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C'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir. Jean Anouilh

Publié le 22/02/2012

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C'est propre, la tragédie. C'est reposant, c'est sûr... Dans le drame, avec ces traîtres, avec ces méchants acharnés, cette innocence persécutée, ces vengeurs, ces terre-neuve, ces lueurs d'espoir, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se sauver, le bon jeune homme aurait peut-être pu arriver à temps avec les gendarmes. Dans la tragédie on est tranquille. D'abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme! Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui tue et l'autre qui est tué. C'est une question de distribution. Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, — pas à gémir, non, pas à se plaindre, — à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore.
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« distribution.

Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir;qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, — pas àgémir, non, pas à se plaindre, — à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on nesavait peut-être même pas encore.

Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l'apprendre, soi.

Dans le drame, on sedébat parce qu'on espère en sortir.

C'est ignoble, c'est utilitaire.

Là, c'est gratuit.

C'est pour les rois.

Et il n'y a plusrien à tenter, enfin! »Selon le Choeur, le drame est supposé couvrir tout le champ laissé libre par la tragédie.

Le drame est le domaine duhasard, de l'« accident», c'est-à-dire de l'événement imprévisible : selon l'ancienne logique (la logique scolastique,telle que l'université l'enseignait au Moyen Age), l'«accident», extérieur à la nature propre du personnage, s'opposeà son «essence» qui, elle, lui est consubstantielle, fait partie de sa nature intime.C'est dire que le drame recourt à tous les effets de surprise tels que les retournements, rebondissements de l'action,péripéties ou coups de théâtre, grâce auxquels le héros, livré à tous les vents de l'aventure, peut se tirer d'affaire siles circonstances le mettent dans une posture désespérée.

L'« espoir», qui est une ouverture sur tous les possiblesdu futur, se présente comme une planche de salut toujours disponible : si l'on veut se sauver, il convient d'agir aumoment opportun.De surcroît, dans le drame, on a affaire à deux catégories de personnages : les bons et les mauvais, étant entenduque le spectateur accorde tout son crédit, toute sa sympathie aux bons (le «bon» jeune homme qu'évoque leChoeur) et ne saurait admettre le triomphe de ces « traîtres», de ces « méchants» acharnés qui persécutent l'«innocence».

«Vengeurs» ou « terre-neuve», les « bons» doivent avoir le dernier mot, à moins que de fâcheuxcontretemps n'interfèrent.A s'en remettre à l'appréciation du Choeur, la cause est entendue : le drame propose de l'homme une vue «utilitaire» où il s'agit de déjouer les dangers de mort, où les actions humaines ont un sens, qui est de préserver lavie.Comme l'explique le Choeur, chacun de nos actes, si infime, si anodin qu'il soit, peut entraîner des effets d'uneportée incalculable et, en tout cas, disproportionnés à la cause qui les a produits, qu'il s'agisse, par exemple, d'unregard jeté furtivement sur une fille qui passe, d'un prurit d'ambition ou d'une simple question intempestive.Une fois tendu, le ressort se déclenche à la faveur de cette circonstance, sans que la volonté humaine soit alors enmesure d'influer sur le processus tout mécanique ainsi mis en marche.Cette disproportion entre la cause et l'effet éclaire le fonctionnement de l'âme humaine et, plus encore, l'univers dela tragédie.

Les passions de l'homme (amour, trahison, vengeance) ne constituent-elles pas le ressort tout prêt àprovoquer ces « éclats », ces « orages», quand ce ne sont pas les silences du désespoir et de la mort?Même le silence des amants qui se découvrent ou celui du vainqueur acclamé par la foule sont lourds de menace carle vainqueur est «déjà vaincu».

C'est cet univers catastrophique, où rien n'est insignifiant, où tout peut arriver àl'occasion du «petit coup de pouce» initial, que le Choeur estime « reposant» ou encore «sûr », «tranquille»,qualificatifs qui visent à mettre l'accent sur l'état d'esprit du spectateur qui sait d'avance, à mesure que se déroulele mécanisme, que la catastrophe est décidément inéluctable.

Tel est le premier trait distinctif de la tragédie.Second critère, corollaire du premier : la fatalité emprunte aux passions leur virulence pour écraser l'homme, lui ôtertout espoir, l'acculer à une irrémédiable défaite.

La réaction cataclysmique mène à l'irréparable.Espérer, ce serait entrevoir une issue, disposer du temps librement, comme d'un moyen pour éviter le pire :l'absence d'espoir confine au désespoir, soulage l'esprit de toute tension superflue et le repose, pour le rendredisponible.

Mais disponible à quelle aventure?Le Choeur signale encore, à cet égard, que le héros en proie au malheur de la tragédie est livré à la solitude.

Il n'y aplus lieu de «gémir», de «se plaindre», ce qui impliquerait l'espoir d'apitoyer autrui et de déjouer la cruauté dudestin.

On ne peut que « crier» sa souffrance, spontanément, sans calcul ni retenue.Enfin, la tragédie se caractérise par l'authenticité du «jamais dit».

La parole opère comme l'instrument privilégié de ladécouverte de soi, elle consacre l'épreuve de vérité à laquelle donne lieu la crise tragique.

C'est au terme duprocessus, alors que l'irréparable se produit, qu'aucun espoir n'est plus permis, qu'enfin la vérité se fait jour.

LeChoeur en témoigne : «Alors, voilà, cela commence.

La petite Antigone est prise, La petite Antigone va pouvoir être elle-même pour lapremière fois.

» La découverte de sa propre vérité constitue, pour Antigone donc une expérience strictement incommunicable, dumoins sur la scène, car, ne l'oublions pas, le spectateur est supposé partager à sa manière la révélation, par lemalheur, de cette expérience.

Quoi qu'il en soit, le héros est conduit à se connaître lui-même sans qu'une telleconnaissance soit susceptible de donner un sens à son existence.

Et pour cause : « les jeux sont faits», il n'y a plusrien à espérer d'autre qu'une vue rétrospective et vaine sur le cours de son existence.En définitive — et le Choeur le suggère dès ce moment où il intervient —, la tragédie témoigne de l'absurdité de lacondition humaine : c'est «pour rien», ou encore «c'est gratuit».

Et le Choeur d'ajouter que « c'est pour les rois».Bien que les « rois » soient apparemment les acteurs de la tragédie, le Choeur n'a pas manqué de souligner que, sil'exception confirme la règle, tout le monde, par rois interposés, se trouve concerné : «on est entre soi.

On est tousinnocents en somme ».

Si la tragédie est une affaire de famille ou de relations entre proches, la famille humaine toutentière subit le poids de la fatalité, que les uns tuent ou que les autres soient tués.

« Question de distribution»,précise-t-il.Le jugement du Choeur relatif au drame trouverait un champ d'application très riche.

Que l'on songe, notamment, audrame romantique d'Hugo, Hernani (1830).

Le héros, poussé par une fatalité maléfique, réussit presque à trouver lebonheur auprès de Doria Sol, bien que les circonstances l'aient malmené dès le début.

C'est au moment où son. »

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