CÉSAIRE Aimé : sa vie et son oeuvre
Publié le 21/11/2018
Extrait du document
«
-- parler,
à leur propos, d'influence surréaliste- même si
Césaire avait côtoyé à Paris, avec réserve il est vrai, le
groupe Légitime Défense, d'obédience surréaliste-, que
de rencontre, via précisément Lautréamont et Rimbaud.
Pareille profusion des images se retrouve dans les
recueils suivants -Soleil cou coupé (1947), au titre
apollinarien, Corps perdu (1950) -,et des voix se sont
élevées, aux Antilles, pour stigmatiser l'hermétisme
d'une écriture qu'on voulait militante.
Ferrements
( 1960) et Cadastre ( 1961 ), qui reprennent ces derniers
poèmes en les « simplifiant » pour rendre plus accessible
la portée idéologique, constituent, de ce point de vue.
un
véritable reniement, qu'explique en partie l'engagement
politique de Césaire, d'abord membre du parti commu
niste, animateur depuis 1958 du Parti progressiste marti
niquais.
Mais la richesse du vocabulaire savant dans les
Armes (qui peut évoquer celle du «béké» guadeloupéen
Saint-John Perse), renvoyant à la flore, à la zoologie, à
la géographie antillaises, marque aussi, paradoxalement,
le désir d'enracinement -non pas finalement dans
l'Afrique mythique, que Césaire ne connaît alors guère
qu'à travers l'Histoire de la civilisation africaine de Léo
Frobenius, traduite en 1935 et citée dans Tropiques, mais
bien dans la Caraïbe.
La violence sacrificielle des rites
primitifs -«chair riche aux dents copeaux de chair
sûre/volez en éclats de jour en éclats de nuit en baisers
de vent...
» -, annoncée par le titre des Armes, est rap
portée à la mythologie grecque dans le drame Et les
chiens se taisaient.
Césaire s'y inspire de Naissance de
la tragédie de Nietzsche, consacrant «la revanche de
Dionysos sur Apollon », dans une réécriture de la tragé
die grecque.
Le thème de la« négritude » est ici en quel
que sorte mis en fiction sous le masque du Rebelle,
esclave «marron» qui a tué son maître, agonisant dans
sa geôle, sous les accusations du chœur noir qui, par
lâcheté, n'a pas mis à profit son sacrifice.
«Métissée»
avec le Prométhée d'Eschyle, s'esquisse la figure christi
que qui ne cessera de hanter le théâtre de Césaire, conju
guant la triple influence biblique, grecque et shakes
pearienne.
Les pièces de théâtre,
cc [ ••• ] des départements de la poésie ,.
Lorsque, sous l'impulsion d'Antoine Vitez, la Tragé
die du roi Christophe ( 1963) est entrée au répertoire de
la Comédie-Française, en 1991, le parti adopté par le
metteur en scène burkinabé Ouedraogo de faire jouer des
acteurs blancs a été violemment critiqué.
Il était certes
légitime d'invoquer la mémorable création de la pièce
par Jean-Marie Serreau au festival de Salzbourg, en
1964, avec une troupe d'acteurs noirs.
Mais c'était, en
un sens, dénier l'universalité de l'œuvre voulue par Vitez
- et, sans doute, par l'auteur lui-même.
Césaire repré
sente un épisode de l'histoire d'Haïti, après l'insurrec
tion de Toussaint Louverture : J'ascension, puis la chute
de Christophe, ancien esclave cuisinier, devenu président
de la jeune république haïtienne, qui se fait sacrer roi,
mais est abandonné par son peuple alors qu'illui assigne
le projet titanesque de construire une cidatelle « inexpu
gnable», afin de le mobiliser et de lutter contre son
indolence naturelle.
L'allégorie était transparente, et les
dirigeants des jeunes États indépendants du tiers-monde
ont saisi la portée politique de l'avertissement.
Mais
malgré les références à la culture antillaise -le combat
de coqs du prologue, le patois «créolisant >> des paysans,
les chansons créoles du bouffon Hugonin -et, surtout,
le rêve du roi paralysé de retrouver, dans la mort, la forêt
et le fleuve Congo de ses ancêtres africains et le dieu
Shango, la tonalité de la pièce est d'abord éminemment
shakespearienne.
