Charles Baudelaire (1821-1867), « À une passante », extrait du recueil Les Fleurs du mal (1861), « Tableaux parisiens », XCIII.

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

 

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

 

Une femme passa, d’une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

 

5 Agile et noble, avec sa jambe de statue.

 

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

 

Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,

 

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

 

Un éclair. .. puis la nuit ! Fugitive beauté 10 Dont le regard m’a fait soudainement renaître,

 

Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

 

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !

 

Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

 

Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

 

Commentaire

 

Vous commenterez le poème de Charles Baudelaire.

 

La préparation du commentaire se déroule en plusieurs étapes définies. Nous ne reprendrons pas toutes ces étapes, mais nous nous attacherons, dans un travail préliminaire, à exposer les questions à se poser et les connaissances à mobiliser pour étudier un sonnet relevant du registre lyrique.

et la disposition des rimes dans le sizain est également inhabituelle. Le schéma d'ensemble du poème est donc le suivant : abbalcddc/ efefaa. La rime finale du sizain reprend donc la rime initiale du poème, ce qui produit un effet de clôture. Les quatrains décrivent la rencontre entre le poète et la passante, alors que les tercets évoquent le retentissement de cette rencontre dans l'esprit du poète.

 

Identification du registre

 

• Qui parle ? La référence à la première personne, présente dès le vers 1, annonce que le poète parle en son propre nom, etva évoquer une expérience et des sentiments personnels. Ces sentiments sont exprimés plus nettement encore dans les deux tercets.

 

• A qui s'adresse le poète ? La dédicace que constitue le titre du poème et les occurrences de la deuxième personne présentes dans les tercets indiquent que le poète tente d'établir un dialogue avec l'inconnue qu'il a rencontrée.

 

• Quels sont /es procédés employés ? Le lexique des sentiments est plus particulièrement présent dans les trois dernières strophes (« douceur », « plaisir », « aimée »), qui évoquent la relation qui s'ébauche entre le poète et la passante : les vers 9 et 10 (« Fugitive beauté/Dont le regard m'a fait soudainement renaître ») figurent par le biais de la syntaxe une relation entre la passante (antécédent du relatin et le poète (complément d'objet du verbe). Le jeu sur les sonorités, les rythmes, la qualité des rimes, qui donnent au poème un caractère particulièrement évocateur, devra être étudié avec attention.

 

• Quels sont les thèmes du texte ? Le poème évoque la rencontre d'une femme inconnue qui fait naître chez le poète un amour soudain et ambivalent (v. 8). Les tercets tentent d'établir un dialogue avec cette femme et soulignent l'importance que cette rencontre revêt aux yeux du poète, ainsi que l'impossibilité d'une véritable relation.

 

La présence du thème de l'amour, les particularités de l'énoncia-tion (références fréquentes à la 1re personne, indices évoquant les sentiments du poète), et la façon dont le poème permet au lecteur de saisir toute l'importance de cette rencontre pour le poète, rattachent clairement ce texte au registre lyrique.

1 La passante, symbole d’un idéal moderne

 

-Vision rattachée à un contexte urbain (intérêt de Baudelaire pour la vi!ie, lieu où s’exprime par excellence la modernité).

 

-Alliance de la beauté classique et du mouvement, de l’audace (v. 5), c’est-à-dire alliance des contraires, de l’éternel et du fugitif (v. 9), de la beauté majestueuse et du mouvement de la robe qui suggère le désir (intérêt de Baudelaire pour la mode, figuration de la beauté moderne).

 

- Rencontre amoureuse qui ne suscite pas seulement le désir pour la beauté d’une femme, mais le sentiment d’avoir rencontré un idéal incarné, et un idéal dont la caractéristique est d’être mobile et insaisissable (importance des verbes de mouvement).

 

2 La conscience d’avoir vécu une rencontre essentielle mais aussi décevante

 

- Image forte (v. 9), antithèse qui souligne le caractère fulgurant, instantané de cette rencontre (lexique de la surprise : « éclair », « fugitive », « soudainement »).

 

- Recours à la deuxième personne, apostrophe, interrogation (v. 11), invocation (v. 14) : tentatives pour instaurer a posteriori un dialogue avec la passante.