CAZOTTE Jacques : sa vie et son oeuvre
Publié le 21/11/2018
Extrait du document
«
entre-temps,
Cazotte s'est découvert une tête politique,
et a connu l'aventure de l'illuminisme.
D'après G.
Décote, l'affiliation de Cazotte à la secte
martiniste, ainsi nommée d'après ses fondateurs, Marti
nès de Pasqually et son disciple Saint-Martin, est nette
ment postérieure à l'époque du Diable amoureux; elle
dura trois ans, entre 1778 et 1784.
Peu attiré par la théur
gie, Cazotte adhère en revanche à cet humanisme ambigu
des Élus Coëns, qui voit en l'homme la victime d'un
Satan omniprésent dans ses derniers écrits, Rachel ou la
Belle Juive (1778) et surtout la Continuation des Mille
et Une Nuits (1788), contes inspirés de textes orientaux
recueillis et traduits par le moine d'origine arabe Dom
Denis Chavis.
La faveur avec laquelle Saint-Martin
accueille la Révolution, où il voit pour sa part l'influence
du diable, conduit Cazotte à rompre avec la secte et à
se moquer rétrospectivement des «empiriques » et des
« sciences occultes».
Paradoxe : c'est après cette rupture
qu'il sombre dans un véritable mysticisme politico
religieux (Correspondance mystique avec Laporte et
Pouteau).
Prêchant une contre-révolution fondée sur
Dieu et le roi, il est arrêté après la découverte de lettres
compromettantes et guillotiné.
La célèbre « prophétie»
de Cazotte détaillant, en 1788, les futurs massacres de la
Terreur n'est qu'une légende fabriquée a posteriori par
La Harpe.
Mais elle montre à quel point l'auteur du
Diable amoureux était devenu en son temps « une sorte
de spécialiste mondain des esprits » (M.
Milner).
Les métamorphoses du surnaturel
L'œuvre de Cazotte trouve son unité dans un recours
systématique au surnaturel; mais celui-ci change pro
gressivement de nature.
Au départ, un projet satirique
banal, qui utilise le merveilleux oriental pour dire de
façon allégorique les ridicules du temps présent -
« camayeuls )) [Philosophes] de la Patte du chat-, et où
la réussite se mesure au degré de fantaisie et d'invention,
comme cette étonnante bataille de meubles des Mille
et Une Fadaises.
Du merveilleux au surhumain : avec
Ollivier, Cazotte découvre le procédé du surnaturel
expliqué.
Les croisades servant de toile de fond, deux
mondes se juxtaposent : l'Orient maléfique et romanes
que parcouru par un paladin d'opérette; l'humanité vraie,
où les apparitions diaboliques ne sont plus que des super
cheries de brigands bien réels, et les prodiges du preux
Ollivier, les simples manifestations d'un courage hors
du commun.
Le surnaturel n'est-il qu'une illusion des
sens? L'héroïne du Lord impromptu, déguisée en magi
cienne, conduit son fils à la reconquête de son rang
social : méthode d'éducation originale, par quoi l'élève
se plie à une volonté supérieure (au point de se costumer
en fille!) qui par chance est foncièrement bonne.
La
mère, pour Cazotte, est la garante des traditions et des
vertus familiales : on le verra dans le Diable amoureux.
Dangereuse fascination, pourtant, et docilité inquiétante,
si le guide est moins sfir; témoin le Diable amoureux
encore et son double, Rachel ou la Belle Juive : un roi
d'Espagne oublie ses devoirs politiques et conjugaux
dans les bras d'une séductrice diabolique.
Est-ce encore
une allégorie couvrant une triste leçon de morale, ou
sommes-nous déjà dans le fantastique, avec ces irrup
tions soudaines de mystère et d'irrationnel?
Cazotte, « un poète qui croit à sa fable », écrit Nerval
dans les Illuminés.
Cela est sans doute vrai au temps
de la Continuation des Mille et Une Nuits : Maugraby,
magicien oriental, féconde les couples stériles pour
s'emparer de leurs enfants; l'un d'eux, après une série
d'épreuves et d'exploits, et avec l'aide de Mahomet,
parviendra à rompre le charme.
L'apparence familière
du démon Maugraby, «qui rôde autour de ceux qui lui
paraissent mécontents», son habileté à exploiter les angoisses
et les mesquineries humaines, ses attentions
paternelles pour ses futures victimes, autant de preuves
que cette « représentation du mal » qorrespond à « des
convictions vécues» (M.
