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CÉSAIRE Aimé : sa vie et son oeuvre

Publié le 21/11/2018

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CÉSAIRE Aimé (né en 1913). « Eh bien, ce nègre noir connaissait la langue française mieux qu’un gros dictionnaire où il était capable d’un coup d’œil de repérer les fautes. On disait qu’il pouvait te parler en français sans même que tu comprennes la moitié d’une parole, qu’il savait tout de la poésie, de l’Histoire, de la Grèce, de Rome, des humanités latines, des philosophes, bref qu’il était plus savant, plus lettré que le plus mapipi des blancs-france. Il pratiquait, disait-on, une étrange poésie, sans rime ni mesure; il se déclarait nègre et semblait fier de l’être [...] ». C’est avec humour et tendresse que, se faisant l’écho des propos de l’instituteur haïtien Alcibiade, Marie-Sophie, l’« Informatrice » du « Marqueur de paroles » Patrick Chamoiseau dans Texaco (prix Concourt 1992), évoque la figure magique d’Aimé Césaire, le maire de Fort-de-France qui défend les parias contre l'« En ville » et les officiels. Ce portrait témoigne bien de l’aura dont bénéficie encore « Papa Césaire » — constamment réélu à la mairie de Fort-de-France depuis 1945 — dans le peuple martiniquais et chez les intellectuels, malgré les critiques qui se font entendre, depuis les années 1970, contre l’idéologie de la « négritude », dont Césaire a été l’instigateur, avec Senghor et Damas. Il cerne bien, en outre, la double face de Janus de l’écrivain — qui porte la culture occidentale à son comble, et qui, simultanément défend, revendique haut et fort son « identité noire ».
 
De cette « double postulation » — assomption de l’héritage occidental et de la poésie française, plongée vers les racines africaines, avant la déportation des esclaves — témoigne l’itinéraire d’Aimé Césaire. Fils de fonctionnaire, petit-fils d’instituteur, élevé dans la dévotion pour les classiques français — Hugo, en particulier —, brillant élève boursier à Fort-de-France, appelé à poursuivre ses études à Paris, au lycée Louis-le-Grand, où il rencontre Léopold Sédar Senghor, puis à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1935, Césaire, pur produit de l’école de Jules Ferry, à son tour devenu professeur au lycée Victor-Schoelcher à partir de 1946, est destiné à former l’élite de la future intelligentsia martiniquaise : Frantz Fanon, Édouard Glissant comptent parmi ses anciens élèves, à qui il transmet le meilleur de l’héritage français — Rimbaud, Lautréamont, Claudel, Péguy. Mais Aimé Césaire est aussi le lointain descendant d’un esclave révolté, condamné à mort en 1833, l’auteur du plus violent pamphlet jamais adressé au colonialisme — le Discours sur le colonialisme (1955) —, de l’hommage érudit à Toussaint Louverture (1961), à Victor Schoel-cher (1948) et de nombreux discours prononcés, comme député-maire, contre la politique coloniale de la France : « Le pire, c’es: qu’il se montrait ingrat en dénonçant le colonialisme. Lui, à qui la France avait appris à lire, enseigné l’écriture, se disait africain et le revendiquait », se lamente Alcibiade, le colonisé, dans Texaco.
 
« amoureux des cultures, de toutes les cultures »
 
L'appartenance à la tradition poétique française, mais aussi, plus largement, occidentale — de la tragédie eschyléenne et shakespearienne jusqu’au surréalisme — est clairement attestée dès les premières œuvres. Le Cahier d'un retour au pays natal (1939), paru à la veille de la guerre et promis à une immense fortune, notamment en Afrique, participe en effet directement d’une poétique inspirée de Lautréamont et de Rimbaud, bien plus que d’hypothétiques images et rythmes « africains » (même
 
