs massacres de la Terreur n'est qu'une légende fabriquée a posteriori par La Harpe.

Mais elle montre à quel point l'auteur du Diable amoureux était devenu en son temps « une sorte de spécialiste mondain des esprits » (M.

Milner).

Les métamorphoses du surnaturel L'œuvre de Cazotte trouve son unité dans un recours systématique au surnaturel; mais celui-ci change pro­ gressivement de nature.

Au départ, un projet satirique banal, qui utilise le merveilleux oriental pour dire de façon allégorique les ridicules du temps présent - « camayeuls )) [Philosophes] de la Patte du chat-, et où la réussite se mesure au degré de fantaisie et d'invention, comme cette étonnante bataille de meubles des Mille et Une Fadaises.

Du merveilleux au surhumain : avec Ollivier, Cazotte découvre le procédé du surnaturel expliqué.

Les croisades servant de toile de fond, deux mondes se juxtaposent : l'Orient maléfique et romanes ­ que parcouru par un paladin d'opérette; l'humanité vraie, où les apparitions diaboliques ne sont plus que des super­ cheries de brigands bien réels, et les prodiges du preux Ollivier, les simples manifestations d'un courage hors du commun.

Le surnaturel n'est-il qu'une illusion des sens? L'héroïne du Lord impromptu, déguisée en magi­ cienne, conduit son fils à la reconquête de son rang social : méthode d'éducation originale, par quoi l'élève se plie à une volonté supérieure (au point de se costumer en fille!) qui par chance est foncièrement bonne.

La mère, pour Cazotte, est la garante des traditions et des vertus familiales : on le verra dans le Diable amoureux.

Dangereuse fascination, pourtant, et docilité inquiétante, si le guide est moins sfir; témoin le Diable amoureux encore et son double, Rachel ou la Belle Juive : un roi d'Espagne oublie ses devoirs politiques et conjugaux dans les bras d'une séductrice diabolique.

Est-ce encore une allégorie couvrant une triste leçon de morale, ou sommes-nous déjà dans le fantastique, avec ces irrup­ tions soudaines de mystère et d'irrationnel? Cazotte, « un poète qui croit à sa fable », écrit Nerval dans les Illuminés.

Cela est sans doute vrai au temps de la Continuation des Mille et Une Nuits : Maugraby, magicien oriental, féconde les couples stériles pour s'emparer de leurs enfants; l'un d'eux, après une série d'épreuves et d'exploits, et avec l'aide de Mahomet, parviendra à rompre le charme.

L'apparence familière du démon Maugraby, «qui rôde autour de ceux qui lui paraissent mécontents», son habileté à exploiter les angoisses et les mesquineries humaines, ses attentions paternelles pour ses futures victimes, autant de preuves que cette « représentation du mal » qorrespond à « des convictions vécues» (M.

Milner).

Dans les interstices du romanesque oriental surgit un surnaturel authentique, et dangereux car il possède l'apparence banale du quoti­ dien.

Retour à l'Orient, mais comme révélateur et terre d'élection narrative d'un « Zatanaï » (Satan) difficile­ ment tenu à distance d'écriture.

L'auteur du Diable amoureux La gloire de Cazotte repose tout entière sur cette nou­ velle publiée avec succès en 1772 : « originale et neuve>>, juge alors l'Année littéraire.

Son grand mérite est d'offrir une pluralité de lecrures possibles, depuis l'allégorie vulgaire -écoutez votre maman et méfiez­ vous des aventurières -jusqu'au « surnaturalisme » décelé par Nerval et une tradition critique étonnée de découvrir chez l'auteur un savoir ésotérique aussi précis, en oubliant toutefois la vogue de la démonologie mon­ daine au xvm• siècle.

Le Diable amoureux, fantaisie de salon? P.-G.

Castex doute du «sérieux» de Cazotte, et ne lui reconnaît que «des mérites purement littéraires ».

La solution du problème est à chercher au-dehors de l'œuvre dans la biographie de Cazotte, voire dans la critique externe du texte : une première version, où une seconde partie détaillait les malheurs d' Alvare devenu suppôt de Satan; une première édition, où Alvare gardait son innocence et chassait Biondena (1772); enfin le texte définitif (1776), avec une chute finale à demi rêvée ...

qui nous installe dans une incertitude plus grande encore! Synopsis.

-Alvare.

jeune officier esp ag n ol au service du roi de Nap le s .

est initié à la cabale par un de ses camara­ des.

Un soir.

dans les rui ne s de Portici.

il invoque le démon.

Celui-ci lui apparaît sous la forme d"une horrible tête de chameau et lanc e un te rr if ia n t • Che vuoi?, Puis il se c ha n g e en ép ag neul.

e n je un e homme et enfin en une ra vis­ sa nte je u ne fe m me .

B io nde tta .

q ui.

« dég ui sé e » en pag e.

se met au service d"Aivare.

Celu i- c i.

de plu s en plus séduit p ar un être qui multiplie les preuves de sa « féminité» - larmes.

terreurs -au po in t de se laisser blesser par une rivale jalouse.

et qui lui laisse lïllusion de sa liberté.

est pourtant retenu par son sens de !"honneur et l'i m ag e de sa mère qui lui appara1t en songe, puis sous la forme d"une vision dans une église vénit ie n ne .

Il em m ène ra donc Bion­ d ett a en Esp agn e pour la pré se nte r à la pie us e Dona Men­ cia.

qui bénira leur union.

Irritation de Biondetta ...

Pendant le voyage.

ralenti par de mysté rie ux obstacles.

Alv a re demeure inébranlable malgré le s aga cerie s de Biondetta.

Décidément contraint de recourir à la sorc e ll e rie (et dès lors Alvare a gagné).

le démon suscite une ferme où le jeune homme succombe enfin.

tandis qu'apparaît à nou­ veau la tête de chameau.

Plus de Biondetta; arrivé chez sa mè re .

Alvare apprend que la myst érie use ferme n'existe pas.

Sa chute était-elle un rêve? Ainsi que to u te !"h is to ire ? Sorcellerie ou littérature? L • art de Cazotte consiste précisément à maintenir le lecteur dans le doute, ce qui est aussi un mérite littéraire ...

Biondetta, vraie femme et démon imaginaire, ou vrai démon et femme imaginaire? L'hésitation est entretenue par un jeu narratif- épisodes attestant la féminité de Biondetta, ou au contraire ses pouvoirs magiques -et stylistique : Biondetta, « la » femme, est parfois désignée par des fonctions qui la rejettent vers une masculinité démoniaque : « mon créan­ cier», « mon page».

Et cela jusqu'à la révélation finale, peut-être rêvée : «Je suis le Diable».

Alvare, de son côté, est pourvu de déterminations psychologiques contradictoires : soumis au «point d'honneur>> et à la tradition, mais également grisé par une dangereuse liberté soudain découverte, celle d'aimer à sa guise et de jouer avec le feu.

De toute façon, et quelle que soit la nature exacte de ces plaisirs défendus, le projet moral de Cazotte reste évident : mais la magie est assez discrète. »

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