Milner).
Dans les interstices du
romanesque oriental surgit un surnaturel authentique, et
dangereux car il possède l'apparence banale du quoti
dien.
Retour à l'Orient, mais comme révélateur et terre
d'élection narrative d'un « Zatanaï » (Satan) difficile
ment tenu à distance d'écriture.
L'auteur du Diable amoureux
La gloire de Cazotte repose tout entière sur cette nou
velle publiée avec succès en 1772 : « originale et
neuve>>, juge alors l'Année littéraire.
Son grand mérite
est d'offrir une pluralité de lecrures possibles, depuis
l'allégorie vulgaire -écoutez votre maman et méfiez
vous des aventurières -jusqu'au « surnaturalisme »
décelé par Nerval et une tradition critique étonnée de
découvrir chez l'auteur un savoir ésotérique aussi précis,
en oubliant toutefois la vogue de la démonologie mon
daine au xvm• siècle.
Le Diable amoureux, fantaisie de
salon? P.-G.
Castex doute du «sérieux» de Cazotte, et
ne lui reconnaît que «des mérites purement littéraires ».
La solution du problème est à chercher au-dehors de
l'œuvre dans la biographie de Cazotte, voire dans la
critique externe du texte : une première version, où une
seconde partie détaillait les malheurs d' Alvare devenu
suppôt de Satan; une première édition, où Alvare gardait
son innocence et chassait Biondena (1772); enfin le texte
définitif (1776), avec une chute finale à demi rêvée ...
qui
nous installe dans une incertitude plus grande encore!
Synopsis.
-Alvare.
jeune officier esp ag n ol au service
du roi de Nap le s .
est initié à la cabale par un de ses camara
des.
Un soir.
dans les rui ne s de Portici.
il invoque le démon.
Celui-ci lui apparaît sous la forme d"une horrible tête de
chameau et lanc e un te rr if ia n t • Che vuoi?, Puis il se
c ha n g e en ép ag neul.
e n je un e homme et enfin en une ra vis
sa nte je u ne fe m me .
B io nde tta .
q ui.
« dég ui sé e » en pag e.
se met au service d"Aivare.
Celu i- c i.
de plu s en plus séduit
p ar un être qui multiplie les preuves de sa « féminité» -
larmes.
terreurs -au po in t de se laisser blesser par une
rivale jalouse.
et qui lui laisse lïllusion de sa liberté.
est
pourtant retenu par son sens de !"honneur et l'i m ag e de sa
mère qui lui appara1t en songe, puis sous la forme d"une
vision dans une église vénit ie n ne .
Il em m ène ra donc Bion
d ett a en Esp agn e pour la pré se nte r à la pie us e Dona Men
cia.
qui bénira leur union.
Irritation de Biondetta ...
Pendant
le voyage.
ralenti par de mysté rie ux obstacles.
Alv a re
demeure inébranlable malgré le s aga cerie s de Biondetta.
Décidément contraint de recourir à la sorc e ll e rie (et dès
lors Alvare a gagné).
le démon suscite une ferme où le
jeune homme succombe enfin.
tandis qu'apparaît à nou
veau la tête de chameau.
Plus de Biondetta; arrivé chez sa
mè re .
Alvare apprend que la myst érie use ferme n'existe
pas.
Sa chute était-elle un rêve? Ainsi que to u te !"h is to ire ?
Sorcellerie ou littérature? L • art de Cazotte consiste
précisément à maintenir le lecteur dans le doute, ce qui
est aussi un mérite littéraire ...
Biondetta, vraie femme et
démon imaginaire, ou vrai démon et femme imaginaire?
L'hésitation est entretenue par un jeu narratif- épisodes
attestant la féminité de Biondetta, ou au contraire ses
pouvoirs magiques -et stylistique : Biondetta, « la »
femme, est parfois désignée par des fonctions qui la
rejettent vers une masculinité démoniaque : « mon créan
cier», « mon page».
Et cela jusqu'à la révélation finale,
peut-être rêvée : «Je suis le Diable».
Alvare, de son
côté, est pourvu de déterminations psychologiques
contradictoires : soumis au «point d'honneur>> et à la
tradition, mais également grisé par une dangereuse
liberté soudain découverte, celle d'aimer à sa guise et de
jouer avec le feu.
De toute façon, et quelle que soit la
nature exacte de ces plaisirs défendus, le projet moral de
Cazotte reste évident : mais la magie est assez discrète.
»
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