si Rimbaud se voulait «nègre» et «barbare»), ainsi qu'on a pu l’écrire. Revenu dans son île natale, le récitant accable la « ville inerte », la « foule criarde » de la « négraille », vouée aux lèpres et aux famines, d’une satire violente dont la rhétorique dépréciative, qui se complaît dans le registre physiologique, évoque directement les Chants de Maldoror. Mais, comme Une saison en enfer, autre grande référence pour Césaire, le Cahier est aussi le récit — épique, ainsi que le montre le recours aux procédés stylistiques de l’oralité (répétitions, parallélismes, parataxe, etc.) — d’une expérience spirituelle, signifiée par les allusions, voire les références à l’Ancien Testament — d’une double « conversion », à la poésie et à la « négritude », dont le vocable entre ici, pour la première fois, en littérature. Après avoir fait retentir le « cri » qui monte de la cale du négrier, ainsi que l’écrira Édouard Glissant, à la faveur d’une anamnèse collective, le poète, qui s’identifie à ses ancêtres déportés, prend en charge leur humiliation, qu’il retourne en liberté. Du pamphlet, le poème, libéré des complexes des anciens esclaves, s’élève en effet graduellement jusqu’à l’éloge de la « négritude », symbolisée par la « colombe » : « J’accepte... j’accepte... entièrement, sans réserve.../ma race qu'aucune ablution d’hysope et de lys mêlés/ne pourrait purifier. » Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce thème de la « négritude », d’abord simplement acceptée, puis revendiquée, qui devait assurer la célébrité de Césaire dans le monde entier, naît encore d’un regard occidental sur l'Afrique mythique, porté pour la première fois par les écrivains américains de la Renaissance de Harlem (Langston Hughes, Claude McKay, Countee Cullen), que Césaire avait découverts à Paris, avec ses amis antillais et africains réunis autour de T Étudiant noir. Césaire et Senghor, dans les années 1930, lisaient en outre assidûment les ethnologues européens — Maurice Delafosse, Léo Frobenius, et plus tard Marcel Griaule — qui, sous l’influence du bergsonisme ambiant, dénonçaient les préjugés arrogants du rationalisme occidental, « hamitique », et, au contraire, valorisaient la civilisation « éthiopique », où l’homme vit en harmonie avec la nature. L’opposition de la sensibilité de l’« âme africaine » à la « raison hellène » et à la technologie occidentale — reprise par Césaire et Senghor — participe bien, en un sens, de la crise des valeurs analysée par Oswald Spengler dans le Déclin de l'Occident, que les deux étudiants lisaient à la même époque. La quête des origines africaines ne pouvait que rencontrer celle, « primitiviste », des surréalistes. Et c’est Breton, sur le chemin de l’exil vers les États-Unis, en 1941, qui, découvrant Césaire à Fort-de-France, le fait connaître, en Amérique d’abord, puis en France, préfaçant les nouvelles éditions du Cahier qui paraissent à New York et à Paris en 1947 : Césaire est devenu « un grand poète noir » — l’« Orphée noir» célébré par Sartre dans sa préface à VAnthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française publiée par Senghor en 1948.
 
Le surréalisme,
 
« [...] l'ambition poétique elle-même »
 
C’est précisément sous le signe du surréalisme qu’est placé le recueil poétique les Armes miraculeuses (1946), auquel s’adjoint le poème tragique Et les chiens se taisaient, adapté pour le théâtre en 1956, à l’occasion d’une mise en scène de Janheinz Jahn. Césaire reprend alors des poèmes publiés dans la revue Tropiques, qu’il anima à Fort-de-France à partir de 1941, aux côtés de René Ménil, d’Aristide Maugée et de Suzanne, son épouse. Si quelques-uns des grands poèmes des Armes miraculeuses
 
— « les Pur-sangs », « Avis de tir », « Tam-tam de nuit »
 
— s’apparentent étroitement aux textes surréalistes en raison du flot « automatique » des images, il faut moins parler, à leur propos, d’influence surréaliste — même si Césaire avait côtoyé à Paris, avec réserve il est vrai, le groupe Légitime Défense, d’obédience surréaliste —, que de rencontre, via précisément Lautréamont et Rimbaud. Pareille profusion des images se retrouve dans les recueils suivants — Soleil cou coupé (1947), au titre apollinarien, Corps perdu (1950) —, et des voix se sont élevées, aux Antilles, pour stigmatiser l’hermétisme d’une écriture qu’on voulait militante. Ferrements (1960) et Cadastre (1961), qui reprennent ces derniers poèmes en les « simplifiant » pour rendre plus accessible la portée idéologique, constituent, de ce point de vue, un véritable reniement, qu’explique en partie l’engagement politique de Césaire, d’abord membre du parti communiste, animateur depuis 1958 du Parti progressiste martiniquais. Mais la richesse du vocabulaire savant dans les Armes (qui peut évoquer celle du « béké » guadeloupéen Saint-John Perse), renvoyant à la flore, à la zoologie, à la géographie antillaises, marque aussi, paradoxalement, le désir d’enracinement — non pas finalement dans l’Afrique mythique, que Césaire ne connaît alors guère qu’à travers l'Histoire de la civilisation africaine de Léo Frobenius, traduite en 1935 et citée dans Tropiques, mais bien dans la Caraïbe. La violence sacrificielle des rites primitifs — « chair riche aux dents copeaux de chair sûre/volez en éclats de jour en éclats de nuit en baisers de vent... » —, annoncée par le titre des Armes, est rapportée à la mythologie grecque dans le drame Et les chiens se taisaient. Césaire s’y inspire de Naissance de la tragédie de Nietzsche, consacrant « la revanche de Dionysos sur Apollon », dans une réécriture de la tragédie grecque. Le thème de la « négritude » est ici en quelque sorte mis en fiction sous le masque du Rebelle, esclave « marron » qui a tué son maître, agonisant dans sa geôle, sous les accusations du chœur noir qui, par lâcheté, n’a pas mis à profit son sacrifice. « Métissée » avec le Prométhée d’Eschyle, s’esquisse la figure christi-que qui ne cessera de hanter le théâtre de Césaire, conjuguant la triple influence biblique, grecque et shakespearienne.