L'« attentat du Destin », la « Fortune
envieuse >> fauche en effet les ambitions politiques de ce héros
de la négritude, comme dans Macbeth.
Le constant
mélange des genres -Césaire relisant Shakespeare à
travers Hugo-permet d'allier la farce à la tragédie, le
lyrisme à la satire, et de parvenir à une polyphonie des
styles qui contraste avec le sublime soutenu de Et les
chiens se taisaient.
Tout autant que des affres du pou
voir, cette tragédie est l'allégorie de la création poétique,
comme le suggère l'obsession de la «forme>> qui hante
Christophe, « avec ses formidables mains de potier,
pétrissant l'argile haïtienne>>.
C'est bien pour avoir
voulu, dans sa démesure, infléchir le cours de l'Histoire
-q uitte à rebaptiser les anciens esclaves et à les affubler
de titres de noblesse ridicules-que Christophe s'effon
dre, >, le théâtre voué à la négri
tude doive passer par les formes occidentales -eschy
léennes, shakespeariennes, mais aussi brechtiennes pour
Une saison au Congo (1966).
Césaire fait ici l'économie
de l'allégorie, puisqu'il fonde sa pièce sur l'histoire
récente de l'indépendance du Congo belge, et sur l'assas
sinat de Patrice Lumumba, victime de son ami
« Mokutu >> et de la complicité de l'ONU, qui trompe
son secrétaire général, Hammarskjtlld.
Le peuple zaïrois
est présent sur la scène grâce au joueur de sanza, et le
dramaturge recourt à différents procédés de distanciation
(prologue du bonimenteur, écriteaux, didascalies préci
ses, etc.) qui soulignent la dimension épique du combat
politique de ce héros authentiquement populaire, qui
s'identifie à sa patrie, le Congo, et à l'Afrique.
Comme
pour le Rebelle et, de manière plus ironique, pour Chris
tophe, Patrice est présenté comme un « Messie» dont la
pièce retrace, en somme, la Passion.
Mais il faut se gar
der de la réduire à sa portée politique car, à sa manière,
Patrice Lumumba est encore -comme Christophe -
« poète par le verbe [ ...
], la puissance magique du verbe,
la puissance du nommo, le verbe créateur>>.
L'art ora
toire du chef charismatique rejoint alors celui du poète,
et mainte scène de la Saison s'infléchit vers la poésie,
retrouvant, une fois encore, des inflexions shakespea
riennes.
La Saison montre ainsi Je lien profond, dans
l'œuvre de Césaire, entre le Discours sur le colonialisme,
l'éloquence pamphlétaire tonitruant dès le Cahier, et la
poésie lyrique, également vouée au combat par ses
« armes miraculeuses » à la valeur performative.
«Je
n'ai pour arme que ma parole, je parle et j'éveille [ ..
.
].
Je
parle, et je rends 1' Afrique au monde! >>, s'écrie Patrice
Lumumba.
On peut certes rattacher pareille conception à
celle du nommo africain, étudié par Marcel Griaule chez
les Dogons, ainsi que l'a fait Césaire lui-même; mais il
faut aussi la rapprocher du Verbe johannique, dont le
poète, « proférant de chaque chose le nom » selon Clau
del, également admiré par Césaire, retrouve la puissance
procréatrice : «Au commencement était le verbe ...
Jamais homme ne l'a cru plus fortement que le poète>>.
Césaire, prônant en Afrique un théâtre « total >> qui se
distingue du théâtre européen par une « symbiose » de
tous les arts, perpétue l'idéal wagnérien, repris par
Nietzsche et par Claudel, de l'« Œuvre total ».
cc Une noueuse unité primitive ,.
Césaire n'a pas renoncé à la poésie, après le succès à
travers le monde de la Tragédie, de la Saison et d'Une
tempête.
Non seulement parce que ces pilèces, marquées
par Shakespeare, Nietzsche et Claudel tout autant que
par Brecht, relèvent de plein droit du « théâtre poéti-.
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