« -- parler, à leur propos, d'influence surréaliste- même si Césaire avait côtoyé à Paris, avec réserve il est vrai, le groupe Légitime Défense, d'obédience surréaliste-, que de rencontre, via précisément Lautréamont et Rimbaud.

Pareille profusion des images se retrouve dans les recueils suivants -Soleil cou coupé (1947), au titre apollinarien, Corps perdu (1950) -,et des voix se sont élevées, aux Antilles, pour stigmatiser l'hermétisme d'une écriture qu'on voulait militante.

Ferrements ( 1960) et Cadastre ( 1961 ), qui reprennent ces derniers poèmes en les « simplifiant » pour rendre plus accessible la portée idéologique, constituent, de ce point de vue.

un véritable reniement, qu'explique en partie l'engagement politique de Césaire, d'abord membre du parti commu­ niste, animateur depuis 1958 du Parti progressiste marti­ niquais.

Mais la richesse du vocabulaire savant dans les Armes (qui peut évoquer celle du «béké» guadeloupéen Saint-John Perse), renvoyant à la flore, à la zoologie, à la géographie antillaises, marque aussi, paradoxalement, le désir d'enracinement -non pas finalement dans l'Afrique mythique, que Césaire ne connaît alors guère qu'à travers l'Histoire de la civilisation africaine de Léo Frobenius, traduite en 1935 et citée dans Tropiques, mais bien dans la Caraïbe.

La violence sacrificielle des rites primitifs -«chair riche aux dents copeaux de chair sûre/volez en éclats de jour en éclats de nuit en baisers de vent...

» -, annoncée par le titre des Armes, est rap­ portée à la mythologie grecque dans le drame Et les chiens se taisaient.

Césaire s'y inspire de Naissance de la tragédie de Nietzsche, consacrant «la revanche de Dionysos sur Apollon », dans une réécriture de la tragé­ die grecque.

Le thème de la« négritude » est ici en quel­ que sorte mis en fiction sous le masque du Rebelle, esclave «marron» qui a tué son maître, agonisant dans sa geôle, sous les accusations du chœur noir qui, par lâcheté, n'a pas mis à profit son sacrifice.

«Métissée» avec le Prométhée d'Eschyle, s'esquisse la figure christi­ que qui ne cessera de hanter le théâtre de Césaire, conju­ guant la triple influence biblique, grecque et shakes­ pearienne.

Les pièces de théâtre, cc [ ••• ] des départements de la poésie ,.

Lorsque, sous l'impulsion d'Antoine Vitez, la Tragé­ die du roi Christophe ( 1963) est entrée au répertoire de la Comédie-Française, en 1991, le parti adopté par le metteur en scène burkinabé Ouedraogo de faire jouer des acteurs blancs a été violemment critiqué.

Il était certes légitime d'invoquer la mémorable création de la pièce par Jean-Marie Serreau au festival de Salzbourg, en 1964, avec une troupe d'acteurs noirs.

Mais c'était, en un sens, dénier l'universalité de l'œuvre voulue par Vitez - et, sans doute, par l'auteur lui-même.

Césaire repré­ sente un épisode de l'histoire d'Haïti, après l'insurrec­ tion de Toussaint Louverture : J'ascension, puis la chute de Christophe, ancien esclave cuisinier, devenu président de la jeune république haïtienne, qui se fait sacrer roi, mais est abandonné par son peuple alors qu'illui assigne le projet titanesque de construire une cidatelle « inexpu­ gnable», afin de le mobiliser et de lutter contre son indolence naturelle.

L'allégorie était transparente, et les dirigeants des jeunes États indépendants du tiers-monde ont saisi la portée politique de l'avertissement.

Mais malgré les références à la culture antillaise -le combat de coqs du prologue, le patois «créolisant >> des paysans, les chansons créoles du bouffon Hugonin -et, surtout, le rêve du roi paralysé de retrouver, dans la mort, la forêt et le fleuve Congo de ses ancêtres africains et le dieu Shango, la tonalité de la pièce est d'abord éminemment shakespearienne.

L'« attentat du Destin », la « Fortune envieuse >> fauche en effet les ambitions politiques de ce héros de la négritude, comme dans Macbeth.

Le constant mélange des genres -Césaire relisant Shakespeare à travers Hugo-permet d'allier la farce à la tragédie, le lyrisme à la satire, et de parvenir à une polyphonie des styles qui contraste avec le sublime soutenu de Et les chiens se taisaient.

Tout autant que des affres du pou­ voir, cette tragédie est l'allégorie de la création poétique, comme le suggère l'obsession de la «forme>> qui hante Christophe, « avec ses formidables mains de potier, pétrissant l'argile haïtienne>>.

C'est bien pour avoir voulu, dans sa démesure, infléchir le cours de l'Histoire -q uitte à rebaptiser les anciens esclaves et à les affubler de titres de noblesse ridicules-que Christophe s'effon­ dre, >, le théâtre voué à la négri­ tude doive passer par les formes occidentales -eschy­ léennes, shakespeariennes, mais aussi brechtiennes pour Une saison au Congo (1966).

Césaire fait ici l'économie de l'allégorie, puisqu'il fonde sa pièce sur l'histoire récente de l'indépendance du Congo belge, et sur l'assas­ sinat de Patrice Lumumba, victime de son ami « Mokutu >> et de la complicité de l'ONU, qui trompe son secrétaire général, Hammarskjtlld.

Le peuple zaïrois est présent sur la scène grâce au joueur de sanza, et le dramaturge recourt à différents procédés de distanciation (prologue du bonimenteur, écriteaux, didascalies préci­ ses, etc.) qui soulignent la dimension épique du combat politique de ce héros authentiquement populaire, qui s'identifie à sa patrie, le Congo, et à l'Afrique.

Comme pour le Rebelle et, de manière plus ironique, pour Chris­ tophe, Patrice est présenté comme un « Messie» dont la pièce retrace, en somme, la Passion.

Mais il faut se gar­ der de la réduire à sa portée politique car, à sa manière, Patrice Lumumba est encore -comme Christophe - « poète par le verbe [ ...

], la puissance magique du verbe, la puissance du nommo, le verbe créateur>>.

L'art ora­ toire du chef charismatique rejoint alors celui du poète, et mainte scène de la Saison s'infléchit vers la poésie, retrouvant, une fois encore, des inflexions shakespea­ riennes.

La Saison montre ainsi Je lien profond, dans l'œuvre de Césaire, entre le Discours sur le colonialisme, l'éloquence pamphlétaire tonitruant dès le Cahier, et la poésie lyrique, également vouée au combat par ses « armes miraculeuses » à la valeur performative.

«Je n'ai pour arme que ma parole, je parle et j'éveille [ ..

.

].

Je parle, et je rends 1' Afrique au monde! >>, s'écrie Patrice Lumumba.

On peut certes rattacher pareille conception à celle du nommo africain, étudié par Marcel Griaule chez les Dogons, ainsi que l'a fait Césaire lui-même; mais il faut aussi la rapprocher du Verbe johannique, dont le poète, « proférant de chaque chose le nom » selon Clau­ del, également admiré par Césaire, retrouve la puissance procréatrice : «Au commencement était le verbe ...

Jamais homme ne l'a cru plus fortement que le poète>>.

Césaire, prônant en Afrique un théâtre « total >> qui se distingue du théâtre européen par une « symbiose » de tous les arts, perpétue l'idéal wagnérien, repris par Nietzsche et par Claudel, de l'« Œuvre total ».

cc Une noueuse unité primitive ,.

Césaire n'a pas renoncé à la poésie, après le succès à travers le monde de la Tragédie, de la Saison et d'Une tempête.

Non seulement parce que ces pilèces, marquées par Shakespeare, Nietzsche et Claudel tout autant que par Brecht, relèvent de plein droit du « théâtre poéti-. »

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